La femme sérère et la lutte traditionnelle: Un mariage de cœur et de raison

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  • La lutte,  expression corporelle par essence, allie harmonieusement sport et culture. La femme y ajoute une  touche particulière. Dans la société sérère,  l’homme et la femme «luttent»,  selon rôle dévolu à l’un et l’autre dans les différentes séquences qui constituent l’organisation et le déroulement d’un tournoi de lutte traditionnelle sérère.
    L’histoire de la lutte  est intimement liée à celle de l’ethnie sérère qui la pratique depuis la nuit des temps. A ses origines,  elle était perçue comme une arme de défense pour  contrer l’ennemi durant les affrontements où aucune arme conventionnelle n’avait droit de cité. Tous les coups étaient permis. L’on pouvait, au mépris  de toute considération  et sans aucune mauvaise conscience, faire usage de  coups de poings, de cornes ou d’armes blanches. L’instinct de survie prévalait sur tout. La lutte traditionnelle en pays sérère n’a pas vécu ces aspérités et rides propres à cette période où la loi du plus fort était la meilleure.
    Une véritable religion 
     La lutte est pratiquée sous le  tryptique Sport, Culture, Communion, avec une bonne dose de passion, souvent contenue. Chez le Sérère, elle est ce que le football représente pour le  Brésilien, une véritable religion. Les acteurs en sont les jeunes des villages  regroupés en clases d’âge : jeunes garçons, adolescents et adultes qui,  au cours de veillées après une journée de dur labeur dans les champs, célèbrent ainsi à leur manière la «fête des récoltes », synonyme d’abondance de produits agricoles arrivés à maturation. La place publique sert de cadre à ces joutes sportives  agrémentées de  pas de danse au rythme des chants  de lutte entonnés par les jeunes fille, les femmes d’âge mûr et les vieilles dames dont les envoyées lyriques dopent les athlètes qui combattent pour l’honneur de leur famille, de leur lignée et du village.  Chez les Sérères, la lutte se pratique sous deux formes :  tournoi inter-quartiers qui réunit les jeunes d’un même village et celui opposant des compétiteurs venus de villages différents. Pour ce dernier cas de figure, l’entité porte-étendard du village est constituée  des meilleurs lutteurs. L’affrontement entre des lutteurs du même village est exclu.
    De nos jours, la lutte traditionnelle sérère s’est drapé d’un « manteau de modernisme », notamment dans sa phase organisationnelle. Dans certaines contrées, les tournois de lutte s’étalent sur une semaine au terme de laquelle les vainqueurs des différentes catégories de poids sont récompensés avec du bétail, de  l’argent, du tissu, des meubles, du matériel de construction,  de l’électro-ménager, entre autres trophées.
    En plus de cette face visible de la lutte faite d’exploits techniques, de chants , danses et présents remis aux champions, il en est une autre tout aussi stimulante qui participe davantage à modeler et à former le lutteur : l’éducation. C’est dans l’épreuve que l’on respecte l’autre. C’est également dans la confrontation que   l’on apprend à se surpasser et à se sublimer pour prouver à l’adversaire que l’on est meilleur que lui, sans lui manquer de respect. La lutte traditionnelle sérère est un cadre propice à l’apprentissage et à l’éducation de tous les éléments qui gravitent autour. Elle a ses règles de conduite et ses garde-fou. Seuls les athlètes imbus d’un  sens de responsabilité très aigu y sont conviés.
    Discrétion et originalité
    En pays sérère, seuls les hommes luttent. Il en est autrement chez leurs cousins du Nord (les Diolas) où les femmes s’adonnent à ce jeu dans certaines contrées de la Casamance. Les  femmes sérères sont plutôt affectées à des tâches dont elles s’acquittent avec un réel bonheur  au même titre que leurs sœurs lutteuses. Occulter le rôle prépondérant que la femme joue dans la lutte en pays  sérère ne saurait relever de l’oubli. Il serait  plus juste de dire qu’elle est incontournable. L’on imagine mal un tournoi de lutte, aussi bien en amont (le mystique surtout) qu’en aval (organisation matérielle) sans l’indispensable grain de sel qu’est la touche féminine. Elles gèrent à merveille l’accueil  et la restauration des lutteurs étrangers durant toute la durée du tournoi. Cette charge sociale leur revient de plein droit.  Ajoutez-y l’animation,  la préparation mystique des lutteurs,  la confection des tenues de lutteurs et les ornements spécifiques à chaque famille. Ce sont là autant de séquences  qui  démontrent à suffisance le rôle déterminant de  la femme dans la lutte traditionnelle sérère où elle est en même temps   actrice et  spectatrice.
    Le premier jalon de cette longue marché vers le triomphe (la victoire du fils lutteur) est posé dès après la naissance avec des séances de massage bien appropriés dont l’objectif recherché et de faire de ce corps frêle une machine à gagner qui fera la fierté de tout le village dans le futur. Rien n’est de trop pour la femme sérère désireuse  de   goûter aux délices  que procure une telle joie. Pour ce faire, elle s’arme de patience et déploie un trésor d’ingéniosité et de savoir-faire pour la confection des pagnes noirs dont doit se vêtir le lutteur. L’amour que la mère ressent pour son fils transparaît à travers les motifs imprimés sur les pagnes avant la teinture. Ces signes distinctifs permettent de déterminer l’arbre généalogique du lutteur. Le régime alimentaire  du futur champion est également source de préoccupation pour la mère. Ce volet important constitue une priorité durant la période de « fabrication »  (au plan athlétique)  du futur  champion. La mère  veille scrupuleusement  sur cet aspect fondamental. Voir son fils bâti comme un athlète inspire la maman.  Elle compose une chanson en invoquant l’arbre généalogique de son fils.
    Forte implication du mystique
    La lutte est certes physique, mais également mystique. Point de tabou pour la femme sérère. Elle y joue un rôle prépondérant en s’impliquant dans la préparation de ses fils lutteurs.  Succès et protection des lutteurs contre le  mauvais sort et les personnes malfaisantes sont à  la charge des mères souvent assistées par les femmes de leur classe d’âge et les  vieilles femmes. Le rituel se compose de bains mystiques pris avant le combat et de prières dans des endroits bien définis pour implorer les « pangols ». Il est sujet à certaines contraintes. Ainsi, les mères ne doivent pas suivre les combats de lutte de leurs fils. Ensuite, elles sont tenues de rester sur place, assises sur le lit, leurs jambes ne doivent pas toucher le sol. Elles sont également interdites de  parole et tout mouvement avant le retour de leur fils de la séance de lutte. Transgresser une consigne peut être source de défaite pour le fils dont la mère a fauté. Le retour au bercail ne sera pas pour autant catastrophique pour le vaincu. Tout se fête en  milieu sérère. La victoire comme la défaite. Certes à des degrés différents. En cas de triomphe, les mamans  rivalisent d’inspiration et d’esprit de créativité pour composer une chanson magnifiant le courage et l’exploit du vainqueur. En cas d’absence de la mère pour cause de décès, ce rôle est dévolu à la tante.  Il lui revient de confectionner la tenue, de s’adonner à la préparation mystique aidée en cela par des femmes de sa classe d’âge et les vieilles femmes.  « Le passage du pilon » est une autre séquence bien connue de la femme sérère. C’est souvent la tante qui l’exécute. Cela consiste à faite tomber le pilon quatre  fois de suite.  A chaque chute, le lutteur doit l’enjamber avant de sortie de la concession. Le pilon doit rester dans cette position jusqu’au tour du lutteur. Nul ne doit le déplacer et encore moins l’utiliser. Cette pratique est très courante. Nombre de lutteurs ont révélé que ce rôle était dévolu à leur tante.
    Un don inné pour  la chanson 
    S’il est également un autre rôle important que joue la femme sérère dans la lutte traditionnelle c’est bien l’animation.. D’habitude, le chant et le tam –tam sont des domaines réservés aux griots. Dans la société sérère, les chants de lutte font exception. L’on en veut pour preuve le duo Clémence Mayé Ndeb Ngom de Fatick  – feue Khady Diouf Yerwago. Aucune de ces deux cantatrices n’est griotte  et Dieu sait qu’elles font pâmer de plaisir leurs nombreux inconditionnels grâce à leurs envolées lyriques.
    De nos jours, la jeune fille sérère est confinée dans la préparation des repas destinés aux lutteurs et à l’animation (les chants) à l’image de Mbayang Loum. Cette grande diva native de Mbiin Farba (un village du département de Foundiougne) où elle vit  avec sa famille est la coqueluche des mordus de « ndiom » (lutte traditionnelle). Elle a le don de doper les lutteurs et les … spectateurs qui l’arrosent de billets de banque. Certains tombent en transes.
    Passion quand tu nous tiens..
    Babacar Simon FAYE
    TRANCHE D’HISTOIRE
    « Jooxe » ou le choix du champion
    Je ne puis résister à l’envie, en feuilletant l’album-souvenirs  de ma jeunesse (en relation avec le sujet traité ci-dessus), d’évoquer une tradition dont le sens n’avait d’égale que l’élan de solidarité qu’il suscitait chez la jeune fille sérère devenue « Princesse d’un jour ».  Au quartier traditionnel Ndiaye Ndiaye ( à Fatck) peuplé en majorité de  Sérères friands de lutte , nous avons vécu de grands moments avec des tournois qui s’étalaient  sur trois, voire quatre jours. Les finales étaient organisés les week-end pour assurer plein  succès à la compétition. Habituellement, le tournoi démarrait le jeudi pour être clôturé le dimanche avec les ultimes tableaux qui désignaient les heureux « élus des dieux de la lutte ». Des champions de légende tels qu’Ambroise Sarr, actuel entraîneur national de l’équipe nationale de lutte, Ousmane Dioffior qu’on appelait « Oussou ndeb roog » tant il était talentueux, feu Hamad Diouf, Jules Ndiaye, Assane Ndiaye, Papa Ndiaye, le Pr Raymond Diouf, (vice-président du CNG, chargé de la lutte  traditionnelle), jeune étudiant à l’époque  et tant d’autres grands champions venus des villages environnants ; mais surtout de la Petite Côte    et des Iles du Saloum ont fait des piges à Fatick à la place publique située à Kamsaté (un sous-quartier de Ndiaye Ndiaye) qui abritait les tournois de lutte.
     Un événement qui en dit long sur le sens de l’hospitalité de la femme sérère fort du rôle prépondérant qu’elle joue dans l’organisation des tournois de lutte en pays sérère m’a particulièrement subjugué  De quoi s’agit-il ? Le matin, après avoir pris leur petit déjeûner composé d’un succulent  couscous à la viande, les lutteur parés de leurs plus beaux atours arpentaient par petits groupes les rues du quartier.  Ils étaient alors la seule attraction du moment.  Tout le monde les dévorait des yeux.  C’est le moment que choisissait l’un d’eux pour faire le « jooxe » qui consistait à pointer la pointe de la  corne   qu’il portait à la main vers une jeune fille. A partir de cet instant, cette dernière était devenue l’« élue » . Le lendemain, elle  recevait avec faste le lutteur chez elle, entourée de membres  sa famille dont sa mère, ses sœurs, ses  amies et voisines immédiates.  Accompagné de ses amis, le lutteur était reçu avec tous les honneurs dans la maison de la « princesse du jour »  qui se faisait un point d’honneur de gâter son « prince charmant » de lutteur  et ses accompagnateurs avec des mets succulents. Ces derniers ne quittaient la maison   que l’après-midi gavés de mets délicieux et succulents aux frais de l ‘«élue »  heureuse d’avoir été choisie parmi toutes les jeunes filles du quartier.
    B.S. FAYE

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