Modernisation de l’Administration Sénégalaise: Passer des Promesses à l’Action »

0


En début de semaine passée, la Conférence des Administrateurs et Managers Publics a permis de réunir autour du Président de la République et de son Premier ministre les acteurs clés de l’administration sénégalaise. Ce rendez-vous stratégique a ouvert une réflexion essentielle : comment moderniser l’administration publique pour qu’elle réponde aux besoins croissants des citoyens et accompagne les mutations économiques et sociales du pays ? Ce chantier, aussi nécessaire qu’ambitieux, appelle à des réponses concrètes et structurées pour surmonter les défis persistants.
Depuis des décennies, des plans ambitieux ont été formulés et des discours prometteurs prononcés. Pourtant, dans la réalité, les citoyens continuent de se heurter à une administration souvent perçue comme lourde, inefficace et déconnectée de leurs besoins réels. Moderniser l’administration publique n’est plus une option : c’est une nécessité impérieuse. Alors, pourquoi ce chantier semble-t-il éternellement inachevé ? Quels obstacles freinent sa mise en œuvre et quelles solutions concrètes pourraient transformer cette ambition en une réalité palpable ?
Le Sénégal regorge de diagnostics détaillés sur les réformes administratives, évoquant tantôt la refondation, tantôt le renouveau du service public. Ces analyses mettent régulièrement en lumière les mêmes faiblesses : duplication des compétences, archaïsme des procédures, infrastructures numériques insuffisantes et sous-utilisation des ressources humaines. Malgré ces constats bien connus, l’administration semble enfermée dans un cercle vicieux où les réformes stagnent au stade de l’intention. La principale faiblesse réside dans l’opérationnalisation. Trop souvent, des obstacles comme le manque de coordination, la résistance au changement et l’insuffisance des moyens financiers et techniques empêchent les idées de se concrétiser. Dans un monde de plus en plus globalisé, une administration incapable d’évoluer avec son environnement risque de rester à la traîne des attentes croissantes de ses citoyens.
La digitalisation est fréquemment présentée comme une solution incontournable pour moderniser l’administration. Et il est vrai qu’un portail unique regroupant toutes les démarches administratives pourrait grandement simplifier la vie des usagers. Cependant, numériser des processus inefficaces revient à reproduire les mêmes failles sous une forme différente. Avant de penser numérique, il est essentiel de penser simplification. Cela implique une révision approfondie des procédures pour éliminer les étapes inutiles et adapter les services aux besoins réels des usagers. Par ailleurs, une digitalisation réussie ne peut se faire sans des infrastructures robustes et accessibles dans tout le pays, y compris dans les zones rurales. Le numérique doit être pensé comme un levier d’équité sociale et non comme un luxe réservé aux zones urbaines. En ce sens, la digitalisation pourrait également être un outil pour renforcer la décentralisation, en rapprochant les services administratifs des citoyens.

Le transfert de compétences aux collectivités locales, une autre priorité souvent évoquée, reste largement inachevé. Donner des responsabilités aux collectivités sans leur fournir les moyens humains, techniques et financiers pour les assumer revient à leur confier des missions impossibles. Une véritable décentralisation nécessite un soutien continu et des ressources adéquates. La mise en place de guichets uniques régionaux, correctement équipés et intégrés dans une dynamique nationale cohérente, pourrait rapprocher l’administration des citoyens et réduire les disparités territoriales. Cependant, pour éviter que les écarts de capacité entre collectivités locales n’amplifient les inégalités, une gouvernance renforcée et une formation adaptée des acteurs locaux sont indispensables.
Une administration moderne repose avant tout sur ses ressources humaines. Les agents publics, souvent ignorés dans les réformes, sont pourtant les premiers à être concernés. Trop souvent, les réformes sont imposées d’en haut, sans consultation ni formation adéquate, ce qui génère des résistances naturelles au changement. Pour réussir, il est crucial de les impliquer dès le départ et de leur fournir les outils nécessaires pour devenir des acteurs clés de la transformation. Cela passe par une formation continue adaptée aux nouvelles technologies et aux exigences des réformes, mais aussi par l’introduction de systèmes d’évaluation et de motivation axés sur la performance. La formation des futurs cadres administratifs doit également être repensée pour inclure des compétences en gestion stratégique, en leadership et en innovation. Ce repositionnement des agents publics en véritables piliers de la modernisation renforcerait l’efficacité et la crédibilité de l’administration.
Aucune réforme ne peut aboutir sans un mécanisme de suivi et d’évaluation rigoureux. Définir des indicateurs de performance clairs permettrait de mesurer l’impact des transformations et d’ajuster les stratégies en fonction des résultats. Ce suivi ne doit pas être limité à l’administration elle-même : les citoyens doivent également être impliqués, par le biais de plateformes participatives ou d’enquêtes régulières. Cela renforcerait la transparence et contribuerait à restaurer la confiance entre les usagers et leurs institutions publiques. Un suivi rigoureux permettrait également de prévenir les dérives souvent associées à une mise en œuvre désordonnée tout en s’adaptant aux besoins évolutifs des citoyens.
Enfin, la modernisation de l’administration publique ne peut être envisagée comme une initiative ponctuelle. Elle doit s’inscrire dans une vision stratégique et de long terme. Anticiper les défis futurs liés à la croissance démographique, aux évolutions technologiques et aux exigences environnementales est indispensable pour construire un système administratif agile, adaptable et résilient.
C’est dans cette optique que le Président de la République Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko sont attendus : en dépassant les approches traditionnelles et en insufflant une culture de l’efficacité et de la redevabilité. La création ou la réactivation d’une cellule de pilotage des réformes, dotée des moyens nécessaires pour coordonner les efforts et résoudre les blocages, pourrait jouer un rôle clé dans cette transformation. Cette structure incarnerait le lien essentiel entre les idées stratégiques et leur mise en œuvre sur le terrain.
La modernisation de l’administration publique est un défi complexe, mais elle représente une opportunité unique de construire une administration performante, inclusive et adaptée aux besoins des citoyens. Ce n’est pas seulement une nécessité : c’est une obligation. Avec une méthodologie rigoureuse, une mobilisation collective et une exécution disciplinée, le Sénégal peut transformer cette ambition en une réalité tangible, visible et durable. Il ne s’agit plus de promesses, mais d’actions concrètes pour une administration au service de tous.
HADY TRAORE
Consultant en Gestion Stratégique et Politique Publique-Canada

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *