SYSTÈME MONDIAL DE CORRUPTION PRÉSUMÉE : Comment le clan Diack a été encerclé

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En février dernier, juges, procureurs et policiers parisiens ont pu se rendre à Moscou dans le cadre du scandale de dopage des athlètes russes. L’aboutissement d’un long bras de fer. 
Selon les radars sensibles de Libération, c’est l’histoire d’une course de fond qui rassemble procureurs, juges et policiers. Ils sont partis d’un trait depuis le pôle financier du palais de justice de Paris en août 2015. Depuis, ils semblent décidés à boucler un étrange tour du monde dans les coulisses du sport. 
Façon grand galop, ils étaient en ce mois de septembre à Rio de Janeiro pour s’attaquer à la face escarpée de l’attribution des jeux Olympiques. On savait que cette même équipe s’était déjà glissée en 2015 dans les bureaux feutrés de la Fédération internationale d’athlétisme à Monaco. On ignorait en revanche jusque-là qu’ils avaient pu progresser sur le front russe et que, de façon aussi discrète qu’inespérée, ils étaient arrivés jusqu’à Moscou. La capitale russe est l’épicentre des accusations portant sur un dopage d’Etat et les arrangements illégaux pour le dissimuler aux yeux du monde.
Selon nos informations, c’est en février dernier que des procureurs du Parquet national financier (PNF), une partie de l’équipe du trio des juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke, Charlotte Bilger et Stéphanie Tacheau, ainsi que des policiers de l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales (OCLIFF) ont pu mener ce voyage inédit. Les enquêteurs ont été saisis après une dénonciation rédigée en août 2015 par une commission indépendante créée par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Il cherchent depuis à comprendre la façon dont le dopage des athlètes Russes a pu être organisé, et surtout dissimulé.
Dès 2015, les investigations ont pu établir que les parties de cache-cache autour du dopage se jouaient sur plusieurs scènes. D’abord, les tests positifs étaient dissimulés afin qu’aucune sanction ne tombe. Mais il existait aussi une sorte de délit d’initié qui permettait à la Fédération nationale d’athlétisme russe d’être prévenue des contrôles surprises. Le tout était monnayé à hauteur de plusieurs milliers d’euros entre, d’une part, des personnalités de la Fédération nationale d’athlétisme russe, et d’autre part, des personnalités de la puissante fédération internationale d’athlétisme basée à Monaco.
Des dizaines d’athlètes russes étaient en quelque sorte les dindons de la farce, obligées de payer eux-mêmes des corrupteurs afin de pouvoir participer aux grandes compétitions internationales sans que leurs contrôles antidopage positifs ne soient éventés.
Bien des flux financiers suspects ont été établis entre différents personnages. Valentin Balakhnichev, président en titre de la Fédération russe, aurait par exemple versé 1,5 million d’euros à Lamine Diack, alors président de la Fédération internationale d’athlétisme. Moscou aurait acheté le silence des instances chargées de contrôler ses champions.
Après avoir décortiqué le système occulte, les juges ont mis en examen Lamine Diack, son conseiller juridique Habib Cissé et Gabriel Dollé, l’ancien responsable du service antidopage de la Fédération internationale d’athlétisme. Tous ont été entendus par la justice française. S’ils les avaient eu sous la main, les magistrats auraient sans nul doute également mis en examen Valentin Balakhnichev et Papa Massata Diack, fils de l’ancien président Diack, et lui-même responsable du marketing à l’IAAF. Mais ces deux-là n’ont pas très envie de se rendre à Paris pour risquer les foudres de la justice. Le premier est décidé à rester à Moscou, le second à Dakar.

Périple

Au départ, le voyage à Moscou n’était pas gagné tant les autorités russes semblaient crispées face aux investigations de l’Agence mondiale antidopage et de la justice française. Pour le Kremlin il s’agissait d’une enquête à charge fondée sur un seul témoignage et d’une ingérence « dangereuse » de la politique dans le sport.
On ne donnait alors pas cher des demandes d’entraide judiciaire envoyées de l’autre côté de l’Oural en novembre 2015. Moscou semblait résister, réclamant d’abord des précisions sur le travail des enquêteurs, avant de refuser toute aide en mars dernier. Le juge Van Ruymbeke, dans une lettre expédiée aux autorités russes en mai 2016, a officiellement déploré le manque de coopération de Moscou.
Il faut croire que l’obstination des autorités françaises a payé. La Russie, contrainte d’accepter de collaborer avec la justice pour que son retour dans le sport mondial soit accepté, a fini par ouvrir ses portes. A la fin du mois de janvier de cette année, le pôle financier a reçu de nombreux documents en provenance de Moscou, notamment le contrat de Valentin Balakhnichev, président de la fédération russe d’athlétisme et des déclarations de plusieurs membres des équipes nationale d’athlétisme. Le voyage des enquêteurs à Moscou a suivi. Peut- être de quoi avancer et comprendre comment ce petit monde fonctionnait…
Faut-il croire à ces échanges entre les justices du monde entier pour arriver à une forme de vérité sur les coulisses du sport ? A Rio de Janeiro, le 6 septembre dernier, quelques heures après les opérations lancées contre les acteurs de la corruption présumée dans l’attribution des Jeux de 2016, les autorités brésiliennes avaient tenu à se féliciter de leur travail d’équipe avec la justice française et les enquêteurs américains.
Présents sur place aux côtés des juges Van Ruymbeke et Stéphanie Tacheau, le procureur adjoint au Parquet national financier, Jean-Yves Lougouilloux, avait estimé face à la presse que dans cette « course de fond avec relais », « chacun doit apporter sa contribution à la victoire finale ».
Avant de poursuivre : « La lutte contre la corruption internationale et notamment celle pouvant exister au sein des plus grandes fédérations sportives internationales passe aujourd’hui par une coopération étroite, efficace et opérationnelle entre les autorités judiciaires. » Toutes les résistances ne sont cependant pas levées. En septembre dernier, le Sénégal, où se trouve aujourd’hui Papa Massata Diack, a de nouveau fait savoir aux juges français qu’il n’entendait pas répondre aux demandes d’entraide judiciaire. Ce voyage-là, pour le moment, attendra.

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