Tension politique au Sénégal : les racines du mal (Par Thiémokho Diop)
Le Sénégal est l’un des pays africains dont la culture démocratique n’est plus à démontrer. Vieille de plus d’un quart de siècle, la démocratie sénégalaise fait cependant face à une tension quasi permanente dans son espace politique. Cette situation a poussé de nombreux régulateurs sociaux (chefs religieux, membres du clergé, etc.) à tirer la sonnette d’alarme afin de ramener les acteurs de la vie démocratique au calme et à la responsabilité. Cette tension qui électrise perpétuellement la scène politique, trouve sa source essentiellement dans la posture des différents protagonistes.
Un pouvoir qui abuse de la puissance publique
Les gouvernements qui se sont succédés au Sénégal, ont tous usé et abusé des moyens que l’État leur confère (force de l’ordre, lois et règlements, etc.) afin de contrer les activités politiques, syndicales ou citoyennes qui leurs sont défavorables. D’Abdou Diouf à Macky Sall (période que je connais mieux), la posture est la même : tenter de restreindre la liberté de manifester ou plus généralement la liberté d’expression. Si ce n’est pas le refus pure et simple de la demande (la déclaration selon la Constitution), c’est la répression violente et disproportionnée de la manifestation. La loi, notamment le fameux article 80 du Code pénal, est également utilisée pour tenir en respect les opposants. Cette posture a pour corollaire, d’installer l’escalade verbale voire de la violence. L’exemple le plus récent est la stratégie adoptée par le Secrétaire d’État à la communication, Yakham Mbaye, qui n’a rien trouvé d’autre que de vouloir doubler le mouvement Y’en a marre en déposant en premier sa demande d’autorisation d’une contre-manifestation en soutien au Président Macky Sall. Ce faisant, il espère que l’autorité administrative, en l’occurrence le Préfet de Dakar, va interdire le rassemblement de Y’en a marre au motif du risque de troubles à l’ordre publique. Les conséquences auraient été incalculables si le gouvernement avait été aveuglé au point de suivre Yakham Mbaye dans sa stratégie, pour le moins incongrue.
Une « opposition de contestation » au lieu d’une « opposition de propositions »
Même si son apport dans la démocratie sénégalaise est inestimable, « l’opposition de contestation » a été vulgarisé principalement par le Président Abdoulaye Wade. Durant les 26 ans en tant qu’opposant, Me Wade a excellé dans ce type d’opposition jusqu’à son accession à la magistrature suprême grâce à… « la marche bleue ». Aujourd’hui, la quasi-totalité de l’opposition semble être convaincue que c’est par la contestation qu’elle arrivera à défaire le régime actuel. Pour ce faire, elle a, presque systématiquement, recours à la marche, à la violence verbale, à la critique agressive, etc. Le choix de ce type d’opposition au lieu de la confrontation d’idées contribue pour beaucoup à l’installation de la tension politique dans le pays. Or, l’histoire récente a démontré que l’opposition de propositions semble être la voie la plus rapide pour accéder au pouvoir. En effet, grâce notamment à son programme « yoonu yokkute », Macky Sall a réussi en 2012, dès sa première candidature, à gagner une présidentielle alors qu’il a fallu plus d’un quart de siècle à Abdoulaye Wade, adepte de « l’opposition de contestation », pour arriver au même résultat. L’opposition actuel ne semble pas avoir retenu cette leçon car sinon comment comprendre que Cheikh Bamba Dieye, au lieu de faire une offre politique alternative, consacre beaucoup de temps et d’énergie à écrire un livre dont les bonnes feuilles publiées par le site d’information Seneweb ne révèle que des critiques à l’encontre du gouvernement du Président Macky Sall.
Une société civile sénégalaise partisane
Entre le pouvoir et l’opposition, il devait y avoir la société civile qui, de par sa posture de défenseur des intérêts de la société, pourrait servir de tampon entre ces deux acteurs. En effet, si à chaque fois que l’un de ces acteurs s’éloignait des aspirations populaires, elle sonnait l’alerte, la démocratie sénégalaise n’en serait que plus apaisée. Hélas! La société civile de notre pays a beaucoup de mal à rester à équidistance des deux protagonistes cités plus haut. Pire, elle participe à exacerber le climat délétère qui prévaut sur la scène politique en s’alliant systématiquement à l’opposition (de contestation). D’ailleurs, le prédécesseur de Macky Sall considérait qu’il n’y avait pas de société civile au Sénégal car disait-il, « ils sont tous des politiciens ». Cette assertion du Président Wade semble d’ailleurs se confirmer lors du dernier rassemblement du mouvement Y’en a marre. En effet, les actes posés par les Y’en a marristes ressemblent plutôt à ceux d’un parti politique. Ils annoncent qu’ils veulent rassembler un million de personnes, ce qui peut faire peur au gouvernement et le pousser à interdire ledit rassemblement alors qu’une telle décision allait inéluctablement accroitre la tension politique déjà forte dans le pays. La démocratie est certes un jeu, mais certainement pas un jeu à se faire peur. De plus, au lieu d’être le lieu de dénonciation des dérives de tout bord, le rassemblement a été une tribune pour des opposants dont les leaders sont accusés ou condamnés pour détournement de deniers publics. Il va sans dire que si ces leaders se retrouvent demain au pouvoir, les membres du mouvement vont retourner à cette même place de la Nation pour combattre les maux qu’ils ont tacitement encouragés aujourd’hui.
La démocratie étant une œuvre toujours perfectible, il nous faut tenter de nous débarrasser de cette tension politique qui nous fait craindre constamment le pire. Pour ce faire, tous les acteurs, incluant les journalistes, doivent jouer leur rôle dans le respect des prérogatives de chacun.
Thiémokho Diop
Analyste et économiste
Un pouvoir qui abuse de la puissance publique
Les gouvernements qui se sont succédés au Sénégal, ont tous usé et abusé des moyens que l’État leur confère (force de l’ordre, lois et règlements, etc.) afin de contrer les activités politiques, syndicales ou citoyennes qui leurs sont défavorables. D’Abdou Diouf à Macky Sall (période que je connais mieux), la posture est la même : tenter de restreindre la liberté de manifester ou plus généralement la liberté d’expression. Si ce n’est pas le refus pure et simple de la demande (la déclaration selon la Constitution), c’est la répression violente et disproportionnée de la manifestation. La loi, notamment le fameux article 80 du Code pénal, est également utilisée pour tenir en respect les opposants. Cette posture a pour corollaire, d’installer l’escalade verbale voire de la violence. L’exemple le plus récent est la stratégie adoptée par le Secrétaire d’État à la communication, Yakham Mbaye, qui n’a rien trouvé d’autre que de vouloir doubler le mouvement Y’en a marre en déposant en premier sa demande d’autorisation d’une contre-manifestation en soutien au Président Macky Sall. Ce faisant, il espère que l’autorité administrative, en l’occurrence le Préfet de Dakar, va interdire le rassemblement de Y’en a marre au motif du risque de troubles à l’ordre publique. Les conséquences auraient été incalculables si le gouvernement avait été aveuglé au point de suivre Yakham Mbaye dans sa stratégie, pour le moins incongrue.
Une « opposition de contestation » au lieu d’une « opposition de propositions »
Même si son apport dans la démocratie sénégalaise est inestimable, « l’opposition de contestation » a été vulgarisé principalement par le Président Abdoulaye Wade. Durant les 26 ans en tant qu’opposant, Me Wade a excellé dans ce type d’opposition jusqu’à son accession à la magistrature suprême grâce à… « la marche bleue ». Aujourd’hui, la quasi-totalité de l’opposition semble être convaincue que c’est par la contestation qu’elle arrivera à défaire le régime actuel. Pour ce faire, elle a, presque systématiquement, recours à la marche, à la violence verbale, à la critique agressive, etc. Le choix de ce type d’opposition au lieu de la confrontation d’idées contribue pour beaucoup à l’installation de la tension politique dans le pays. Or, l’histoire récente a démontré que l’opposition de propositions semble être la voie la plus rapide pour accéder au pouvoir. En effet, grâce notamment à son programme « yoonu yokkute », Macky Sall a réussi en 2012, dès sa première candidature, à gagner une présidentielle alors qu’il a fallu plus d’un quart de siècle à Abdoulaye Wade, adepte de « l’opposition de contestation », pour arriver au même résultat. L’opposition actuel ne semble pas avoir retenu cette leçon car sinon comment comprendre que Cheikh Bamba Dieye, au lieu de faire une offre politique alternative, consacre beaucoup de temps et d’énergie à écrire un livre dont les bonnes feuilles publiées par le site d’information Seneweb ne révèle que des critiques à l’encontre du gouvernement du Président Macky Sall.
Une société civile sénégalaise partisane
Entre le pouvoir et l’opposition, il devait y avoir la société civile qui, de par sa posture de défenseur des intérêts de la société, pourrait servir de tampon entre ces deux acteurs. En effet, si à chaque fois que l’un de ces acteurs s’éloignait des aspirations populaires, elle sonnait l’alerte, la démocratie sénégalaise n’en serait que plus apaisée. Hélas! La société civile de notre pays a beaucoup de mal à rester à équidistance des deux protagonistes cités plus haut. Pire, elle participe à exacerber le climat délétère qui prévaut sur la scène politique en s’alliant systématiquement à l’opposition (de contestation). D’ailleurs, le prédécesseur de Macky Sall considérait qu’il n’y avait pas de société civile au Sénégal car disait-il, « ils sont tous des politiciens ». Cette assertion du Président Wade semble d’ailleurs se confirmer lors du dernier rassemblement du mouvement Y’en a marre. En effet, les actes posés par les Y’en a marristes ressemblent plutôt à ceux d’un parti politique. Ils annoncent qu’ils veulent rassembler un million de personnes, ce qui peut faire peur au gouvernement et le pousser à interdire ledit rassemblement alors qu’une telle décision allait inéluctablement accroitre la tension politique déjà forte dans le pays. La démocratie est certes un jeu, mais certainement pas un jeu à se faire peur. De plus, au lieu d’être le lieu de dénonciation des dérives de tout bord, le rassemblement a été une tribune pour des opposants dont les leaders sont accusés ou condamnés pour détournement de deniers publics. Il va sans dire que si ces leaders se retrouvent demain au pouvoir, les membres du mouvement vont retourner à cette même place de la Nation pour combattre les maux qu’ils ont tacitement encouragés aujourd’hui.
La démocratie étant une œuvre toujours perfectible, il nous faut tenter de nous débarrasser de cette tension politique qui nous fait craindre constamment le pire. Pour ce faire, tous les acteurs, incluant les journalistes, doivent jouer leur rôle dans le respect des prérogatives de chacun.
Thiémokho Diop
Analyste et économiste
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