Nomination du Lt-colonel Daouda Diop comme Dap : La révolte de cadres pénitentiaires
Suite à la nomination du Lieutenant-colonel Daouda Diop comme Directeur de l’administration pénitentiaire, en remplacement du magistrat, Cheikh Tidiane Diallo, plusieurs cadres pénitentiaires, directeurs de plusieurs établissements pénitentiaires du pays, ont signé une lettre conjointe, pour dénoncer ce qu’ils appellent une « décision inopportune, inélégante et très mal accueillie par la famille pénitentiaire ». Voici leur lettre.
« Le décret pris par son Excellence le président Macky SALL, ce mercredi 09/12/15 en conseil des ministres, nommant le Lieutenant-colonel Daouda DIOP comme Directeur de l’Administration pénitentiaire (DAP) est une décision inopportune, inélégante et très mal accueillie par la famille pénitentiaire.
Inopportune parce que tout simplement la décision de nomination est tombée à un moment de la vie pénitentiaire où on l’attend le moins. L’Administration pénitentiaire étant dans un processus d’évolution historique vers l’autonomisation et la modernisation de son service public, attendait plutôt en cette période une mesure beaucoup plus réfléchie de la part de l’autorité suprême afin de favoriser la bonne marche de cette évolution.
En effet, créée par décret 62-0209 du 28 décembre 1962 d’abord comme service de l’Administration pénitentiaire et de l’éducation surveillée au sein du Ministère de la Justice, l’Administration pénitentiaire sera ensuite logée au Ministère de l’Intérieur sous l’appellation de service de l’Administration pénitentiaire, avant d’être érigée finalement en Direction, le 28 juin 1971.
Vingt sept (27) années plus tard, précisément le 17 janvier 1998, l’Administration pénitentiaire revient sous le contrôle du ministère de la Justice, suite à la décision de l’État de confier au pouvoir judiciaire, gardien des droits et libertés individuelles, le contrôle de l’exécution de la peine et de prévoir son intervention dans la mise en œuvre de la sanction pénale tant en détention qu’en milieu ouvert.
Durant toutes ces périodes et même bien avant l’indépendance, les prisons étaient respectivement sous la tutelle de la Police et de la Gendarmerie nationale. Il a fallu attendre en 1972 pour que la gestion des prisons soit confiée à de véritables professionnels imprégnés de la spécificité pénitentiaire (le corps de l’Administration pénitentiaire créé par la loi 72-23 du 19 avril 1972 relative au statut du personnel de l’Administration pénitentiaire).
Pour rappel, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui le corps de l’Administration pénitentiaire a toujours été dirigé par des éléments étrangers et ce regard de l’autorité suprême de l’État vers l’extérieur pouvait se comprendre, car le corps de l’Administration pénitentiaire ne disposait pas de cadres de la hiérarchie A1 (rang des colonels et des commissaires de police).
Toutefois aujourd’hui quand on sait que le grade d’officier supérieur est obtenu grâce à la diligence du gouvernement libéral de Maître Abdoulaye WADE, il n’est donc plus opportun de reconduire à la tête de l’institution pénitentiaire un policier, un magistrat ou un gendarme qui sont tous des fonctionnaires beaucoup plus initiés à la répression qu’au traitement de la peine. Voilà donc tout le sens de l’inopportunité de la mesure prise par le Président Macky SALL, qui par ce décret de nomination, faut il le dire, vient de mettre un coup d’arrêt à l’évolution du service public pénitentiaire et par ricochet renvoie l’Administration pénitentiaire à la case de départ depuis 1962.
La nomination du Lieutenant-colonel reste également une décision inélégante. D’une part, parce qu’en 2002 lorsqu’il (lieutenant-colonel) était un simple commandant de brigade, certains cadres supérieurs de l’Administration pénitentiaire avaient déjà totalisé plus de vingt années d’expérience professionnelle en qualité d’officiers. Donc, en termes d’ancienneté et compétence il n’y a pas photo?;
D’autre part Monsieur DIOP, faut – il encore le répéter, est un gendarme de formation quelque soient ses qualités humaines et non un professionnel des métiers pénitentiaires. Et l’on voit qu’au Sénégal tous les corps militaires et paramilitaires sont commandés et administrés par un des leurs?; alors pourquoi ne pas vouloir envisager le même style de management dans le corps de l’Administration pénitentiaire, d’autant plus que ce dernier dispose maintenant suffisamment d’experts et de cadres recrutés sur la base de la maitrise classique ou Master II, formés à l’École de Police au même titre que les commissaires et bénéficiant de plusieurs autres formations capacitances à l’École Nationale d’Administration pénitentiaire de France, sans compter les années d’expériences professionnelles qu’ils ont acquises dans les missions onusiennes.
Pourquoi donc l’autorité suprême refuse — t — elle toujours de nous confier la direction du service public pénitentiaire alors que nous connaissons et maîtrisons mieux que n’importe quel autre fonctionnaire dans ce pays la gestion des prisons et des personnes détenues. Pourquoi??
Pourquoi aussi cette volonté toujours affichée d’humilier, de déshonorer tout un corps composé de braves hommes et de femmes compétents et professionnels qui ont tout donné à leur nation en participant activement à la neutralisation des citoyens mal intentionnés et à la sécurité du pays et ceci sans bruit ni trompette.
C’est cette attitude malheureuse et non féconde adoptée depuis longtemps par l’autorité suprême que nous voulons dénoncer ici devant l’opinion publique sénégalaise, car cette nomination a déjà créé le malaise au sein de la famille pénitentiaire et pourra entrainer dans un futur proche, si rien n’est corrigé, des conséquences fâcheuses dans le fonctionnement actuel de l’institution pénitentiaire. Et en tant que cadres de l’Administration pénitentiaire, nous sommes déterminés ou fortement engagés à lutter contre l’humiliation, l’inconsidération et le déshonneur dont est toujours victime l’Administration pénitentiaire ».