Interview- Ablaye Sow, Président des exploitants forestiers : Yaya Jammeh prête main forte à ceux qui pillent nos ressources

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abdoulaye sow

La volonté affichée par le président Macky Sall de lutter contre la coupe illicite de bois au Sénégal a été vivement saluée par l’Union nationale des exploitants forestiers du Sénégal (Uncefs). Dans un entretien accordé à Seneweb, Ablaye Sow, Président de la structure,  s’est félicité de l’acte posé par Macky Sall pour protéger nos forêts, avant de solliciter la tenue d’un Conseil présidentiel sur la foresterie. Une occasion qu’il a mis à profit pour accuser le président Gambien Yaya Jammeh d’être le maître d’œuvre, en complicité avec les Chinois, de cette coupe de bois illicite.  

 

Comment avez-vous accueilli la suspension de tous permis d’exploitants forestiers au Sénégal annoncée par le président de la République à la cérémonie de clôture de la première Conférence nationale sur le développement durable le 24 juillet dernier à  Dakar ?

 

 Il faut tout d’abord souligner que le président de la République, Macky Sall, a bien précisé qu’il combat l’exploitation illicite. Et là, l’Uncefs (Union nationale des exploitants forestiers du Sénégal) est en phase avec le président Sall. Parce que nous aussi, on combat l’exploitation illicite du bois au niveau de nos frontières. L’Uncefs ne peut pas ne pas accompagner le président dans cette croisade pour la bonne et simple raison que, actuellement, les autochtones ont tendance, maintenant, à s’engouffrer dans cette exploitation illicite. L’Uncefs a demandé à l’Etat de saisir la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) pour dénoncer cette situation. Parce que, au Sénégal, quand on observe ce qui se passe au niveau de nos frontières, on verra qu’une quantité impressionnante de notre bois local est coupée illicitement et convoyée en Gambie. On a noté des installations chinoises sur chaque kilomètre sur les sols gambiens jouxtant nos frontières. Des installations créées en complicité avec les autorités gambiennes pour récupérer le bois provenant des forêts Sénégalaises. Ce trafic, comparé à celui pratiqué au niveau national, fait froid dans le dos. Il n’y a même pas photo. Et cela se fait maintenant de Ziguinchor à Tambacounda, en passant par Sédhiou, Kolda etc. C’est dire donc que cette situation, on ne peut que la dénoncer avec M. le président de la République.

 

Il est dit que certains de ces coupeurs indexés détiennent des permis d’exploiter, comment expliquez-vous cela ?

 

Certes, il y a des chefs de village et certains maires qui délivrent des autorisations. Mais, il y a aussi des autorisations qui n’ont pas de valeurs, parce que cela ne vient pas des services forestiers. Voilà entre autres la raison pour laquelle nous pensons que le président a pris cette mesure pour freiner ce trafic illicite. Nous disons ainsi être en phase avec le président de la République. Raison pour laquelle, j’ai sorti un communiqué au nom de l’Uncefs pour affirmer qu’on n’a pas de problème avec le président de la République dans son ambition de lutter contre la coupe illicite de bois. Il nous faut éclairer la lanterne des Sénégalais pour leur dire qu’il existe deux types d’exploitations: illicite et licite  normée.

 

Quelle différence il y a-t-il entre ces deux types d’exploitation ?

 

 Nous, nous sommes des partisans de l’exploitation licite normée. Ce sont les Eaux et Forêts qui nous installent dans leurs zones d’activité. Les exploitants bénéficient de trois types de permis d’exploitation pour trois types de bois (bois de chauffe, bois d’artisanat et bois d’œuvre). Une partie du bois d’œuvre va dans les scieries, les menuisiers, etc. Il y a des diamètres normés. Pour le bois artisanal, c’est de 15 à 45 cm ; pour le bois de chauffe, c’est de 0 à 45 cm. Quant au bois d’œuvre, le diamètre doit être de 45 à 65 cm. Donc, des textes ont prévu des normes concernant l’exploitation de ces types de bois. On y travaille. Donc, s’il y a amalgame maintenant dans ces types de bois à l’origine des déclarations insensées de  Aly Haïdar, nous estimons que cela ne nous intéresse pas. N’oublions pas que c’est nous qui avions soulevé le problème le 21 février à Kolda. Donc, la saignée que nous avons notée, cela remonte bien avant qu’il ne soit aux affaires. Donc nous, ce que nous voulons, c’est que le Sénégal prenne les dispositions idoines pour arrêter cette saignée. Parce que, la saignée se trouve au niveau de nos frontières. Et c’est là bas où ceux qui pillent nos ressources forestières se trouvent.

 

 C’est donc critique à ce point là ?

 

 Oui ! Les dégâts sont incommensurables. Et il nous faut agir vite pour sauver nos forêts. Concernant la consommation au niveau national, nous savons tous que 70% de l’énergie domestique provient de nos forêts sous forme de bois et de charbon. Le gaz ne représente pas 30% de cette consommation énergétique nationale. Ce qui est consommé au niveau des villes et des zones rurales n’est pas comparable. Donc, je pense qu’il y a des choses qui demandent à être réglementée et surveillée. Et nous serions obligés d’aller en chercher ailleurs si nous n’en étions pas pourvus. Donc, je pense qu’on doit en consommer comme on en dispose. Mais, que cette consommation soit normée afin d’éviter à n’importe qui de faire comme bon lui semble avec la ressource. Si nous disons que nous sommes en phase avec le président de la République, c’est parce que nous voulons que des garde-fous soient mis pour que les gens puissent se limiter à l’exploitation normée. Mais ce que nous constatons depuis un certains temps, et cela fait plus de 7 ans, c’est ce trafic illicite de bois en direction de la Gambie. Les Chinois sont en Gambie. En receleurs, ils achètent le bois volé sur le sol sénégalais.

 

 Est-ce que les autorités étatiques sont au courant de cette situation ? Il y-a t-il des  mesures prises dans ce sens par l’Etat ?

 

 Oui l’Etat est au courant. Je salue d’ailleurs, les mesures prises par le président de la République relatives au recrutement des 400 agents des Eaux et forêts ainsi que sa promesse faite de mieux équiper en 2015/2016 les services forestiers. Ce sont des mesures que l’Uncefs salue d’autant plus que c’est nous qui l’avions sollicité, le 21 février. Donc, pourquoi on est en phase avec le président de la République ? Il a crée des brigades mixtes, police, gendarmerie, douanes, eaux et forêts  qui sont dirigées par l’Armée nationale. Mais, ces brigades ne font qu’une seule sortie tous les 15 jours. Nous pensons que cela est insuffisant et même trop peu, par rapport à la situation et l’ampleur du trafic illicite du bois dans cette zone. Nous voulons quelque chose de pérenne. C’est pourquoi nous demandons que cette affaire soit portée devant la Cites pour que s’arrête ce trafic sur le sol Gambien. Parce que, le Sénégal ne peut pas réussir à freiner cette saignée tant que le gouvernement Gambien ne joue pas le jeu. Parce qu’il est noté que ce trafic est beaucoup plus rentable pour ses adeptes que la culture ou l’élevage. Chaque billon de bois est acheté à 40 000 F CFA, une fois de l’autre coté de nos frontières.

 

 Mais dans la déclaration du président Macky Sall, il était question de la suspension de tous les permis d’exploitation

 

 A dire vrai, lorsqu’il a annoncé la suspension de tous les permis d’exploitation concernant la coupe de bois, moi j’avais compris qu’en disant cela il parlait d’exploitation illicite. Mais, comme on n’avait pas les détails concernant cette décision, nous avions jugé plus prudent d’attendre. C’est pourquoi, après une communication faite au cours du Conseil des ministres, quelques jours après cette déclaration au King Fahd le 24 juin, il a fait un communiqué sorti le 29 juillet. Ce communiqué a tout clarifié. Nous estimons aussi que si le président était allé jusqu’au bout de sa déclaration initiale, en procédant à la suspension de tous les permis d’exploitation, cela nous obligerait tous à croiser les bras, inactifs. Bien heureusement, aujourd’hui, nos activités ne sont pas au ralenti parce que notre activité est licite. Seule l’exploitation illicite a été bloquée. Et nous soutenons le président dans la lutte contre ce type d’exploitation qui est à l’origine de cette saignée notée à nos frontières. Et cette saignée ne ralentit pas. Nous voulons même que les mesures prises pour combattre ce fléau soient corsées. Mais, il faut dire que cette mesure concerne essentiellement l’exploitation du bois à Ziguinchor et nous plaidons pour son contrôle. Parce que dans cette localité, les combattants, les autochtones, les maires, entre autres, tous ces gens s’activent dans ce trafic.

 

Si tout ce beau monde s’est lancé dans ce trafic, quel serait selon vous l’ampleur des dégâts subis par nos forêts à cause de cette saignée ?

 

 En tout cas, moi je ne peux pas l’évaluer, mais Aly Haïdar, alors ministre de l’Environnement, avait annoncé que quelques 700 conteneurs de produits illicites sont en train d’être réceptionnés en Gambie. Ce sont ses estimations. Mais, ce que je puis dire est que chaque jour on note la progression de ces activités illicites. Dans le passé, c’était dans le département de Bignona et le département de Ziguinchor, maintenant cela se fait sur toute la zone frontalière. De Bignona à Makacoulibantang en passant par Tambacounda, tout le monde s’adonne maintenant à cette activité illicite. La population a abandonné les champs et l’élevage au profit de ce trafic. Parce que les Chinois les attendent de l’autre coté de la frontière. Il a fallu qu’on dénonce ce fléau, que Macky Sall le combatte pour que Haïdar et Cie daignent en parler. Depuis 7 ans, je suis le seul qui dénonce cette pratique. Le mérite du président Sall est donc qu’il est le seul à avoir annoncé son engagement à combattre ce fléau. Aujourd’hui, Haïdar fait feu de tout bois, juste pour revenir aux affaires. Quand il était aux affaires, qu’est ce qu’il a fait ? Nous estimons que l’actuel ministre de l’Environnement a beaucoup plus de mérite que lui. Abdoulaye Baldé a été sur le terrain en compagnie de son collègue des Forces armées pour voir comment mettre en œuvre cette lutte contre l’exploitation illicite.

 

 Que préconisez-vous pour régler ce problème ?

 

 Ce que nous demandons au président Macky Sall, c’est de convoquer un conseil présidentiel sur la foresterie comme il avait fait avec l’initiation de la première Journée nationale sur la foresterie. Parce que s’il convoque un conseil présidentiel sur l’exploitation du bois, cela va permettre à tous les acteurs de se mettre autour de la table et ce sera l’occasion pour nous de révéler au président tous les problèmes du secteur. Il pourra ainsi situer les responsabilités. Mais, il faut dire que ce qui se passe n’a rien à voir avec le train-train quotidien. Des étrangers sont est en train d’agresser notre pays. Raison pour laquelle, nous demandons maintenant au gouvernement du Sénégal de porter l’affaire devant la Cites. Ainsi, cette structure saura prendre en charge cette affaire et imposer à la Gambie ce que nous ne pouvons lui imposer. Ces mesures présidentielles prises, nous les saluons, mais sans l’apport du gouvernement Gambien, le Sénégal ne saurait pas freiner cette saignée. Cela parce que les populations s’y sont investies à fond. La Gambie laisse la porte ouverte aux trafiquants et aux receleurs de notre bois illicitement obtenu.

 

Vous sous-entendez alors que les autorités gambiennes sont de mèche avec les trafiquants et qu’elles entretiendraient même cette pratique ?

 

 Nous savons tous que le président Yaya Jammeh est le patron de cette affaire de cette coupe illicite de bois et de son recel. Le gouvernement Sénégalais le sait mais le laisse faire, sans lever le moindre doigt. Si l’Etat ne prend pas ses responsabilités devant ce fléau, le Sénégal va perdre sa forêt. Cela n’a que trop duré. Ce qui pose problème est que notre forêt se trouve à la périphérie de la frontière Sénégalo-gambienne. Il y a même une exploitation anormale au niveau de notre frontière avec la Mauritanie. Mais ce n’est pas important, c’est un trafic de charbon.

 

Et quel est le type de bois le plus prisé par les trafiquants ?

 

 Ce sont le ‘’dimb’’ et le ‘’venne’’. Ce sont des bois très prisés sur le plan international. Le Sénégal a interdit l’exportation de ces types de bois. Nous voulons que ce soit juste pour la consommation nationale. Les Chinois n’ayant pas la possibilité d’en avoir ici, comme c’est un produit privé, se sont installés en Gambie, où en complicité avec les autorités locales font comme bon leur semble. Ces gens ne sont pas des parents. Parce qu’on est dans une situation où on connait le voleur, ses complices, le receleur et son logeur. Je ne crois pas qu’on puisse réussir avec une quelconque mesure tant que le président Yaya Jammeh continue de prêter main forte à ceux qui pillent nos ressources. Le président Sall a pris des mesures certes, il a donné des moyens pour dissuader les adeptes de cette coupe illicite de bois, mais c’est insuffisant. Nous voulons aussi que les autorités, en aval, prennent leurs responsabilités avec le gouvernement gambien. Mais, personne ne met le doigt sur ce problème.

 

Est-ce donc ce qui expliquerait la perte de 40 000 hectares de nos forêts annuellement ?

 

 En effet. Et d’ailleurs, dans le discours du président, il a été relevé que 40 000 hectares de forêts sont perdus chaque année au Sénégal, mais on doit donner les détails de ces estimations données par la Fao. Je me souviens qu’en 2008, ces estimations étaient de 120 000 hectares. Aujourd’hui, grâce à un plan d’aménagement mis en œuvre, elles ont connu une baisse drastique pour atteindre ces 40 000 ha. Sur ces estimations, les 53% proviennent des feux de brousses ; les 28% sont dus au front arachidier. Nous réitérons notre souhait de voir le président Macky Sall convoquer un conseil présidentiel sur la foresterie pour nous permettre de lui donner les détails de ces milliers d’hectares de forêt perdus annuellement. Je peux préciser que cette perte est à plus de 99%, le fait de l’homme. Aujourd’hui, l’agriculture fait que certaines populations coupent des arbres et font reculer la forêt. Ces populations ont quitté le Sine et le Saloum pour venir s’installer dans la zone appelée « Villages neufs » dans la localité de Koumpentoum. Cela est la preuve que la forêt a été délestée d’une partie de sa superficie au profit de populations venues cultiver la terre. Cela parce que les terres où elles cultivaient sont lessivées. Et cela représente 28% de la dégradation des forêts sénégalaises. Alors que nous qui sommes les exploitants forestiers, on ne peut pas nous imputer un pourcentage important de cette dégradation.

 

On a mis en place un plan d’aménagement qui permet à la forêt de se régénérer. Donc, comment peut-on vouloir nous mettre, nous les exploitants qui agissons dans la légalité, au même niveau que ceux qui, armés de leur haches, coupent comme ils veulent. Par ailleurs, si tant est qu’on veut protéger nos forêts luttons contre les feux de brousses. On parle aujourd’hui de campagne de reboisement. Mais, il n’y a pas eu de concertation sur cette campagne. Uncefs a, cette année planté 500 000 arbres sur les 14 millions visés par le ministère. Le cinquième de ces plants est constitué de caïlcédrats à Mbao. Ce choix s’explique par le fait que ce type d’arbre a une croissance lente. Pour que cet arbre soit en maturité, il faut un siècle de vie. Nous allons continuer cette tendance d’autant plus que le caïlcédrat est une espèce menacée. Nous avons ciblé quelques localités comme Dakar, Thiès, Tivaouane, mais aussi Mbour. Nous comptons même faire des reboisements dans cette dernière localité, le 23 août prochain.

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