Imam Moustapha Niang : «Servir et non se servir, ni de l’ Islam ni de l’ Etat»
On est à quelques heures de la prière du vendredi. La mosquée Mouhamadiyya et ses alentours grouillent de monde. C’est la première chose qui attire la curiosité d’un étranger. C’est impressionnant. «Certains travaillent ici, mais nombre d’entre eux, viennent solliciter un soutien pour tel ou tel problème. En général, beaucoup de gens viennent pour demander la dépense, pour le paiement d’une ordonnance, d’un ticket pour aller se faire consulter à l’hôpital…», nous confie un talibé proche de l’Imam Moustapha Niang, après les salamalecs d’usage. En fait «servir» et non «se servir» semble être la mission de l’imam de la mosquée Mouhamadiyya. Ferloo l’a rencontré en pleins préparatifs du sermon de vendredi. Entretien !
Qui est imam Moustapha Niang ?
(Rires). Assalamou Haleykoum Wa Rahmatou’allah ! Je m’appelle El Hadji Moustapha Niang, imam de la mosquée Mouhamadiyya, plus connue sous le nom de la mosquée Mame Ansou Niang, sise à Liberté 6 Extension, face à la cité CPI. Après la gestion de la mosquée, nous œuvrons dans plusieurs secteurs d’activités : transport avec SIRMANG Voyage, SIRMANG Agrobusiness, SIRMANG Water, SIRMANG Pêche, SIRMANG Elevage…
Que font tous ces gens dans et aux alentours de la mosquée ? Est-ce que vous faites beaucoup d’actions sociales aussi ?
C’est certain ! Dès qu’on porte le titre de « imam », on est au centre des préoccupations de tout le monde. Toute personne qui a un besoin quelconque vient t’exposer son problème. C’est pourquoi, pour répondre aux nombreuses sollicitations, nous avons divisé nos actions en plusieurs parties.
Premièrement : comment gérer l’aumône légale, «Zakat » ? Nous procédons d’abord à la collecte des « zakats », puis nous procédons à leur répartition aux ayants droits, conformément aux recommandations divines. Et cela, après avoir constaté que l’aumône légale ne suit pas son circuit normal dans beaucoup de pays musulmans. Dans la mosquée, il y a une commission qui s’occupe et de la collecte de l’aumône légale et de sa répartition aux ayants droits.
Deuxièmement : Des personnes qui ont de problèmes urgents, des problèmes familiaux, conjugaux, des problèmes de dépenses, courent vers nous. Et nous essayons de trouver des solutions. Vous me poussez, d’ailleurs, à trahir un secret. Nous distribuons entre 150.000 à 250.000 Fcfa par jour, à des personnes qui ont divers problèmes : dépense quotidienne, ordonnances, pour avoir de quoi se faire consulter, de quoi payer ses factures… Souvent, nous recevons des personnes à auxquelles l’on vient d’annoncer un décès, mais qui n’ont pas de moyens pour se rendre au lieu du deuil. On s’organise avec le comité de gestion de la mosquée pour trouver une solution rapide, puisque ce sont des urgences qui ne peuvent pas attendre.
Troisièmement : Il y a des gens qui viennent pour nous consulter sur tel ou tel sujet par rapport aux principes islamiques et par rapport à la « charia ». Il s’agit, le plus souvent, des problèmes familiaux, conjugaux, de voisinage… Nous leur rappelons les principes islamiques sur la question, tout en essayant de trouver un règlement à l’amiable, à l’instant.
Nous servons également de relai entre les populations et les autorités locales : chefs de quartiers, maires, préfets, gouverneurs… Il arrive que nous intervenions pour régler un différend, pour éviter la voie judiciaire.
Imam, on voit vous que êtes très occupé, mais comment conciliez-vous donc vos activités sociales et professionnelles ? Vos activités temporelles et spirituelles ?
Tout est question d’organisation.
Est-ce que vous avez d’autres projets ?
Oui ! Je viens de vous parler de SIRMANG Agrobusiness. Ce sera pour aider les gens. Nous nous sommes dit que l’aide provenant de l’imam doit avoir une origine licite. Et puisque nous sommes des agriculteurs dans le Niombato (département de Foundiougne), nous avons décidé de nous lancer dans l’Agrobusiness. Au lieu de travailler trois mois par an, nous voulons travailler maintenant, au moins, neuf mois sur douze, en procédant à la production, à la transformation et à la vente des céréales. Et cela, après avoir mis de côté, le ravitaillement annuel en denrées de notre Daara. C’est une grande Daara, mais aucun enfant ne mendie. C’est elle-même qui produit ce qu’elle consomme.
Et avec le produit de la vente, nous pourrons payer les salaires de nos employés, assurer le carburant pour nos déplacements et aider les plus démunis. Notre mission est d’aider, d’assister les plus démunis.
Nous sommes en train de mettre à profit les alentours de la mosquée. C’est ainsi que nous envisageons d’ouvrir une petite unité appelée SIRMANG Water qui va, d’ailleurs, démarrer la semaine prochaine (l’entretien est réalisé vendredi dernier). Nous avons construit des cantines autour de la mosquée. L’argent récolté de la location des cantines ou provenant d’autres activités permet de répondre aux besoins des différents comités, mais aussi redistribué aux plus indigents.
Des comités dans la mosquée ?
Oui ! Dans la gestion de la mosquée, il y a des comités. Comité scientifique, comité de restauration, comité chargé de l’administration de la mosquée… A titre d’exemple, une cantine sera mise à la disposition du comité Informatique qui peut mener des activités lucratives comme la confection des t-shirts, de cartes de visites ou d’autres activités de sérigraphies. L’argent récolté par ce comité retourne à la mosquée, après avoir servi à payer les salaires des travailleurs de ce comité. Et avec le reste, nous pourrons aider des personnes indigentes. Je vous ai parlé de l’aumône légale (Ndlr : il rappelle les versets coraniques sur ledit sujet). En fait, l’aumône légale appartient à tous ceux dont le salaire ne permet pas de vivre décemment. Contrairement, à ce qu’on pense, 90% des travailleurs salariés au Sénégal se trouvent dans cette situation. Ils ont droit de recevoir l’aumône légale.
Tous ces jeunes que vous voyez, actuellement, dans et aux alentours de la mosquée, ce sont des étudiants, des diplômés à la recherche de l’emploi… La mosquée va les employer tous, s’il plaît à Dieu. Ils auront quelque chose à la fin du mois à amener à la maison et apporter une petite portion à la mosquée pour la prise en charge sociale d’autres personnes.
Votre mosquée est alors à la fois, un lieu de culte et une entreprise économique ?
C’est exactement cela. Nous travaillons. A l’heure de la prière, nous allons prier et retourner au travail après. C’est ce que recommande le Tout-puissant.
Vous êtes en train d’enlever une grosse épine du pied du gouvernement. Est-ce que le gouvernement est au courant de votre combat contre le chômage des jeunes ?
C’est mon devoir. Comme je vous ai dit tantôt quand quelqu’un est imam, il doit se mettre au service de population. L’essentiel pour moi est de ne pas violer les lois du pays. Par exemple, avant de créer SIRMANG Voyage, j’ai été voir qui de droit, pour être conforme à la législation du pays. A l’APIX, on m’a indiqué tout le circuit et tous les papiers à fournir. Mieux, en tant qu’imam, j’ai la société de Dieu. C’est Il qui m’assiste et m’oriente.
Je m’explique imam : la question de l’emploi des jeunes est une préoccupation pour le gouvernement. Vous créez des sociétés pour donner du travail aux jeunes. Y a-t-il un appui du gouvernement en votre faveur ?
Non ! Je n’ai aucun appui. J’ai fait mon devoir d’aller rencontrer des ministres pour leur faire des propositions concrètes en vue de la résorption du chômage des jeunes. J’ai même juré devant certains d’entre eux, que je peux donner du travail à 1000 jeunes par mois.
Comment ?
Par l’auto-emploi. Ils vont avoir de quoi se prendre en charge et participer au développement du pays à travers le paiement des impôts et autres fiscalités. A titre d’exemple, nous disposons de plus de 600 hectares. L’exploitation de ce périmètre peut utiliser des milliers de jeunes, allant de la production à la distribution, en passant par le transport, la mécanisation, la transformation. Le président Macky Sall le sait bien, puisqu’il a été là-bas.
Le hic dans notre pays est que le pouvoir ne voit pas très tôt les solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Moi, je suis prêt à travailler avec le pouvoir pour la prise en charge des préoccupations des populations, mais en dehors de toute politique politicienne. J’ai écrit à certains ministres, et j’ai discuté avec d’autres, mais jusque-là, il n’y a aucune suite.
J’ai des projets à proposer. Il suffit de s’engager et de vouloir travailler pour gagner sa vie. Moi, je suis imam, je n’ai pas besoin de «Adiyya» pour vivre. Ma conviction est de travailler et bien travailler, en mettant en avant, les valeurs de «joom», « ngoor»… Je ne me permets pas d’attendre « un adiyya » d’un talibé ou d’un disciple. Peut-être, je peux aider un talibé à mieux investir le « adiyya» qu’il voulait m’offrir pour gagner sa vie, et à la longue, participer, à son tour, au développement du pays, à sa manière et aider les indigents. Mon travail me suffit. Dieu merci. Il m’a donné quelque de très cher : la terre. Ma conviction est de travailler pour aider les gens. Ma vocation est de donner et non de recevoir.
La gouvernance de la mosquée me donne chaque fin de mois quelque chose, mais avec cet argent, je n’ai jamais acheté un litre d’essence avec. Tout est redistribué aux démunis avant un tour d’horloge. Ce que je donne par jour fait plus de 250.000 Fcfa. Attendez la fin de la prière de vendredi pour constater la véracité de ce que j’avance.
Vous êtes un imam particulier, alors ?
(Rires). Je n’ai pas besoin de turban. Moi je travaille. (Sedee Yallah, s’écrie-t-il, après avoir entendu l’appel du muezzin). Ma mission est plus importante que celle d’un chef d’Etat. Je joue un rôle d’interface entre le temporel et le spirituel. Mon Président est le prophète Mouhamed (PSL). Donc, je dois beaucoup travailler pour remplir cette mission ô Combien (!) importante. Toutes mes entreprises fonctionnent sauf SIRMANG Agrobusiness. Et là, je n’attends que l’autorisation, car je ne veux enfreindre aucune loi du pays.
Le Sénégal traverse des moments difficiles, en atteste le nombre de personnes que vous recevez chaque fois et qui demandent la dépense… Quel massage d’espoir, lancez-vous à nos compatriotes ?
C’est le Sénégal. Voilà un pays où les gens aiment la facilité. Ils aiment l’argent, mais ne veulent pas travailler. Tout le monde doit travailler. Les dignitaires religieux et les acteurs politiques doivent donner l’exemple. Chacun d’entre nous, doit avoir un champ ou un bureau ou encore un atelier pour travailler en dehors des activités cultuelles. Imaginez que quelqu’un vienne voir un Khalife général pour solliciter des prières et apprend qu’il est au champ. Forcément, il se dira que seul le travail est la voie du salut. Chacun de nous doit avoir un métier. Il n’y a pas de sot métier, sauf les métiers interdits par l’Islam.
J’appelle tous les Sénégalais au travail. Tout ce que tu peux faire, fait le. Et le ciel t’aidera. «Les versets que vous voyez à l’entrée de mon bureau, j’ai payé le service de quelqu’un qui écrit mieux que moi. Pourtant, ces versets, je peux les écrire moi-même, mais j’ai constaté qu’il a une bonne calligraphie et avec ça, il peut gagner sa vie, je l’incite à continuer. Personne ne doit pas dire que je n’ai rien à faire. Dieu a donné à tout un chacun, de quoi faire pour vivre, mais il faut l’aimer. Menuisier, ne reste pas au lit, lève-toi et va à l’atelier, le forgeron, idem… «Dieu a ordonné au prophète Ibrahima d’appeler les gens à venir effectuer le hadjj. Quand Ibrahima dit qu’il ne peut pas appeler tout le monde, Dieu l’avertit : «Ibrahim, ta mission est d’appeler, mais quant à savoir qui viendra répondre à cet appel, cela m’incombe». Je veux dire par là, que l’essentiel est de commencer quelque chose. Mais regardez, depuis plus de 5000 ans, il y a des gens qui répondent chaque année à cet appel. Une femme qui peut faire le linge doit le faire pour qu’on la paie. Celui qui cherche du bois mort, doit le faire…
J’invite encore tout un chacun au travail, mais je n’ai pas dit d’aller danser ou de faire de la politique. La politique n’est pas un métier. La politique est une manière de s’orienter, mais pas pour vivre de la politique. On doit servir l’islam et non se servir de l’islam. Aussi, il faut servir son pays et non se servir de son pays. Un président, un ministre, un directeur de cabinet…, tous doivent s’approprier ce principe. Tout un chacun doit servir son pays pour son développement et non s’enrichir avec les deniers publics. ll faut avoir un métier et travailler. Et le Ciel assurera le reste.
Abdou TIMERA