Réduction du prix du loyer, contentieux entre bailleurs et locataires : Voyage au cœur d’un conflit permanent
Depuis la baisse du loyer intervenue en 2014, bailleurs et locataires se livrent une bataille sur l’application correcte des textes. Les propriétaires des maisons qui prétextent de leur investissement usent de tous les moyens pour augmenter le loyer. Voyage au cœur d’un conflit permanent.
Le modus operandi des bailleurs consiste à donner un préavis de congé ou à refuser de prendre le loyer pour pouvoir expulser le locataire au bout de quelques mois pour défaut de paiement. D’autres, plus audacieux, brandissent un papier représentant la surface corrigée alors qu’en réalité, il n’en est rien.
A. B. qui occupe un appartement de 3 pièces dans un immeuble de Dakar s’est vu délivrer un préavis de congé de six mois sans explications sur les motifs de son déguerpissement par son bailleur. Après insistance du propriétaire qui tenait à le faire quitter les lieux, il choisit la voie contentieuse pour régler son problème. Au terme de la médiation, il est resté dans la maison, mais non sans être inquiet qu’à tout moment, le propriétaire puisse remettre les choses sur le tapis. « Comme j’ai raison devant lui en justice, il fait tout pour me mettre mal à l’aise dans la maison en diminuant à mon insu la pression du robinet et plein d’autres choses », explique-t-il.
Comme A.B, Mamadou avait aussi choisi la voie des tribunaux lorsque son bailleur, sous prétexte de travaux de réhabilitation, voulait l’expulser de la maison. Mais après un an de contentieux, il avait préféré quitter le domicile « pour avoir la paix ». Rencontrée dans un appartement en banlieue, Amina estime être dans un cas particulier. Pour cause ! Le bailleur a deux tarifs : ceux des anciens ayant bénéficié de la baisse et les nouveaux venus après la baisse du loyer. « Nous sommes dans un immeuble où les gens ne payent pas la même chose pour le même standing, résume-t-elle. Quand j’ai mené ma petite enquête, j’ai vu que certains payent 100.000 F CFA pendant que d’autres sont à 71.000 F CFA. J’ai compris que la différence est de 29 % et seuls ceux qui étaient là au moment de la baisse en bénéficient », explique-t-elle.
13.000 réclamations depuis la baisse
Ces cas ne sont qu’un échantillon parmi tant de contentieux opposants bailleurs et locataires depuis le vote de la loi sur la baisse du loyer.
Le nombre de réclamations enregistrées au Sénégal depuis 2014, date d’application de la loi relative à la baisse du loyer, s’élève à près de 13.000. Le ministère du Commerce en a reçu 10.250 tandis que l’Association sénégalaise des consommateurs (Ascosen) en a reçu 2.970. Selon Momar Ndao, président de Ascosen, au total 1.492 plaintes sont relatives à des préavis de congés irréguliers soit 50,23 %, 873 concernent des cas de refus de recevoir le loyer soit 29,39 % et 605 dossiers sont relatifs à la surface corrigée, soit 20,37 %.
« On peut considérer que ces 13.000 plaintes représentent 100.000 personnes puisque ce sont des chefs de famille. Et le taux de satisfaction est de 90 % », estime-t-il. Seulement, il reconnaît que 100.000 personnes sur 13 millions de Sénégalais c’est minime. Cependant, il est d’avis que le consommateur est bien protégé, mais ne connait pas ses droits et par conséquent ne fait rien pour que ses droits soient respectés dans la plupart des cas. Selon Momar Ndao, le problème majeur réside dans le fait que le locataire se dit qu’il habite dans la maison du bailleur qui peut lui demander de sortir à tout moment. Le deuxième problème est relatif au fait qu’il est difficile de connaître la situation de tous les locataires s’ils ne viennent pas se plaindre.
Deux types de contrats
Revenant sur la loi, M. Ndao explique que la procédure est très compliquée pour qu’un bailleur puisse mettre fin à un contrat de location si le locataire paye normalement. À l’en croire, il y a deux cas de figure. Un bailleur peut demander à son locataire de quitter sa maison pour occupation personnelle ou de son épouse, des enfants de son épouse, de son père et de sa mère et du père et de la mère de son épouse. Le deuxième cas est la démolition-reconstruction. Et dans ce cas, il doit préciser la nature des travaux, le nom de l’architecte, entre autres. Le bailleur doit aussi prendre l’engagement de ne faire occuper les lieux que pour le gardiennage du chantier.
Par rapport au contrat, le défenseur des consommateurs indique qu’il y a deux types pour les baux à usage d’habitation. Soit il est triennal renouvelable par tacite reconduction ou à duré indéterminé. « Tout contrat de mois de 3 ans est considéré comme à durée indéterminée », a-t-il noté.
Momar Ndao informe que le bailleur n’a pas le droit d’augmenter le loyer avant trois ans à partir de la date du contrat. « Et le cas échéant, il est tenu de faire à nouveau la surface corrigée et la loi ne prévoit qu’une augmentation de 15 %, quelle que soit la nature des travaux qu’il a effectuée dans la maison », avertit-il.
La réhabilitation du décret sur le métier de courtier et d’agent immobilier préconisé
Pour assainir le secteur, le président d’Ascosen a souhaité la réhabilitation du décret réglementant le métier de courtier et d’agent immobilier qui exige des diplômes de maîtrise des textes avant son exercice. « Le problème est que la location est pratiquée par des bailleurs non professionnels qui se font conseiller par des courtiers qui ignorent les textes », remarque-t-il.
Peut-être que les 15 000 unités d’habitation par an promise par le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne lors du dernier salon de l’habitat permettront de résorber le déficit estimé 300.000 unités et faire en sorte que ces contentieux soient un vieux souvenir.
Auteur: Hamad Ndiaye