Le Sénégal à la croisée des chemins économiques: un changement de paradigme peut-il assurer le développement ?

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Le nouveau rapport de la cour des comptes, publié le 13 février, a instauré́ une véritable guerre de chiffres comme l’avait si bien prédit le directeur de publication de Financial Afrik, Adama Wade dans son article. Ce « document explosif », qui décrédibilise les chiffres de la finance publique du pays, a fini d’imposer un débat sans précèdent sur le modèle économique du pays, jugé extravertie largement tributaire de l’extérieur. Les agrégats économiques sont parfois ajustés suivant les circonstances et ne reflètent pas véritablement la ‘’vérité́ des chiffres’’.  Les économistes sénégalais semblent divisés sur le modèle économique à adapter.

Si certains soutiennent que le pays doit impérativement changer de paradigme en misant sur les ressources internes pour asseoir son développement (un mot qui devient de plus en plus absent dans le vocabulaire au profit de la croissance), d’autres par contre théorisent l’adoption de nouvelles stratégies afin de capter des fonds et financer le développement dans un monde où les capitaux circulent aussi librement sans se soucier qu’ils soient externes ou internes.

Le tandem Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko, arrivé au pouvoir depuis le 2 avril 2024, veulent impulser un nouveau dynamisme à l’économie du pays en changeant systématiquement de paradigme, en brandissant le « patriotisme économique », qui prône une approche du développement autocentré́, longtemps théorisé́ par le professeur Makhtar Diouf dans son ouvrage intitulé : économie politique pour l’Afrique

D’ailleurs, le disciple de Samir Amine a confié́ à Financial Afrik, qu’il a contribué́ à l’élaboration du plan « Vision Sénégal 2050 », qui vise à̀ assurer un développement socioéconomique, en rupture avec les autres stratégies notamment le Plan Sénégal Emergent (PSE), proposé par les experts occidentaux, selon leur vision du développement, sans tenir en compte des réalités du pays concerné.

Le « fameux projet »

Tout projet de développement exige un financement et le plan « vision Sénégal 2050 » n’échappe pas à cette règle.  Le référentiel de développement compte mobiliser 18.500 milliards de francs FCFA, sur la première phase en 5 ans (2025-2029). Pour financer son projet, le premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, disciple du professeur Makhtar Diouf, lui-même élève de Samir Amine, veut changer de paradigme en misant sur les ressources internes et limiter le financement extérieur. Dans cette optique, le chef du gouvernement veut accroître l’assiette fiscale en incitant les entreprises qui bénéficient davantage d’exonération fiscale à payer plus d’impôts. Il vise à formaliser le secteur informel, qui échappe à la fiscalité́ et représentant plus de 60% de la valeur ajoutée créée au Sénégal. 

En bon élève du professeur Diouf, Sonko veut limiter les dépenses souveraines de l’Etat et les dépenses improductives, qui coûtent très cher à l’administration sénégalaise. Le ministre veut renverser la tendance du budget, généralement déficitaire, grâce surtout à des dépenses colossales et des charges en à plus finir. L’Etat, souligne-t-il, recours à l’empreinte excessive pour pallier ce problème. A cela s’ajoute le remboursement de la dette avec des taux d’intérêts jugés élèves, qui épuisent davantage les ressources budgétaires de l’Etat.

Maintenant reste à savoir, est-ce que le tandem Ousmane Sonko -Diomaye aura le moyen de ses ambitions, dans un contexte où le marché́ intérieur est très incertain, caractérisé́ par des contraintes majeures (absence de législation, des instruments financiers inefficaces entre autres, manque de collaborations des acteurs), pour générer assez de ressources financières.

Période favorable

Le Sénégal vient d’entrer dans le cercle restreint des producteurs d’hydrocarbure depuis l’année dernière, avec la commercialisation de ses premiers barils par la compagnie australienne Woodside Energy qui exploite le champ de Sangomar. Ce site se situe en eaux profondes, à environ 100 km au sud de Dakar, avec des réserves estimées de pétrole brut d’environ 630 millions de barils. Même si le pays ne pourra jouir pleinement des revenus du pétrole et du gaz, cette année, il pourra bénéficier des revenus issus de la fiscalité́ dans ce secteur et une somme d’argent (cote part) à verser à la Société des Pétroles du Sénégal (PETROSEN), par les sociétés pétrolières présentes dans les sites de Greater Tortue Ahmeyim (GTA) et de Sangomare notamment la société́ américaine Kosmo Energy ,  la société britannique, BP et la société australienne Woodside Energy.

Ceci en attendant que la phase de retour sur investissement se termine pour les majors pétrolières. Dans le long terme, le Sénégal pourra également profiter des retombées financières dans l’exploitation de ses sites pétro-gaziers et du coup bénéficier des revenus supplémentaires, qui viendront renforcer son budget.

Conformisme et pragmatisme

Pour paraphraser l’économiste sénégalais, Moustatpha Kassé, qui théorise que, dans un monde où les capitaux circulent aussi librement et que le néolibéralisme incarné par le Fonds Monétaire International (FMI) et la banque mondiale, qui sont accusés d’avoir fait reculer les Etats,  doivent adopter de ‘’bonne stratégie‘’, afin de capter des fonds et de financer leur développement. Le tandem Songo-Diomaye gagnerait à être moins  »idéologiste » et se conformer à l’agenda des capitalistes et des bailleurs, qui pourtant prônent une amélioration du niveau de vie des populations mondiales. Et savent pertinemment qu’on ne peut plus tromper ou leurrer des populations éveillées dans un monde devenu un marché́ commun et interdépendant où les biens et services sont produites en se basant sur la théorie comparative (spécialisation de David Ricardo). Sonko et Diomaye ne doivent pas vexer dans le « populisme », qui a entrainé́ des pays africains dans le gouffre. 

L’exemple du Ghana est révélateur sous le magistère de l’ancien président Nana Akufo-Addo. Ce dernier a voulu dès le début de son mandat, entretenir des rapports de force avec le FMI et la Banque mondiale, en disant que son pays ne voulait plus d’institutions, qui créent la pauvreté́ et le sous-développement. Par la suite, le Ghana, en voulant ignorer les deux institutions, l’a entrainé́ dans le gouffre. L’ancien régime secoué de plein fouet par une crise économique, courrait dernière le FMI pour obtenir un prêt de 3 milliards USD afin de sauver le pays du défaut de paiement.

Cela doit interpeller les pays africains, à ne pas adopter des  »démarches révolutionnaires inopportunes », avec une forte dose de volontarisme sans base sociale (étudier les forces sociales susceptible ou non à des réformes d’envergures), qui risquerait de porter un sacré coup à leurs économies.

Recommandation

Le Sénégal doit adopter une ‘’démarche prudente ‘’ et stratège, faisant fi de certaines réalités pour ne pas être un Etat trop ‘’marxiste’’, qui a des idéologies révolues dans un monde de profonde mutation où l’interdépendance économique est au premier plan. Maintenant, le pays peut exiger plus d’équité́ et d’égalité́ dans le commerce international, sans pour autant être radicaliste . Deux critères semblent fondamentaux dans un monde où les capitalistes ont leur propre agenda à dérouler. Il s’agit de défendre ses intérêts dans la plus grande légitimité́ et d’adopter de nouvelles stratégies pour attirer les investissements.

Oumar Soulé Kane

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