Une dérive budgétaire explosive: L’État sommé de réagir !

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Le récent rapport de la Cour des comptes du Sénégal constitue un véritable électrochoc. Ce document, d’une rare brutalité analytique, met à nu les dysfonctionnements profonds de la gestion des finances publiques, révélant des écarts vertigineux entre les chiffres officiels et la réalité économique. Derrière ces anomalies comptables, c’est toute l’architecture budgétaire du pays qui vacille, exposant le Sénégal à un risque majeur de déséquilibre macroéconomique. Face à cette situation, il ne s’agit pas de sombrer dans l’indignation conjoncturelle, mais d’engager une réflexion rigoureuse et technique sur les mécanismes qui ont conduit à ce naufrage financier et sur les solutions qui permettraient d’aligner le Sénégal sur les meilleures pratiques internationales.

Le chiffre est saisissant : 18 558,91 milliards de FCFA d’encours de dette publique, soit 99,67 % du PIB, reléguant le Sénégal dans la zone rouge des pays à fort risque d’insolvabilité. Ce niveau d’endettement dépasse de loin les seuils de prudence admis par les critères de convergence de l’UEMOA et sape la capacité de l’État à maintenir une trajectoire budgétaire soutenable. Le plus préoccupant n’est pas tant l’endettement en soi – qui peut être un levier de croissance s’il est bien structuré – mais plutôt l’opacité qui l’entoure. Le déficit budgétaire, initialement annoncé à 4,9 % du PIB, s’élève en réalité à 12,3 %. Cette différence abyssale illustre un problème chronique de sincérité budgétaire, sapant la crédibilité de l’administration financière et renforçant la défiance des investisseurs et des institutions de financement.

À l’international, les États qui ont su maîtriser leur trajectoire budgétaire se sont dotés de garde-fous institutionnels rigoureux. En Suède, par exemple, la règle budgétaire impose un solde structurel (différence entre les recettes et les dépenses publiques corrigées des effets du cycle économique) excédentaire sur le cycle économique, garantissant une discipline budgétaire stricte. En Allemagne, la fameuse « règle d’or » interdit tout endettement pour financer les dépenses courantes, un mécanisme qui a largement contribué à la solidité des finances publiques du pays. À l’inverse, l’expérience tragique de la Grèce dans les années 2010 démontre qu’une absence de contrôle strict des engagements budgétaires conduit inévitablement à une spirale d’austérité et de récession.

Le Sénégal doit impérativement s’inspirer de ces modèles en instaurant une règle budgétaire contraignante, assortie de mécanismes automatiques de correction en cas de dérapage. Un cadre budgétaire pluriannuel doit être mis en place, intégrant des objectifs de solde structurel (différence entre les recettes et les dépenses publiques corrigées des effets du cycle économique) et des plafonds stricts sur l’endettement hors budget. Sans ces garde-fous, la trajectoire actuelle du pays conduit droit vers une impasse financière.

La crise actuelle atteste d’un affaiblissement notable de la capacité budgétaire du Sénégal, mettant en évidence la nécessité impérieuse de restaurer l’équilibre des finances publiques. Dans ce contexte de redressement, il est essentiel d’éviter toute surenchère sociale susceptible d’aggraver les tensions budgétaires. Plutôt que d’encourager des revendications susceptibles de compromettre les efforts de stabilisation, il est impératif d’envisager la mise en place d’un pacte de stabilité sociale pour une durée de trois ans. Cet accord offrirait à l’État la latitude nécessaire pour rétablir la discipline budgétaire et garantir une gestion plus rigoureuse des ressources publiques. Il appartient aux partenaires sociaux d’assumer une part de responsabilité dans cette transition, en adoptant une posture constructive visant à concilier intérêts économiques et exigences sociales, afin de favoriser un redressement durable et inclusif.

Le Sénégal se trouve aujourd’hui à un tournant décisif. La restauration de la confiance des citoyens et des partenaires économiques passe par une refonte profonde du modèle de gouvernance financière. L’enjeu n’est pas seulement d’assainir les comptes publics, mais d’instaurer une nouvelle culture budgétaire, fondée sur la transparence, la rigueur et la responsabilité. Seule une telle rupture systémique permettra d’éviter que ce rapport explosif, aux conclusions accablantes, ne soit qu’un cri d’alarme de plus, noyé dans l’oubli institutionnel.

Par ailleurs, il est impératif d’intégrer les nouvelles technologies dans la gestion budgétaire pour assurer une transparence absolue des finances publiques. Le développement d’un système de suivi numérique en temps réel des engagements financiers de l’État permettrait d’anticiper les dérives et d’adopter des mesures correctives sans délai.

Enfin, au-delà des réformes institutionnelles et des outils numériques, il est nécessaire de réhabiliter une culture de responsabilité budgétaire au sein de l’administration publique. La formation des agents de l’État à une gestion financière rigoureuse, combinée à des mécanismes de sanctions efficaces en cas de détournement ou de mauvaise gestion des fonds publics, est un levier fondamental pour garantir un assainissement durable des finances publiques. L’heure est à l’action, et chaque acteur doit prendre la pleine mesure de sa responsabilité pour éviter que cette situation critique ne se transforme en une crise économique et sociale encore plus profonde.

L’adoption d’un cadre budgétaire strict ne peut se faire sans un renforcement du rôle des institutions de contrôle et de régulation. La Cour des comptes et l’Assemblée nationale doivent être dotées de moyens accrus pour garantir un suivi rigoureux de l’exécution budgétaire et sanctionner toute dérive. Le développement d’une collaboration étroite entre l’État, les experts en finances publiques et les institutions de Bretton Woods pourrait également permettre d’instaurer des stratégies de redressement viables et adaptées au contexte sénégalais.

Enfin, la sensibilisation du grand public aux enjeux budgétaires est essentielle pour instaurer une véritable culture de transparence et de responsabilité. Une communication claire et régulière de l’état des finances publiques, des mesures correctives engagées et des impacts des décisions budgétaires renforcerait l’adhésion populaire aux réformes. Dans un monde de plus en plus connecté, l’instauration d’une plateforme numérique de suivi des finances publiques accessible aux citoyens pourrait contribuer à renforcer la gouvernance démocratique et à éviter la répétition des erreurs du passé.

HADY TRAORE

Consultant-Gestion Stratégique et Politique Publique- Canada

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