Nigéria: Général Président Yacubu GOWON ; héros pour toujours, héros malgré tout.
«Si vous ne pouvez pas étouffer des desseins dans l’œuf, ni briser ses alliances, lorsqu’elles sont sur le point d’être conclues, aiguisez vos armes afin de remporter la victoire».
Sun TZU «L’art de la guerre».
Général Yacubu GOWON
En Afrique, très particulièrement, il y a une certaine habitude de mettre de côté des héros, les isoler, les oublier dès qu’ils ne sont plus en service et de se rappeler subitement leurs faits d’armes, leurs glorieuses époques, une fois qu’ils sont morts. Portons haut nos héros et apportons la lumière à la nouvelle génération loin des fables et des légendes parce qu’ils sont encore en vie, surtout qu’ils sont encore en vie, vieux mais vivants, le plus souvent seuls ou isolés ou oubliés.
Ce nouveau regard que nous devons poser sur l’Afrique commence d’abord, et c’est ma conviction profonde, par une réappropriation de notre histoire, en passant par l’analyse profonde des faits et actes du passé et rendre hommage aux méritants nonobstant les douleurs et déchirures vécues.
L’ancien Président du Nigéria, le Général Yacubu GOWON (1966 – 1975) est de ceux-là, et pour une raison particulière. Il est vrai qu’il était venu au pouvoir par un coup d’état, cependant il a su tenir, au moment où ce n’était pas évident, tenir pour maintenir l’unité de ce grand pays d’Afrique. Il est vrai que les puissances impérialistes de l’Europe ont trouvé sur la terre africaine des royaumes, nombreux mais organisés et ont tracé les frontières selon leurs convenances et leurs ententes. Ainsi et subitement, beaucoup de micro-nations ses sont retrouvées à l’intérieur d’une même entité administrative avec des groupes ethniques différents, des religions différentes. Et dès l’indépendance, des querelles apparurent. Ce fut le cas au Nigéria, où des Coups d’état se sont succédés sur plusieurs années à un rythme soutenu.
De 1960, année de l’indépendance, à la fin des années 1990, les bruits de bottes ont battu la musique, plus d’une dizaine de fois. Il a fallu attendre 1999 pour que l’élection du « militaire civilisé » Olesegun OBASANJO ouvre des perspectives intéressantes au niveau de cette puissance d’Afrique. Dans cette Afrique nouvellement indépendante et dans ce pays aux réalités toutes particulières et dont l’armée n’a pas pu échapper à l’esprit des divisions ethniques et régionales, réussir à tenir tête à une rébellion séparatiste soutenue par un conglomérant de pays opportunistes, relève de l’héroïsme et de la disposition d’un sens aigu de l’organisation et de rigueur. Compte tenu des réalités ethniques et territoriales du Nigéria et du contexte de l’époque (six ans seulement après l’accession à l’indépendance), le coup d’état du Général Johnson Aguiyi-IRONSI en janvier 1966 était prématuré. Mieux, sa méthode de diriger, le choix des stratégies, le fait d’avoir consacré le pouvoir au niveau de son gouvernement à majorité Ibo relevait d’un empressement et d’une erreur de jugement. Le fait qu’une grande partie de la population Ibo ait longtemps souffert pouvait pousser IRONSI à réclamer plus de démocratie, de transparence, d’unité et d’ouverture, mais cela ne justifiait pas la suppression des structures fédérales et une attitude plus communautariste et sectaire.
C’est dans ces conditions toutes particulières et porteuses de germe de division, qu’un autre groupe de militaire majoritairement origine du Nord renversa IRONSI et installa Yacubu GOWON, à l’époque lieutenant-colonel, aux commandes. Voici un fait quand même remarquable. Même originaire du Nord, GOWON était chrétien, dans une zone à forte dominante musulmane. La personnalité du nouveau Chef de l’Etat et qui n’avait pas encore le grade le plus élevé dans l’armée inspirait-il confiance ? Dans tous les cas il a pu manager pour diriger cette république fédérale et en menant, face aux séparatistes l’une des guerres les plus meurtrières d’Afrique, meurtrière certes mais qui a empêché la répartition du pays.
A la suite de cela, des représailles ont eu lieu. De nombreux Ibos (ou Igbos) furent pourchassés, tués et contraints à une autre vague d’exil. Ils ont préféré se regrouper dans le Sud-Est où ils sont majoritaires. Ces événements contenaient déjà des gens de la terrible guerre du Biafra.
En 1967, les Ibos, considérant comme longtemps persécutés et errants et forts du développement économique de leur région, notamment avec la découverte des nombreux gisements de pétrole furent sécession et créèrent l’Etat du Biafra avec l’impulsion du Colonel Odumegwu Emeka OJUKWU qui était jusque-là Gouverneur militaire de la région de l’est. Convaincu et déterminé, sans doute conscient de ses nombreux soutiens, le Colonel OJUKWU, dans une déclaration qui résume tout laissa entendre ceci : « Si la guerre éclate, et je pense qu’elle est imminente, ce sera pour nous la voie vers la liberté. Cela fait très longtemps que notre peuple se prépare à cette éventualité et je suis sûr qu’il est prêt. Je pense que lorsque cela se produira, l’autre camp sera surpris de ce qu’il va prendre. Je ne pense pas que la guerre durera longtemps ». Ces propos témoignent de la profonde de la cassure, du mal-vivre : « notre peuple, notre voie vers la liberté », « l’autre camp » …
Pour montrer sa détermination, fruit peut-être d’une longue préparation, les autorités militaires de l’Etat séparatiste lancèrent les premières attaques. Et là, GOWON, 33 ans à l’époque (impressionné aussi par l’âge relativement jeune des protagonistes ; OJUKWU aussi avait 34 ans) se montra déterminé sous ses habits de leader. Selon lui, « C’est fondamentalement une opération policière et non une guerre civile. Nous essayons d’écraser une rébellion. Nous voulons l’anéantir pour permettre au pays de revenir à la normalité, de maintenir le Nigéria dans ses frontières. Ce combat a pour but de maintenir la cohésion du pays pour qu’il reste une nation unie ». A première vue, on est tenté à conclure qu’il minimisait l’opération. Au fond il en est rien. Il est conscient des enjeux et de tout ce qui se joue ou pourrait se jouer derrière. En bon capitaine de bateau, il a montré qu’il avait une maîtrise de la situation, malgré les zones de fortes turbulences. En le faisant, il rassure ses troupes et apaise l’inquiétude de millions de personnes. Et c’est aussi un message fort lancé à certaines autres puissances occidentales qui, avec des intérêts manifestement obscurs mais visibles, voulaient voir la répartition du grand Nigéria.
Cette guerre qui ne laissa pas indifférentes certaines grandes puissances et plusieurs pays africains fraichement indépendants, a su montrer les opportunismes les plus poussés, même si difficilement cachés comme dans les figures du palimpseste.
Quand OJUKWU et ses partisans proclamèrent le 30 mai 1967 l’indépendance du Biafra, la France du Général y vit une occasion d’affaiblir ce « géant anglophone » en Afrique qu’est le Nigéria. Non seulement celui qui accompagnait les anciennes colonies françaises vers l’indépendance voulait continuer à contrôler les nouveaux Etats indépendants (ses anciennes colonies) mais aussi et surtout, il voulait par stratégie, limiter l’influence des britanniques dans cette partie d’Afrique. L’occasion faisant le larron. C’était une « guerre douce » entre les grandes puissances. Et DE GAULLE entraina les chefs d’Etats africains, ses « amis » : Felix Houphouët BOIGNY de la Côte d’Ivoire et Omar Bongo du Gabon. Du côté Biafra, on retrouvait aussi la Tanzanie de Julius NYERE et la Zambie (ancienne Rhodésie du Nord) nouvellement indépendante, Chine et Haïti. Du côté fédéral, il y avait des appuis, de la Russie, du Royaume-Uni et des Etats-Unis.
Il n’était pas facile en apparence pour GOWON et ses troupes de faire face à cette crise, compte tenu que la plupart des pays africains qui se sont manifestés étaient du côté des séparatistes dont certains facilitaient la livraison d’armes envoyées par la France. Il est cependant vrai que la guerre est toujours un désastre où périssent des innocents, des hommes et des femmes qui sont loin de comprendre ou d’accepter les enjeux. La guerre du Biafra fut longue et meurtrière (1 à 2 millions de victimes). Pour la première fois en Afrique, le monde découvrit des images insoutenables d’enfants affamés, aux yeux hagards. Cette famine a été largement accentuée par le blocus du Biafra. L’armée régulière du Nigéria avait coupé aux séparatistes tout accès à la mer au cours des opérations militaires. Sur ce point de l’histoire, les éclairages de l’écrivain nigérian, et prix Nobel de littérature Wole SOYINKA (interrogé par France 5 en 2010) sont d’une haute importance. Pour SOYINKA, la guerre civile était complétement immorale. Pour lui, les Ibos très largement majoritaires au Biafra avaient connu auparavant deux vagues de massacres, ils étaient harcelés. Mais la décision de créer un Etat indépendant était une erreur politique même si elle n’était pas immorale, ils avaient des raisons de se révolter mais leur méthode n’était pas la bonne. SOYINKA et d’autres écrivains avaient vainement tenté une médiation. Cet affrontement a causé des souffrances. C’est bien dommage. Mais à la fin ce qu’il convient de retenir est que l’Etat séparatiste n’a pas remporté la victoire, le Nigéria est resté uni. Si les choses s’étaient passées autrement, le pays le plus peuplé d’Afrique offrirait au reste du continent un mauvais exemple qui risquerait de faire tache d’huile. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les propos du Général GOWON annonçant la fin de la guerre : « la bataille a été longue et acharnée mais elle s’est terminée par la victoire du bon sens, la victoire de l’unité du pays. » Un pays qu’il faudra reconstruire. J’admire la ténacité et le discours de ce président, alors Colonel et âgé de 36 ans.
Mieux, accueillant, un responsable de l’Etat biafrais défait, et après la faute de OJUKWU, GOWON dans une chaude poignée de main lui offrit un large sourire, sentiment fraternel vis a à vis, avec un : « Welcome back home » très chaleureux.
Cette ténacité face à l’adversité n’a pas seulement été le point fort du Président GOWON. Bien avant le déclenchement de la guerre et lorsque la situation est devenue délétère, les renseignements disponibles quant à la volonté des biafrais, il a entrepris des missions de médiation en contactant beaucoup de chefs d’Etats africains, plus âgés que lui et certainement plus expérimentés dans le domaine politique. C’est ainsi et selon les témoignages de l’ancien président du Sénégal Abdou DIOUF, « Ainsi devant les déchirures de la nation nigériane, le Général GOWON avait dépêché à la mi-mars (1967) auprès du Président SENGHOR le Docteur ARIKPO, Commissaire aux relations extérieures du Nigéria quelques jours seulement après la venue discrète à Dakar du Docteur AZIKIWE, ancien Président du Nigéria. Ces visites avaient été suivies par celle que Maître Léon BOISSIER-PALUM, envoyé spécial du président Senghor, avait effectué au Nigéria à la fin du mois de mars. Malgré toutes les tractations, à la fin du mois de mai 1967, le Lieutenant-Colonel Odumegwu OJUKWU proclama l’indépendance du Biafra, région située à l’Est du Nigéria. », (mémoires du Président Abdou DIOUF). Il est clair donc que le Président SENGHOR du Sénégal a été très net dès le début de cette guerre de sécession en se plaçant tout de suite du côté de l’unité du Nigéria. Il y va aussi de beaucoup d’autres chefs d’Etat, de façon ferme et discrète.
Ibos, haoussa, fulani, kanouri, yoruba et toutes les autres communautés sont frères et sœurs, chrétiens et musulmans, ils sont tous nigérians, tous africains. Cette diversité de communautés et de langues est une richesse, doit être une source richesse et non de division. J’admire ce qui se passe actuellement au Nigéria mis à part les actions insoutenables et incompréhensibles de Boko haram que le gouvernement fédéral et les autres pays africains doivent continuer de combattre de toutes leurs forces. Que l’âme de Odumegu Emeka OJUKWU repose en paix et qu’il continue aussi d’être honoré et respecté par tous les nigérians au-delà de toute appartenance.
Par ailleurs, des hommages mérités doivent lui être rendus pour avoir été l’un des pères fondateurs de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une organisation qui ne pouvait pas bien naître et prospérer sans l’onction et la détermination de cette première puissance de la partie occidentale de l’Afrique. Et dès le début il s’est toujours soucié des organisations panafricaines. Il a été le moteur du processus et a donné coup à cette mission jusqu’à son renversement par MURTALA Mohamed lors du coup d’Etat de juillet 1975.
Amadou Tidiane FALL
Administrateur civil
Titulaire d’un DEA en philosophie politique
Doctorant en Géopolitique, relations internationales et diplomatie
atfall70@gmail.com