Poursuites judiciaires de personnalités politiques: Harcèlement judiciaire ou lutte contre l’impunité ?

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Depuis la troisième alternance survenue le 24 mars 2024, le Sénégal est témoin d’une vague de poursuites judiciaires visant principalement des figures de l’opposition. Selon le quotidien Libération, le procureur de la République a récemment pris plusieurs décisions qui alimentent le débat sur une possible instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
D’après les informations publiées, un mandat de dépôt a été requis contre Tahirou Sarr devant le juge d’instruction du pôle judiciaire financier. Un mandat d’arrêt international a également été émis contre Mamoune Diallo. Plus troublant encore, le procureur a demandé la levée de l’immunité parlementaire de deux députés : Amadou Ba, ancien Premier ministre et leader de la coalition Jàmm Ak Ñarign, ainsi que l’ancien ministre Birima Mangara.
Ces décisions judiciaires s’inscrivent dans un contexte où plusieurs voix dénoncent une forme d’acharnement contre les opposants au régime du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko. Ces derniers, portés au pouvoir par une volonté de rupture et de transparence, avaient promis une gouvernance vertueuse basée sur la reddition des comptes. Cependant, pour de nombreux observateurs, la multiplication des poursuites visant des figures de l’ancienne majorité pose la question de l’équilibre entre justice et règlements de comptes politiques.

Une démocratie en péril ?

Loin d’être anodines, ces décisions du parquet soulèvent des inquiétudes quant à l’état de la démocratie sénégalaise et à la stabilité nationale. La séparation des pouvoirs, pierre angulaire d’un État de droit, semble mise à rude épreuve. L’opposition et certaines organisations de la société civile dénoncent une justice à double vitesse, où les adversaires du pouvoir sont systématiquement traqués tandis que d’autres affaires restent en suspens.
Certains analystes redoutent un climat de tensions, voire de crispation politique, qui pourrait mettre en péril l’équilibre fragile du pays. L’histoire politique du Sénégal a montré que l’usage de la justice comme arme de neutralisation des opposants mène souvent à une radicalisation des tensions, à un affaiblissement du dialogue démocratique et, dans certains cas, à des crises politiques majeures.

Légitimité des poursuites ou instrumentalisation ?

Si la lutte contre la corruption et l’impunité est une nécessité, elle doit être menée avec impartialité et sans relents de règlements de comptes. La levée de l’immunité parlementaire d’un élu est une démarche sérieuse qui doit obéir à des critères stricts de transparence et d’équité.
La question qui se pose alors est la suivante : ces procédures visent-elles réellement à assainir la gestion publique ou s’inscrivent-elles dans une dynamique de liquidation politique ?
Quoi qu’il en soit, cette tendance du nouveau régime à multiplier les poursuites contre des figures de l’opposition renforce le clivage politique et fragilise l’unité nationale. À l’heure où le Sénégal a besoin d’unité et de stabilité, la justice ne doit pas être perçue comme un instrument de revanche politique, mais comme un rempart impartial garantissant l’État de droit.
L’évolution de ces dossiers judiciaires sera déterminante pour l’avenir politique du pays. Le respect des principes démocratiques et des libertés individuelles doit rester une priorité afin d’éviter que la justice ne devienne une arme aux mains du pouvoir en place.

Quelle attitude pour les tenants du pouvoir ?

Pour assurer une reddition des comptes efficace et crédible, le gouvernement doit adopter une démarche rigoureuse, juste et transparente afin d’éviter toute perception d’acharnement politique.
Il est essentiel de garantir le respect de l’indépendance de la justice. Les poursuites judiciaires doivent être initiées et menées par des institutions indépendantes, sans pression politique. Le pouvoir exécutif doit veiller à ce que les enquêtes et les procès se déroulent dans le strict respect de l’État de droit.
Il convient également d’assurer une équité dans les poursuites. La lutte contre la corruption et l’impunité doit être globale et impartiale, touchant aussi bien les anciens dignitaires que les actuels dirigeants en cas de faute avérée. Cela éviterait l’impression d’une justice sélective.
De plus, le gouvernement doit mettre en place une stratégie de communication transparente et efficace. Il doit expliquer clairement les procédures engagées en publiant des éléments factuels et en évitant les discours vindicatifs. Une pédagogie autour des décisions de justice permettrait de dissiper les doutes et de rassurer les citoyens.
Par ailleurs, les institutions de contrôle doivent être privilégiées. Avant d’arriver aux sanctions pénales, des organismes comme la Cour des comptes ou l’OFNAC (Office National de Lutte contre la Fraude et la Corruption) doivent être pleinement impliqués pour évaluer objectivement les responsabilités.

Préserver la stabilité nationale

Dans un pays où la tension politique est souvent forte, il est crucial de ne pas exacerber les divisions. La justice ne doit pas être utilisée comme une arme de règlement de comptes, car cela pourrait alimenter la frustration et la radicalisation de l’opposition.
De même, les personnalités visées par ces procédures judiciaires doivent adopter une posture responsable et respectueuse des lois, tout en défendant leurs droits. Tout citoyen, quelle que soit sa fonction, doit répondre aux convocations judiciaires et coopérer avec les institutions chargées d’établir la vérité. L’exil ou le refus de répondre aux convocations judiciaires ne font qu’amplifier les suspicions.
Toutefois, ils sont libres d’utiliser les voies de recours légales en demandant des expertises indépendantes ou en contestant toute procédure jugée injuste devant les juridictions compétentes.
Cependant, la victimisation excessive, comme on l’a récemment observée, doit être évitée. Si certaines poursuites peuvent être politiquement motivées, une posture de persécution systématique peut discréditer la défense. Il est plus efficace de démontrer, preuves à l’appui, son innocence que d’alimenter la polarisation politique.
Par ailleurs, plutôt que d’encourager des tensions populaires, les leaders politiques poursuivis devraient privilégier un discours de responsabilité, évitant d’entraîner le pays dans une crise institutionnelle.

Quelle attitude pour le peuple sénégalais: attention à l’effet boomerang !

Les citoyens doivent adopter une posture de vigilance et de discernement pour ne pas tomber dans les manipulations politiques.
Il est crucial de garder un esprit critique et d’éviter de se laisser instrumentaliser. Les Sénégalais doivent analyser les faits de manière objective et ne pas prendre systématiquement parti pour un camp sans considérer les preuves et les arguments juridiques.
Le peuple doit exiger une justice impartiale qui ne cible ni n’épargne personne en fonction de son appartenance politique. La pression citoyenne doit être orientée vers l’exigence d’institutions fortes et non vers la défense aveugle d’individus.
Les manifestations et mobilisations politiques doivent se faire dans un cadre pacifique, sans violence ni vandalisme, afin d’éviter toute déstabilisation du pays.
Enfin, il est essentiel de s’informer de manière critique, de diversifier ses sources d’information et de ne pas se laisser influencer par des discours populistes ou complotistes. La vérité judiciaire doit primer sur les émotions et la désinformation.
C’est aux citoyens de jouer leur rôle de contre-pouvoir en s’impliquant activement dans la vie démocratique, en exigeant la transparence, la reddition des comptes et le respect des droits de tous, sans complaisance ni parti pris.
En adoptant ces postures, chaque acteur du jeu politique et judiciaire peut contribuer à renforcer la démocratie sénégalaise et à éviter que le pays ne bascule dans une crise de confiance aux conséquences imprévisibles.
L’affaire Ousmane Sonko où un simple fait divers, devenu bataille politico-judiciaire, a tenu en haleine le peuple sénégalais durant presque quatre ans et a failli faire basculer le Sénégal dans le pire.
Attention à l’effet boomerang !

Babou Biram Faye

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