Lettre du martyr de Rebeus  Ibrahima Mbow au chef de l’état du Sénégal.

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Monsieur, Président de la république du Sénégal,

Je vous écris de Nafiland, Le Sénégal de l’au-delà où coulent le lait et le miel. Mon nom était Ibrahima Mbow,  sénégalais, âgé de trente trois ans, j’étais  marié soutien de famille, père d’une fillette de six ans à présent terriblement orpheline.

J’étais un tâcheron consciencieux sur qui comptait sa pauvre mère. Je croyais être un citoyen sénégalais à part entière car je fus de ceux dont l’humble voix a participé au suffrage qui vous a choisi temporairement dans la ferveur de l’espérance; pour que vous meniez notre nation au tournant décisif où  devrait naitre la mort du népotisme, l’éclosion définitive de l’égalité des sénégalais et le respect inaliénable de leurs droits dont les plus importants sont leurs libertés.  Jusqu’à ce qu’accusé de recel d’un mouton que je venais d’acheter la veille de tabaski et que sans aucune preuve ni présomption sérieuse ; je me sois retrouvé après de dures péripéties, embastillé de manière légère et rocambolesque au mouroir de Rebeuss, véritable fabrique de loques humaines ; où sont enterrés vivants, des centaines de présumés innocents. Jusqu’à ce que je sois  emmuré malade, sans arme et sans défense. Jusqu’à ce que je reçus sans aucune justification deux balles qui m’expédièrent au royaume des martyrs; je ne savais vraiment pas que j’étais moins que rien, c’est-à-dire un sénégalais de troisième zone, comme tous ces détenus préventifs dont les atroces souffrances m’avaient déjà mortifié, le temps fugitif que j’ai partagé avec eux. Eux qui sont coupés de leurs familles et de leur vie, pendant plus d’une décennie quelquefois, traités comme des criminels, il leur est sadiquement volé le droit à la présomption d’innocence. Monsieur le président de la république, je ne vous écris pas pour me plaindre, car nul n’ignore que les martyrs ont un sort bien enviable. Nous voguons dans l’extase et la béatitude dés que nous franchissons la porte de la mort derrière laquelle pourtant s’agglutineront indubitablement tous les vivants plus tôt qu’ils le pensent, avec des sorts bien divers, quelques fois admirables, comme ceux de ces intellectuels qui auraient mérité de leur peuple. Bien sûr, Monsieur le président des bévues de gardes chiourmes à la responsabilité de l’autorité supérieure, il est bien aisé et facile de se donner bonne conscience en s’en lavant les mains. Mais s’en laver les mains après que l’agneau du sacrifice ait été envoyé à la crucifixion, impliquerait la responsabilité de celui qui détient le pouvoir. Que serait donc ce ‘‘Ponce-pilatisme’’? Sinon que «Laisser faire», synonyme  de «Laisser faire faire ». Dans le royaume de la lucidité où je me trouve dépourvu de toute passion Je voudrais bien Monsieur le président de la république qu’il vous échoie la charge herculéenne de nettoyer les écuries d’Augias et  prouesse qui consiste à assainir ce mouroir de Rebeus ainsi que toutes les voies et stations qui y mènent (de la police au tribunal) afin  qu’aucun homme sur notre territoire ne soit plus envoyé au bagne pour une détention préventive. De sorte que les sénégalais et ces autres qui vivent parmi nous, recouvrent leur dignité et leur fierté sans lesquelles vivre serait bien vain et gouverner, fort malaisé. Comme l’augure mes trente trois de vie; Puissé-je avoir été l’agneau du sacrifice dont le sort aura impulsé l’élévation de la république, ainsi que la réhabilitation de tous les sénégalais de troisième zone ! Vive l’égalité !

Adieu Monsieur Président de la république !

Patriotiquement vôtre

Papa Amadou Ndiaye

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