Le scandale Ocampo, l’ancien procureur de la CPI au coeur de la tourmente

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Le site d’information indépendant Mediapart a démarré vendredi 29 septembre la publication d’une série d’articles sur les pratiques de l’ancien procureur de la Cour pénale internationale, l’Argentin Luis Moreno Ocampo. Parmi les révélations du site, un épisode libyen impliquant l’ancien premier magistrat de la CPI : un bref contrat de lobbying, signé quatre ans après l’insurrection qui a fait tomber Mouammar Kadhafi, au profit d’un homme d’affaires proche du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque entré en conflit ouvert avec les autorités de Tripoli reconnues par la communauté internationale.
La Cour pénale internationale (CPI) est malmenée dans la dernière enquête publiée par le site Mediapart, menée en collaboration avec huit autres médias internationaux membres de l’European Investigative Collaborations.

« Les secrets de la Cour », titre donnée à cette enquête, est le fruit d’une analyse de plus de 40 000 documents confidentiels obtenus par Mediapart. Des documents qui permettent de jeter une lumière crue sur certaines pratiques de la Cour pénale internationale et qui, dans le premier volet des articles mis en ligne, dressent un portrait bien différent de Luis Moreno Campo, l’ancien procureur de cette Cour de justice.

« C’est l’histoire d’un procureur qui rêvait de changer le monde ». Voilà comment débute l’article qui présente une enquête sans commune mesure sur les pratiques au sein d’une cour de justice unique en son genre, instrument de paix suprême selon la communauté internationale qui l’a créée en 1998. C’est surtout l’histoire du premier procureur de cette cour de justice, Luis Moreno Campo, avocat argentin, ancien président de Transparency International en Amérique latine et aux Caraïbes.

Présenté comme le champion de la lutte contre la corruption à l’époque de sa nomination, Luis Moreno Campo sera en fait tout l’inverse. Détenant des comptes et des sociétés dans des paradis fiscaux au Panama ou encore aux îles Vierges, l’ancien procureur nuirait depuis son départ à la confidentialité des dossiers et ferait usage de l’institution publique internationale comme d’une propriété privée, selon Mediapart.

Selon les journalistes qui ont enquêté sur ses pratiques, il aurait ainsi interféré dans des dossiers de celle qui lui a succédé et aurait également sombré dans des conflits d’intérêts au mépris de sa mission passée. Une enquête dont les articles seront distillés durant une semaine sur le site de Mediapart, mais également par les huit autres médias qui ont travaillé sur ces pratiques.

« Consultant juridique » d’un milliardaire libyen proche d’Haftar 

Alors qu’il était procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo a lancé en pleine guerre civile libyenne trois mandats d’arrêt : contre le raïs Mouammar Kadhafi d’abord, puis contre son fils Saïf al-Islam et le chef des renseignements militaires, Abdallah Senoussi.

Quatre ans plus tard, voici le même magistrat, désormais reconverti dans le lobbying, devenu « consultant juridique » de Hassan Tatanaki, un milliardaire libyen souhaitant déstabiliser ses adversaires politiques. La mission confiée à la société d’Ocampo, selon Mediapart, consiste à rédiger des plaintes devant la CPI contre les « ennemis » de son client. Mais aussi, grâce à son entregent, d’influencer des diplomates de l’ONU pour faire inscrire certains noms sur la liste des Libyens frappés de sanctions.

Mais en mai 2015, la procureur actuelle de la CPI, Fatou Bensouda, présente au Conseil de sécurité un rapport qui vient contrarier ses plans. Figurent dans ce rapport des accusations de crimes de guerre contre les autorités de Tripoli, mais aussi contre les forces du maréchal Haftar, dont on dit que Tatanaki est le principal bailleur de fonds. D’après Mediapart, Ocampo aurait alors fait porter ses efforts sur une stratégie destinée à protéger son client, mais aussi éviter à Haftar d’être inquiété par la Cour de La Haye.

Luis Moreno Ocampo s’est défendu. S’il a reconnu avoir eu brièvement Tatanaki comme client, il a nié certaines informations de Mediapart. Et il a insisté pour dire qu’il avait précisément « alerté » son client des risques présentés par sa proximité avec le maréchal Haftar. Quant au bureau de l’actuel procureur de la CPI, il a déclaré que « les activités de M. Ocampo après la fin de son mandat sont strictement exercées à titre personnel et ni lui ni ses actions ne peuvent être associés avec le bureau ou la Cour ».

Ces mêmes documents révèlent aussi qu’après avoir quitté la CPI, l’avocat et consultant argentin a œuvré contre les intérêts de la Cour en se mettant au service de particuliers qui pouvaient être visés par les enquêtes de cette même juridiction pénale. Il a par ailleurs indirectement rémunéré des membres du personnel de la Cour afin qu’ils procèdent à un lobbying en faveur de ses clients. C’est ainsi que, de retour dans le privé, Luis Moreno Ocampo s’est mis au service d’un riche Libyen, Hassan Tatanaki, dont le rôle dans la crise libyenne sera controversé. Mais Ocampo accepte de lui vendre son expertise du droit international pour trois millions de dollars en trois ans : «  C’est de l’argent que je veux investir  », se réjouit alors Ocampo auprès de son banquier.

​ »Mon salaire n’était pas suffisant »
Mon salaire n’était pas assez élevé  », tente d’expliquer l’ancien procureur de la Cour pénale internationale (CPI), l’Argentin Luis Moreno Ocampo, 65 ans, qui estime que ses sociétés offshore ne regarderaient que lui. Et pourtant : sociétés offshore, attrait évident du gain, amitiés compromettantes auprès de cibles potentielles de la Cour pénale, enfin « pantouflage » auprès de riches et puissants amis : Le Soir et ses partenaires du réseau d’investigation European Investigative Collaborations (EIC) révèlent à partir de ce vendredi les pratiques cachées de celui qui fut de 2002 à 2013 le premier procureur de la Cour pénale internationale.

Si le procureur doit être quelqu’un «  d’une haute stature morale  » comme le précisent les statuts de la CPI, nos documents révèlent que lorsqu’il était en place à La Haye, Luis Moreno Ocampo était détenteur de plusieurs sociétés offshore, prêtant ainsi le flanc à des suspicions sur sa moralité et sur l’intégrité de la Cour. Moreno Ocampo ne le nie pas, il nous répond simplement : «  Mon salaire de magistrat à la CPI n’était pas assez élevé (NDLR : 150.000 euros net/an). Détenir une compagnie offshore n’est pas illégal, tout dépend de ce que vous en faites ».

En définitive, pendant son mandat et après celui-ci, l’ancien procureur a mis en péril l’impartialité et l’indépendance de la CPI, alors que cette dernière est censée être au-dessus de tout soupçon et a pour mission d’œuvrer à un monde pacifié. Selon notre enquête, les pratiques initiées par M. Ocampo sont toujours en cours à la CPI, perpétuées par ceux qui lui sont demeurés loyaux et fidèles.

Dix médias, 40.000 documents
Dix médias regroupés au sein du réseau European Investigative Collaborations (EIC) se sont unis pour publier « Les secrets de la Cour ». Cette enquête transnationale résulte de l’analyse de 40.000 documents, câbles diplomatiques et correspondances, recoupés par interview et documents d’accès public. Ils jettent un nouvel éclairage sur le mandat et la personnalité de Moreno Ocampo. Ces documents, obtenus par nos confrères français de Mediapart et analysés au sein du réseau EIC, révèlent la manière dont les actions de Moreno Ocampo ont finalement porté ombrage à la Cour pénale, une juridiction universelle et permanente mise en place pour poursuivre les seigneurs de guerre et les dictateurs, les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocides.

Plus de vingt journalistes, travaillant pour une dizaine de médias d’Europe et d’Afrique, ont enquêté pendant six mois. Le résultat de leurs investigations sera publié tout au long de la semaine prochaine. Porté par le réseau EIC, ce travail a fait collaborer Mediapart (France), NRC Handelsblad (Pays-Bas), Der Spiegel (Allemagne), El Mundo (Espagne), Le Soir (Belgique), ANCIR (Afrique du Sud), The Black Sea (Roumanie), Nacional (Croatie), L’Espresso (Italie), Expresso (Portugal).

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