Pétrole découvert au Sénégal : les choses se précisent

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febrilex

Pétrole découvert au Sénégal : les choses se précisent. L’opérateur écossais Cairn qui a découvert du pétrole, en association avec Petrosen, Far et Conocco Phillips (dont les parts ont récemment été rachetées par l’australien Woodside), au large de Sangomar à la fin de l’année 2014, a publié hier Mardi 16 Août,son rapport du 1er semestre. Cairn avait découvert deux gisements, SNE et FAN.

Il est indiqué dans ce rapport que suite aux forages d’évaluation (qui servent à préciser la taille du gisement de pétrole) qui ont été réalisés durant l’année 2015 et début 2016, les réserves récupérables (appelées « réserves 2C ») pour le gisement SNE s’élèvent à 473 Millions de barils de pétrole. Ce qui correspondrait, d’après un calcul basique, sur une période de 20 ans, à environ 65000 barils de pétrole / jour soit environ l’équivalent de l’actuel production journalière d’un pays comme le Cameroun, 12eme producteur africain de pétrole. Ces réserves récupérables ne sont en réalité qu’une partie (environ 40 %) du pétrole qui se trouve sous terre, car Dame Nature est comme ça : malgré toute la technologie du monde, elle ne vous donne pas tout et il devient, à un moment donné de la vie du gisement, trop coûteux de sortir le pétrole du gisement. D’où la notion de « réserves récupérables ».

Une nouvelle phase de forages d’évaluation pour préciser la taille des réserves récupérables est prévue par Cairn, elle débutera fin 2016 / début 2017 et devrait aboutir probablement à une augmentation du volume des réserves récupérables. Peut-être arriverons-nous à un total de 500 à 550 millions de barils pour SNE. Je ne traiterai pas ici le gisement FAN qui n’a pas encore été évalué de manière précise, même si ses réserves 2C tourneraient environ à 900 millions de barils, soit deux fois la taille de SNE.

La question clé : que gagnera le Sénégal ? Il s’agit là d’une évaluation que je tente. Et elle comporte beaucoup de conditions et sera sans doute fausse car je ne connais pas le futur, notamment le prix du baril qui change sans cesse, ni les changements fiscaux, ni le contenu détaillé du contrat entre Cairn, ses partenaires et l’Etat etc. Mais cette évaluation peut donner une idée et un ordre de grandeur plus ou moins fiable car je m’appuie sur des contrats pétroliers existants, des lectures spécialisées, une observation de ce qui se fait en général dans le monde pétrolier, les dispositions du code pétrolier sénégalais et les lectures de tous les rapports publiés par Cairn depuis fin 2014. Voici donc les conditions en question : * Si on part de réserves récupérables de 550 millions de barils, avec une production qui débutera en 2022.

Cairn, dans un document officiel, pense commencer la production entre 2021 et 2023. * Si la production s’étale sur 20 ans, soit 75 000 barils jours. (Cairn prévoit pour l’instant, dans un document officiel) entre 50 000 et 100 000 barils / jours) * Si le prix moyen du baril oscille autour 70 dollars (USD) à partir de 2022 et durant toute la période de production. * Si Petrosen (la société nationale des pétroles du Sénégal) augmente sa part du capital dans son association avec les autres compagnies pour passer de 10 % à l’heure actuelle à 20 % comme le lui permet le code pétrolier. Cela l’obligera d’une part à participer à hauteur de 20% des investissements pour les opérations pétrolières (exploration + production) et lui permettra d’autre part de toucher 20 % des bénéfices nets, comme n’importe quel actionnaire d’une société où il y’a des associés.

* Si l’association des compagnies qui va exploiter le gisement se rembourse les frais d’exploration qui ont été investis de 2014 à 2022 (début de la production) + les coûts de production après 2022 en prenant pour elle environ 55 % de la production comme pourrait le prévoir le contrat pétrolier entre l’Etat et l’association des compagnies. On appelle « Cost Oil » cet argent destiné à rembourser les opérations pétrolières. Ce chiffre de 55% est une estimation de ma part basée sur les taux du cost oil fixés par le code pétrolier. * Si la part du pétrole autre que le « Cost Oil », part que l’on appelle le « profit oil » et qui correspond aux 40 % restants hors remboursement, est partagé 50 / 50 entre l’Etat et l’association des compagnies.

Généralement quand la production tourne autour de 75000 barils/jours, c’est ce ratio de 50 /50 qui est appliqué sur le profit oil pour le « partage de production » entre l’Etat et l’association de compagnies. * Si l’Etat du Sénégal touche, dans le meilleur des cas prévus par le code pétrolier, environ 8 % de royalties (redevances), c’est à dire 8 % du montant de la production totale de pétrole. * Si l’Etat touche 30% des bénéfices réalisés par l’association de compagnies.

Ces 30 % correspondent à l’impôt sur les sociétés (IS) que toute société doit payer à l’Etat. Je néglige volontairement d’autres postes de recettes comme la subvention à la formation (environ 200 000 dollars par an versés à Petrosen), ou encore le volet RSE (environ 150 000 dollars par an) destiné aux populations ou encore la location du périmètre pétrolier (15 dollars/km◊/an sur le permis pétrolier).

Ces rentrées sont importantes dans le rôle qu’elles jouent (formation, RSE) mais demeurent négligeables sur le long terme vu les volumes en question. Ce qui donne, de manière très simplifiée : Chiffre d’affaire/jour = 75 000 barils x 70 dollars = 5.25 Millions USD Chiffre d’affaire/année = 5.25 millions x 365 = 1916 millions de dollars Cost Oil/jour = 5.25 millions x 55 % = 2.88 millions USD Profit Oil total/jour = 5.25 millions – 2.88 millions = 2.37 millions USD Profil Oil de l’association des compagnies/jour = 2.37 millions x 50 % = 1.185 millions USD Profit Oil de l’association des compagnies/année = 1.185 millions x 365 = 432,5 millions USD Profit Oil de l’Etat/jour = 1.185 millions USD Profit Oil de l’Etat/année = 1.185 millions x 365 = 432.5 millions USD Royalties (redevances) de l’Etat /jour = 5.25 millions x 8% = 0.42 Millions USD Royalties de l’Etat /année = 0.42 millions x 365 = 153.3 millions USD Impôt sur les sociétés (IS) gagné par l’Etat sur le profit Oil annuel de l’association des compagnies = 432.5 millions x 30 % = 129.75 millions USD Bénéfice net annuel de l’association de compagnies = Profit oil annuel – IS = 432.5 – 129.75 = 302.75 millions USD Part annuelle de Petrosen (donc indirectement de l’Etat) dans le Cost Oil = 2.88 millions x 20 % x 365 = 210.24 millions USD Dividendes annuels de Petrosen (donc indirectement de l’Etat) dans le bénéfice net = 302.75 millions x 20% = 60.55 millions USD Dividendes annuels des autres compagnies (Cairn, Woodside, FAR) dans le bénéfice net = 302.75 – 60.55 = 242.2 millions USD Total part annuelle de l’Etat = Royalties annuel + Profit oil annuel + Impôt sur les sociétés + Part de Petrosen dans le cost oil + Dividendes de Petrosen = 153.3 + 432.5 + 129.75 + 210.24 + 60.55 = 986.34 millions de dollars par an.

Ces 986.34 millions de dollars sont l’équivalent de 51 % du montant total du Pétrole qui sera produit. Cela revient à dire, si on part sur mes estimations, qu’environ 51 % du pétrole sous terre, découvert par Cairn, iront sous forme d’argent dans les caisses de l’Etat et 49 % dans les caisses des compagnies étrangères. Dans un pays comme l’Indonésie, la part finale qui revient à l’Etat est d’environ 75 %, 25 % pour les compagnies étrangères.

Cette différence est due à l’expertise indonésienne, la qualité de leurs ressources humaines et de leur savoir-faire financier, technique qui leur a permis progressivement d’augmenter la part totale revenant à l’Etat au cours des années. Le Sénégal doit donc à mon avis anticiper, renforcer Petrosen qui sera notre bras armé technique et financier dans l’association des compagnies, former des ingénieurs, des économistes de l’énergie, rapatrier les ressources humaines sénégalaises de qualité dans ce domaine où qu’elles soient dans le monde et surtout avoir une société civile vigilante qui veillera sur l’utilisation de l’argent qui sera ramené par le Pétrole. Car 986,34 millions de dollars c’est environ 573 milliards de FCFA.

Si l’on rajoute au gisement de SNE, celui de FAN, découvert aussi par Cairn et qui semble être deux fois plus gros en taille, et que l’on repart sur la même hypothèse de calcul simplifié, on peut penser que FAN rapportera autour de 1150 milliards de FCFA soit un total FAN + SNE de 1723 milliards. Cela représente plus la moitié de l’actuel budget du Sénégal.

Avec tout cet argent, nous pourrions réinvestir dans les énergies renouvelables qui sont la seule voie de salut écologique et économique sur le long terme, améliorer l’accès à la santé ( le budget du Ministère de la Santé est actuellement de 150 milliards), créer de nouvelles universités, faire moins d’importations et soutenir l’agriculture et la petite industrie/artisanerie locale, créer un fonds bloqué pour les générations futures, améliorer nos villes, promouvoir et financer la culture etc. Le pétrole ne sera une malédiction que si nous en décidons ainsi. Il peut être une formidable opportunité pour les sénégalais d’aujourd’hui et de demain. Les dirigeants sénégalais actuels et futurs, ainsi que le peuple, ont le devoir de ne pas dilapider ce trésor géologique que la nature a mis des millions d’années à créer.

Fary Ndao Ingénieur géologue

fary.ndao@gmail.com

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