Les dangereuses improvisations antiterroristes du Président Macky Sall
Alors qu’il avait très peu réagi face à l’invasion du Mali par les troupes islamistes, le Président Macky Sall semble enfin prendre au sérieux la menace terroriste. Il y a eu une vague d’arrestation d’imams liés à Boko haram et il a prononcé un discours important définissant la doctrine antiterroriste du pays.
Le texte que l’on trouve sur le site de la présidence de la République ne correspond certes pas au discours rapporté par la presse sénégalaise. Si l’on en croit le quotidien national Le Soleil mais également le site web www.seneweb.com le président de la République semble avoir improvisé, ajoutant quelques idées importantes au texte écrit par ses conseillers et qui a été posté sur le site de la Présidence. Malgré tout, cette improvisation semble nous avoir doté d’une doctrine antiterroriste et ce, d’autant plus que les discours subséquents du ministre de l’Intérieur et le soutien de Y’ en a marre semble confirmer que c’est là, la position officielle de l’Etat du Sénégal.
Sur Seneweb, nous apprenons que le chef de l’Etat aurait dit : «A coté de ces politiques, il faut développer un discours philosophique et théologique. Cela nécessite une formation des imams dans le sens d’un islam tolérant. Et c’est le modèle d’Islam que nous, nous avons adopté depuis que l’Islam a été introduit en Afrique, en tout cas en Afrique de l’Ouest. C’est un Islam tolérant. Nous ne saurions donc accepter chez nous qu’on vienne nous imposer une autre forme de religion. On a jusque-là connu un Islam modéré et tolérant. Donc, ça c’est une question de la société toute entière. Ce n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, mais lorsque l’on voit des formes nouvelles, par exemple le port de voile intégral dans notre société, alors que ça ne correspond ni à notre culture, ni à nos traditions, ni même à nos conceptions de l’Islam, nous devons avoir le courage de combattre cette forme excessive d’imposer. De toute façon, c’est le même refus que je pose à d’autres modèles qu’on veut nous imposer. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas accepter que des modèles qui nous viennent, je ne sais d’où, soient imposées en Afrique».
http://seneweb.com/news/Religion/macky-sall-s-rsquo-oppose-au-port-integr_n_167858.html
Le Soleil quant à lui fait dire au président de la République : «Nous devrons travailler sur les pays qui ont le même modèle islamique.» «Nous avons aussi besoin d’une collaboration pour mettre en place des académies et des écoles. Il est nécessaire d’avoir un volet dans la formation des élites, pas seulement des imams dans cette bataille psychologique».
Le chef de l’Etat sénégalais a rappelé que la lutte contre le terrorisme doit être «l’affaire de toute la société» en faisant la distinction entre l’Islam africain et l’Islam d’ailleurs, fustigeant le «port du voile intégral qui n’est pas africain et ni conforme à notre culture». «Nous devons avoir le courage de combattre et de ne pas accepter une autre forme de l’Islam que l’Islam tolérant que nous connaissons même s’il y a des gens prompts à financer. La société civile et la classe politique doivent être à l’avant-garde de ce combat. J’invite la classe politique à faire très attention sur la question de l’arrestation des imams à laquelle nous venons de procéder. Nous ne saurions également tolérer un certain type de discours de politique politicienne», a averti le Président Sall.
http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=44464:forum-international-sur-la-paix-et-la-securite-mobilisation-generale-de-la-societe-contre-lextremisme-religieux&catid=78:a-la-une&Itemid=255
Autant la légèreté avec laquelle notre classe politique traitait la question du terrorisme était effrayante, autant les présidentielles improvisations de M. Macky Sall sont inquiétantes et, pour tout dire, potentiellement dangereuses pour le pays. La première raison pour laquelle on devrait s’inquiéter, c’est qu’une doctrine antiterroriste devrait être pensée et minutieusement préparée. Il est alors pour le moins étonnant que le discours prononcé par le chef de l’Etat ne corresponde pas mot pour mot avec celui qui se trouve publié sur le site de la Présidence de la République.
Au-delà de cet aspect léger, le contenu même du discours de la République ne manque pas d’augurer des heures sombres pour les idées qui sont jusqu’ici à la base de la Constitution de la République du Sénégal. Le Président prononce des phrases qui paraissent anodines mais dont les conséquences sont potentiellement nuisibles à notre pays. Par exemple, le Président recycle le tenace mythe de l’Islam noir qui serait tolérant parce que syncrétique. Il affirme : «Et c’est le modèle d’Islam que nous, nous avons adopté depuis que l’Islam a été introduit en Afrique, en tout cas en Afrique de l’Ouest. C’est un Islam tolérant. Nous ne saurions donc accepter chez nous qu’on vienne nous imposer une autre forme de religion.»
Le problème, c’est que l’Etat du Sénégal n’adopte strictement aucune religion. Nous sommes une République laïque, cela veut dire que nous traitons exactement toutes les religions de la même manière. Les citoyens sénégalais ont des choix philosophiques et religieux que l’Etat n’a pas à sanctionner. L’Etat les accompagne dans toute pratique religieuse qu’ils choisissent et qui est conforme à notre Constitution. S’immiscer dans les pratiques des citoyens pour voir si elles sont tolérantes ou pas n’appartient ni à Macky Sall ni à qui que ce soit d’autre. La seule chose qu’un Etat doit faire dans ce domaine, c’est de veiller au respect des lois et assurer la sécurité publique. Il n’a en revanche pas à rentrer dans le contenu des doctrines religieuses pour vérifier leur degré de tolérance.
Comme toujours quand on régule ce genre de choses, c’est sur les femmes que l’on tape et Macky Sall n’échappe pas à la règle qui dit que : l’on voit des formes nouvelles, par exemple le port de voile intégral dans notre société, alors que ça ne correspond ni à notre culture, ni à nos traditions
D’abord, faut arrêter avec nos cultures et traditions. Nous n’avons pas élu un défenseur de nos cultures et traditions mais un président de la République. Ensuite, si des femmes estiment qu’elles doivent s’habiller de telle ou telle manière de quel droit le président de la République se permet-il de décider de la conformité de leur habillement à nos cultures et traditions ? Une minijupe correspond-elle à nos cultures et traditions ? Nos traditions sont-elles chrétiennes, islamiques ou païennes ? Le port de la barbe s’y conforme-t-il ? Le voile intégral est typiquement le genre de faux problèmes que l’on agite quand on est impuissant à améliorer la situation. Pourquoi des femmes choisissent-elles de se voiler ? Pourquoi nous réfugions-nous dans des formes de religiosité radicales ? Peut-être parce que nous sommes horrifiés par la corruption de ce qui aurait dû nous servir de norme religieuse ? Peut-être parce que notre situation économique est tellement désespérée que nous parions tout sur l’Au-delà ? Si l’on considère que le port de la burqa dénote une pratique religieuse extrémiste, c’est à ces questions qu’il faut répondre. Or le Président Macky Sall, tout comme les Français qui semblent lui servir de référence, ne répond pas à ces questions mais se contente de la solution de facilité consistant à s’attaquer aux femmes dont l’habillement ne lui convient pas. Le problème avec des lois liberticides telles que la loi française sur le voile intégral, c’est que l’Etat criminalise ce que les citoyens font paisiblement (par exemple porter le voile intégral ou pratiquer un Islam rigoriste) pour ensuite venir les arrêter. Il y a là un pervertissement du rôle de l’Etat qui, au lieu de protéger les pratiques religieuses, mêmes minoritaires, des citoyens, les oppresse et se les aliène.
Enfin, plus grave, si l’on en croit le quotidien national Le Soleil, Macky Sall termine en menaçant son opposition républicaine : «J’invite la classe politique à faire très attention sur la question de l’arrestation des imams à laquelle nous venons de procéder. Nous ne saurions également tolérer un certain type de discours de politique politicienne.» Donc, notre Président s’arroge le droit d’arrêter qui il veut au nom de la menace terroriste et il faudrait que l’opposition ne réagisse pas ? Comme souvent en matière de lutte contre le terrorisme, les politiciens veulent préserver nos libertés en nous les confisquant. Un Président qui s’est montré singulièrement aveugle sur le Mali, qui a failli conforter des putschistes au Burkina et qui expulse de opposants gambiens nous demande les pleins pouvoirs au nom de la lutte contre le terrorisme ? Si nous acceptons une telle union sacrée, c’est la démocratie sénégalaise elle-même qui est en danger. Cela garantira-t-il seulement notre sécurité ? Rien n’est moins sûr. La loi contre le voile intégral que semble proposer le ministre de l’Intérieur à la suite du président de la République est déjà en vigueur en France. Elle n’a pas protégé les Français de deux attaques meurtrières cette année. Elle ne nous protègera pas plus.
Parmi les idées intéressantes du discours présidentiel, il y a celle selon laquelle le terrorisme naît de l’inégalité et de la pauvreté. C’est justement pour résoudre ces problèmes-là que nous avons élu Macky Sall. Pour l’instant, nous ne voyons aucune amélioration de notre situation économique. Les pauvres n’arrivent toujours pas à se soigner ni à assurer une éducation de qualité à leurs enfants. Les jeunes sont toujours au chômage et une minorité s’enrichit toujours plus alors que le reste de la population s’appauvrit. Pour lutter contre le terrorisme, le président de la République doit se focaliser sur son travail, qui est d’améliorer le sort de nos concitoyens, renforcer l’Etat de droit et donner à nos forces de police et à notre justice les moyens de faire leur travail. Il n’a pas besoin des pleins pouvoirs pour ça.
Dr Mouhamadou El Hady BA
Département de Philosophie
Fastef