Sénégal: La fin de l’impunité ou un simple coup de filet ?

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Le Sénégal est en suspens. L’arrestation de Farba Ngom, ancien proche du régime déchu, et de Tahirou Sarr, homme d’affaires influent, a brisé l’omerta qui entourait certaines figures du pouvoir. Cette enquête, qui s’inscrit dans une série de poursuites judiciaires pour soupçons de malversations financières et de blanchiment de capitaux, lève le voile sur des pratiques longtemps dénoncées sans qu’aucune action concrète ne soit entreprise. Désormais, les projecteurs sont braqués sur un système économique parallèle qui aurait prospéré dans l’ombre des institutions, alimenté par des privilèges, des complicités et une culture d’impunité.
Mais plus que les noms cités, c’est l’ampleur vertigineuse des sommes en jeu qui stupéfie. Un chèque certifié de 11 milliards de francs CFA, des immeubles en garantie pour 33 milliards, un foncier de 8000 hectares évalué à près de 400 milliards. Des chiffres qui défient la raison et suscitent une interrogation légitime : comment une poignée d’individus a-t-elle pu accumuler de telles fortunes alors que le pays peine à financer ses infrastructures les plus essentielles ? Ces fonds sont-ils issus d’activités légales ou résultent-ils d’un accaparement organisé des ressources publiques ?
Si la justice doit encore établir les responsabilités, une chose est indéniable : de telles accumulations ne peuvent être le fait d’individus isolés agissant dans un vide institutionnel. Si Farba Ngom et Tahirou Sarr ont pu prospérer à une telle échelle, c’est que l’environnement leur a été favorable, qu’ils ont bénéficié de facilités, de passe-droits et peut-être même de protections au sein de l’appareil d’État. Quels mécanismes ont facilité leur accès à ces ressources ? Quelles failles ont permis que ces opérations passent sous les radars ? Il est impératif d’obtenir des réponses, car au-delà des personnes, c’est tout un système qui doit être mis à nu, compris et corrigé.
Pourtant, ces révélations ne tombent pas du ciel. La Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF), organe chargé de surveiller les flux financiers suspects, avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Ses investigations ont mis en lumière des transactions douteuses, des circuits financiers opaques et des anomalies flagrantes. L’alerte avait été donnée. Alors, pourquoi ces rapports sont-ils restés lettre morte ? Qui, au sein de l’administration ou de la justice, a retardé leur exécution ? Qui a fermé les yeux, laissant ces pratiques perdurer ?
Ce qui est en jeu aujourd’hui dépasse de loin les seuls cas de Farba Ngom et Tahirou Sarr. C’est toute la chaîne des responsabilités qu’il faut interroger. Il ne s’agit pas seulement de sanctionner des personnalités visibles, mais d’identifier et de corriger les failles qui ont permis à ce système de prospérer impunément. La justice, si elle veut être crédible, ne peut se contenter de frapper à moitié. Elle doit remonter la filière, exposer les complicités et s’attaquer aux structures qui ont favorisé l’émergence d’une élite financière évoluant en dehors de toute reddition de comptes.
Cette affaire met en lumière les graves défaillances des mécanismes de contrôle des finances publiques. Pendant des années, l’absence de régulation stricte et l’opacité de certains circuits financiers ont facilité une captation des richesses nationales par une minorité, au détriment du développement collectif. Si le Sénégal veut rompre avec ces pratiques, il doit impérativement renforcer ses institutions, rendre les flux financiers transparents et imposer une obligation de reddition des comptes à tous les niveaux de l’administration.

Mais cette enquête est aussi un test crucial pour la justice sénégalaise. Trop souvent en Afrique, les grandes affaires de corruption finissent par s’étioler, étouffées par les jeux d’influence et les intérêts politiques. Cette fois, le Sénégal doit prouver qu’il est capable d’aller jusqu’au bout, sans concessions ni calculs politiciens. L’opinion publique ne tolérera pas une justice sélective où certains seraient épargnés pendant que d’autres serviraient de boucs émissaires. La loi doit s’appliquer avec la même rigueur à tous, sans distinction de statut ni d’influence.
Au-delà du volet judiciaire, c’est le modèle de gouvernance du Sénégal qui est en question. Cette affaire sera-t-elle le point de départ d’une refonte institutionnelle majeure, ou juste un coup d’éclat destiné à apaiser momentanément la colère populaire ? La population n’est plus dupe. Elle exige des actions concrètes : identifier les responsables, juger avec impartialité, récupérer les fonds détournés et instaurer des réformes durables pour que plus jamais l’argent public ne puisse être capté par des intérêts privés.
Dans cette optique, la traçabilité des fonds présumés détournés est un enjeu clé. Il ne suffit pas de geler des comptes ou de saisir des biens. Il faut identifier les circuits de blanchiment, retrouver les flux financiers et engager une coopération judiciaire internationale pour récupérer l’argent du peuple. Sans cette approche globale, une partie des richesses concernées risque de disparaître à l’étranger, hors d’atteinte des autorités sénégalaises.
Mais cette affaire dépasse la seule question des milliards. Elle est une opportunité unique de réconcilier l’État avec ses citoyens. Pendant trop longtemps, le sentiment d’impunité a nourri la défiance et la frustration populaire. Restaurer la confiance passe par une action forte : montrer que la justice n’est pas une arme politique mais un pilier inébranlable de l’État de droit. Si cette affaire est menée avec rigueur et impartialité, elle pourrait marquer le début d’un véritable changement de paradigme, où l’intérêt collectif l’emporte enfin sur les intérêts privés.
L’indignation est à son comble. Comment accepter que des milliards soient confisqués par une minorité pendant que des milliers de Sénégalais peinent à accéder aux services les plus essentiels ? Combien d’écoles auraient pu être construites avec ces fonds ? Combien d’hôpitaux modernisés ? Combien de projets de développement auraient pu voir le jour ? Ces questions ne peuvent rester sans réponse.

Hady TRAORE
Consultant- Gestion Strategique et Politique Publique-

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