La déperdition d’un pays (Par Adama Gaye)
En plein ciel où beaucoup l’attendaient scintillant, depuis qu’une élection présidentielle l’avait replacé, en mars dernier, sur orbite, le Sénégal surprend le monde entier, soudain tétanisé par le funeste sort qui le guette, en se transformant en boule de feu sur le point de le ravager.
Éloignons-nous des bravades, gémissements et agitations qui ont fini de faire de sa sphère publique et politique un espace tanguant entre jardin d’enfants et mur de lamentations.
L’heure est trop grave pour céder au climat ambiant, superficiel et qui n’est pas sans rappeler des jeux de jeunesse particulièrement inappropriés dans le contexte actuel: colin-maillard, ou les jeux en wolof, qu’on appelait le daur-dakhé et le lambi-golo, sans oublier les nouvelles prêches cathodiques sur les écrans de télévision et ceux des réseaux sociaux où l’on y débite, sans recul ni retenue, des certitudes non vérifiées !
Le tout fait de ce pays un cirque qui ne fait plus rire.
L’angoisse règne partout. Le présent est sombre. L’avenir, compromis.
Le Sénégal s’effondre. Le nouveau pouvoir, celui de Pastef, qui lui promettait un destin de cocagne, par une rupture systémique qu’il s’engageait à y réaliser, n’en est plus réduit qu’à constater les ruines institutionnelles que ses ruses clownesques ont induites.
Nul n’est plus dupe: l’échec est cinglant. Il n’est que de relever les bourdes, bêtises, bévues et balivernes pour mesurer ses limites, son incapacité à gérer un pays qu’il enfonce dans les profondeurs d’une pénombre à l’opposé du nouvel élan optimiste dont il se disait porteur.
En sautillant pour n’avoir décroché que 27 milliards de francs Cfa, des cacahuètes, de sa visite d’Etat en Chine, bien en deçà de ses immenses besoins financiers, son leadership immature confirme son pli enfantin.
L’annonce d’investissements de 3000 milliards cfa sur 3 ans pour l’ensemble de la cinquantaine de pays africains que Pékin a faite ne représente guère mieux. L’union européenne avait proposé en février 2022 de consacrer au continent près de 9000 milliards cfa sur 3 ans. Les besoins financiers africains dépassent de loin ces sommes derisoires !
Il n’y avait donc pas de quoi perdre son sang-froid après la promesse du dirigeant Chinois.
C’est hélas, pour rester dans le cas du Sénégal, un État hurluberlu qui s’est donné à voir devant les froids Chinois. Qui, au surplus, n’en croyaient pas leurs oreilles d’entendre le président Sénégalais, Diomaye Faye, s’aligner, toute honte bue, les valeurs cardinales de notre société jetées aux orties, sur leur refus d’une « politisation des droits humains ».
En un mot, il leur a donné quitus de leur violation contre des populations chinoises tentées par la dissidence ou revendiquant des particularismes socio-religieux face aux dérives autoritaires de leur Président, le très brutal Xi Jinping, en plus d’envoyer le signal qu’il ne rechignerait pas à recourir, dans notre pays, à des méthodes aux antipodes des principes universels en misant sur la cynique solidarité de la Chine sur cette route du non-droit !
Diomaye Faye devrait se garder de jubiler. Ses faux pas dans l’empire du Milieu s’ajoutant aux errements qui ont dégradé l’image de son régime, allant de son recyclage des criminels financiers tel Lansana Gagny Sakho, de sa mansuétude envers Cheikh Tidiane Dieye, des pitoyables plaidoiries autour du blé et des engrais de sa ministre des Affaires Etrangères qui s’est aussi distinguée négativement en demandant à la Chine de « nous tenir par la main », insultant le PROJET par définition souverainiste, jusqu’aux rondomontades gamines de son Premier ministre, Ousmane Sonko, qui cache son inaptitude en multipliant des foucades derisoires, bref la coupe est pleine.
Le pays s’est réveillé, dès lors, plus que groggy en voyant que le régime n’en est plus qu’à recourir à des palinodies, tours de passe-passe et autres manœuvres politiciennes, ultimes armes pour faire fantasmer, orgasmer, ses affidé.e.s en proie à une indicible désillusion.
En clair, en décidant de convoquer l’Assemblée nationale ce jour pour y appliquer le filibustering parlementaire à l’américaine, afin de tuer le temps jusqu’au jour où il pourra légalement la dissoudre, dans une semaine, Diomaye sauve in-extremis le pauvre soldat Sonko d’une humiliation devant les député.e.s mais confirme qu’il ne maîtrise plus le jeu. Sa stratégie de l’édredon n’a pour but que de servir de garrot pour contenir l’hémorragie qui dévide de son sang son pouvoir soudain bousculé par une opposition que le peuple avait pourtant envoyée à la morgue.
En la ressuscitant par ses lenteurs et indécisions, ses nominations saugrenues, son reptilisme devant les religieux, son largage, en rase campagne, d’une Diaspora qui fut son principal soutien, ses faveurs aux médiocres, installé.e.s au coeur de sa gouvernance, le binôme à la tête du Sénégal a fait montre autant d’un amateurisme que d’un manque de courage qu’on le pensait incapable.
Pis, par des louvoiements infinis, le duo a redonné une audace aux forces du mal que le pays avait définitivement repudiées. Il suffit de voir qui forme le gros des troupes dans les voyages présidentiels, mines patibulaires inutiles, de Diagna à Baidy, de Goudiaby à Serigne Mboup et tant d’autres vieilles lunes, hier piliers de la dictature sanguinaire, pour comprendre que la révolution promise vire en une insipide, crapuleuse, entreprise de blanchiment des pires criminel.le.s. On rit des menaces sur leurs comparses dans la ligne de mire du pouvoir. Incohérence, dites-vous ! On ne peut être plus complexé que d’assumer cette posture qui couvre les diables qu’on a adoptés tout en brandissant une hache don-chiquottesque en direction des ennemi.e.s qui ont repris courage.
Cheikh Diba, l’un des hommes de ce Protocole décidément décapacitant, devra nous dire comment il compte récupérer nos avoirs fiscaux (40 milliards cfa) auprès de patrons de presse, qu’il reçoit ce jour, qui ont pris fait et cause pour le dictateur, Macky Sall, jusqu’à sa fuite ? C’est un autre test de ce pouvoir en chute libre.
Ne parlons pas des misères et malheurs généralisés dans le pays. Le peuple souffre. Il n’y croit plus.
Seuls quelques mohicans retranchés derrière la ligne Maginot de la techtonique des plaques numériques s’évertuent encore à défendre le rêve qui s’envole.
La perdition s’accélère. La crise est béante. La rupture devient effondrement.
Macky Sall, celui qui avait promis la voie de la croissance au pays pour finir par le réduire en une sanglante boucherie, rit sous cape depuis son lieu d’exil. Il le peut, un Protocole de haute trahison à la nation l’a mis hors de portée d’une population ne rêvant que d’en découdre avec lui.
Les petites entourloupes du pouvoir Pastef prolongent l’échec de la gouvernance de Macky Sall en donnant même l’air de copier certains de ses plus répugnants traits, comme les magouilles sur les marchés publics et les menaces sur les libertés publiques et individuelles.
En réalité, c’est à une pérennisation de la malédiction qui frappe le Sénégal, non d’une salvatrice renaissance, que l’on assiste.
Le lien de consanguinité avec les pouvoirs antérieurs saute à l’œil nu.
Abdoulaye Wade, 3ème président du pays, avait muté en monarque, au lieu du démocrate qu’il se disait, pour tenter de porter au pouvoir son fils, par une dévolution monarchique que le pays a rejetée en 2012.
Abdou Diouf, le successeur du 1er président de notre pays via un artifice constitutionnel, l’ancien article 35 de la loi fondamentale, n’a été qu’un vaurien. Qui termine ses jours dans le déshonneur du silence qu’il observe sur les tueries et pillages en échange des honneurs et prébendes que la nation lui octroie. Chaque fois qu’un nouveau pouvoir s’installe, il s’empresse de lui envoyer ses enfants pour prétendument l’encourager quand il ne s’agit que de les mettre dans la boucle de la nouba…
On peut tout dire de Leopold Sedar Senghor sauf qu’il a su partir « sans se retourner » et a eu la dignité d’acter ses limites dans les matières économiques pour faire une transition générationnelle.
Sous son leadership, malgré ses penchants vers l’ex-métropole où l’attiraient ses goûts littéraires et son vécu politique passé, nul ne peut dire qu’il n’a pas bâti un État moderne où pauvres, ruraux ou urbains, comme les plus aisé.e.s dans la société, pouvaient équitablement rivaliser pour exceller.
Senghor savait parler dans leur langue, en faisant comme eux, aux pêcheurs, paysans et pasteurs autant qu’il excellait dans la finesse scripturale et oratoire en s’adressant aux élites Occidentalisées en des patois étrangers. Et il a cédé au pluralisme démocratique vers la fin de son pouvoir.
Je le revois chez lui à Square de Tocqueville, à Paris, habillé de son africanité qui l’a, depuis lors, mis à un autre niveau que celui de la piétaille, menu fretin, préoccupée par des enjeux secondaires, ayant repris le flambeau du leadership national…
En se réveillant ce matin, le Sénégal patauge. Dans le néant. Vers nulle part ! Désespoir et désillusion colorent d’un horizon sombre son destin. Hélas, on y avait crû…
La crise institutionnelle qui s’installe actuellement n’est donc qu’un nouveau moment de la décrépitude d’une nation à laquelle le destin offrait, à sa naissance, de solides raisons de se distinguer dans la communauté des États.
Adama Gaye, auteur de Chine-Afrique : le dragon et l’autruche (Éditions l’Harmattan) est un Ex-Otage de l’Etat du Sénégal.