Pr Mamadou Diouf : «Il est possible de se battre contre l’autoritarisme et de résister aux penchants despotiques des dirigeants politiques»

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Dans une interview accordée au site le Point Afrique, le professeur Mamadou Diouf de l’Université Columbia de New-York s’est prononcé sur la démocratie sénégalaise.

Le Sénégal est un pays exceptionnel qui a été capable de produire, depuis la période coloniale, une authentique culture politique ; mais aussi une véritable classe politique, un personnel capable à des moments de crise de prendre des décisions et de s’y tenir pour éviter l’effondrement de l’État dans la violence. Ce n’est pas le cas au Mali par exemple.

Et cette classe politique et l’élite maraboutique qui dirigent les confréries sont parvenues à traduire dans la langue vernaculaire les enjeux publics, contribuant ainsi à sensibiliser toute la société. Entre 1988 et 2000, les Sénégalais ont commencé à apprendre à être «politiques». La leçon de 1988 est importante : on ne peut pas gagner les élections en étant simplement mobilisés. On remporte une élection en s’inscrivant sur les listes électorales et en allant voter. Les Sénégalais ont bien retenu la leçon. C’est pour cela qu’Abdou Diouf a été battu en 2000 et qu’Abdoulaye Wade l’a été à son tour en 2012. Ces deux échecs sont la conséquence d’une politisation des citoyens sénégalais et d’une excellente compréhension des institutions politiques et des élections.

De 2000 à 2012, les Sénégalais ont appris une autre leçon : il est possible de se battre contre l’autoritarisme et de résister aux penchants despotiques des dirigeants politiques. Malheureusement, ils se sont arrêtés là. Or, on ne peut reconstruire un pays sans intégrer le jeu politique. On ne change pas un pays en restant dans la société civile, en marge du «monde politique». C’est une leçon à méditer pour les jeunes qui sont mobilisés, notamment à travers les mouvements citoyens tels que «Y en a marre».

Il faut avoir un projet politique alternatif. C’est d’ailleurs ce qu’Emmanuel Macron a fait en France. Aujourd’hui, c’est cette étape que les Sénégalais doivent franchir. Passer de la culture de la résistance et de la contestation à une culture de la construction d’un État démocratique. Et cela ne peut se faire sans député, sans ministre. Ceux qui veulent changer le pays doivent être représentés – directement ou indirectement – là où les décisions se prennent. À cela, il n’y a pas d’alternative. L’État sénégalais est un État de démocratie représentative. En conséquence, sans représentation dans les institutions délibératives et exécutives, il n’y a aucune légitimité.

Il faut non seulement renouveler la classe politique sénégalaise et les vieux appareils politiques qui sont fatigués et à bout de souffle, mais également changer le système électoral, faire en sorte qu’il n’y ait plus de listes nationales mais que les élus représentent des personnes physiques dans le cadre de circonscriptions bien identifiées, et modifier le système institutionnel de sorte que les citoyens puissent distinguer entre le président et la majorité parlementaire, alors qu’aujourd’hui la confusion entre les deux est totale.

Ce sont à ces conditions que les Sénégalais pourront progressivement construire un système politique transparent, ouvert, et démocratique. C’est nécessaire car si l’on continue ainsi, à ce rythme, le Sénégal aura un nouveau président tous les cinq ans. Cela ne servirait à rien. Mais c’est ce qui risque de se passer si le système institutionnel et politique n’est pas réformé en profondeur. À cet égard, les conclusions retenues par les Assises nationales constituent une excellente base de départ pour lancer les réformes nécessaires.

Le Point Afrique

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