Ibrahim Boubacar Keïta : « le Mali est une digue. Si elle rompt, l’Europe sera submergée »

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Ibrahim Boubacar Keïta : « le Mali est une digue. Si elle rompt, l’Europe sera submergée »

Lutte contre l’insécurité et le terrorisme, relations avec la France, critiques de l’opposition, famille, santé, argent… À l’approche de la prochaine présidentielle, en juillet 2018, le chef de l’État livre sa part de vérité.

Au sommet d’une colline d’où la vue sur Bamako a quelque chose de magique sous les derniers feux du crépuscule, Koulouba est un palais en manque de locataire. L’opposition malienne y voit le symbole d’un chef d’État aux abonnés absents, mais la réalité est tout autre. Si Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), au pouvoir depuis septembre 2013, ne dort ni ne travaille dans cette ancienne demeure des gouverneurs du Soudan français qu’il a pourtant fait restaurer, c’est parce que cet animal politique formé dans les meilleures universités parisiennes préfère toujours, à 72 ans, habiter la maison paternelle.

Deux fois par jour, le matin et le soir, son cortège traverse Bamako, dont il observe les pulsions, le nez collé à la vitre de son véhicule. Vivre au quartier et travailler à l’ombre du palais, dans l’un des bâtiments du complexe présidentiel de Koulouba, à la fois au ras du sol et en hauteur, c’est sa façon à lui d’éviter ce qui menace tous les chefs d’État : l’isolement, la coupure d’avec le peuple. « J’aurais pu, moi le Noir mandingue, résider dans le palais construit pour le gouverneur blanc, qu’y aurait-il eu à redire ? sourit IBK. Mais mon grand bonheur, c’est de me retrouver, le soir, là où a vécu mon père. »

Candidat à sa propre succession en 2018 ?

Ce Koulouba refitted, à grands frais mais avec goût, il faudra pourtant bien que quelqu’un s’y installe. Sera-ce lui, l’an prochain, pour un second et dernier mandat de cinq ans ? Même s’il ne le dit pas encore, personne au Mali ne doute qu’IBK sera candidat à sa propre succession en 2018 (le scrutin est prévu, en principe, pour le mois de juillet). Face à une opposition multicéphale mais pugnace, dans un contexte de recrudescence des attentats terroristes dans le Nord et dans le Centre, et alors que l’économie peine à sortir de sa léthargie, le résultat n’est pas acquis d’avance.
Entre Bamako la frondeuse et des campagnes où le vote demeure largement communautariste, il va falloir que ce président madré et patelin, humaniste, démocrate et cultivé, mouille le boubou dans l’arène, défende son bilan et reconquière les cœurs déçus. Saura-t-il retrouver l’énergie et le charisme qui lui permirent, en 2013, d’obtenir 77 % des voix ? Une chose est sûre : pour éviter un second tour de tous les dangers et les périls d’un « tous contre IBK », il lui faudra l’emporter au premier…

L’entretien que vous allez lire a été recueilli le 20 novembre, alors que le président malien s’apprêtait à se rendre à Sikasso pour une vaste tournée d’inaugurations, qui apparaît déjà comme sa première vraie sortie préélectorale…

Jeune Afrique : Vous êtes au pouvoir depuis un peu plus de quatre ans, et certains observateurs estiment que, finalement, le Mali ne se porte pas mieux qu’en 2013. Quel est votre avis ?

Ibrahim Boubacar Keïta : Bien évidemment, je pense le contraire, et les Maliens aussi. Nous vivions alors dans l’angoisse du lendemain avec, chaque jour, des affrontements entre groupes armés et armée nationale malienne, le plus souvent au désavantage de cette dernière. Il n’y a plus aujourd’hui de belligérance entre ces groupes et nos forces armées. Ensemble, nous mettons en application l’accord de réconciliation signé à Alger en 2015. Certes, ce n’est pas toujours facile, car ce n’est sans doute pas le meilleur des accords possibles. Mais il a le mérite d’exister et d’offrir un cadre dans lequel nous devons nous inscrire. Nous sommes donc sur la bonne voie, celle d’une paix durable.

Pourtant, les incidents se multiplient ces derniers mois dans le Nord et dans le Centre. Peut-on raisonnablement encore parler d’« insécurité résiduelle » ?

Ce que je viens de vous expliquer concerne les groupes armés, et ce à quoi vous faites allusion relève de l’agression terroriste. Ce n’est pas la même chose. Nous faisons face à une multiplication des attentats meurtriers par engins explosifs improvisés, posés le long des routes, et ce presque chaque jour. C’est une guerre d’usure avec son lot d’assassinats, d’égorgements et d’enlèvements. Peu à peu, nous faisons en sorte de réduire ce terrorisme pseudo-religieux de grand chemin, tout en préservant les droits humains.

Je respecte le travail de Human Rights Watch, mais le rapport que cette ONG vient de produire sur les exactions auxquelles se livreraient nos forces armées est injuste et partial : pourquoi ses enquêteurs ne sont-ils pas venus nous interroger ? Ce type de maintien de l’ordre est très complexe, très délicat à mener. La moindre des choses est d’apporter la preuve de ce que l’on dénonce, d’enquêter à charge et à décharge.

Les actes de violence terroriste se sont étendus dans la région du Macina, dans le centre du Mali. Avez-vous un problème particulier avec les Peuls, très présents dans ce secteur ?

Non. Évitons à tout prix d’ethniciser le problème, cela ne correspond à rien. Moi-même je suis mandingue avec un peu de sang peul, d’où mon teint qui n’est pas celui de mon grand-père, mort pour la France à Verdun – une femme peule est passée par là. Le Mali est un pays de brassage et de tolérance. Ce qui se passe dans le Macina est une excroissance de ce que nous combattons dans le Nord, une offensive de la terreur commanditée par Iyad Ag Ghali, lequel a fait allégeance à Al-Qaïda. Certains me reprochent de ne pas chercher à négocier avec cet individu : c’est hors de question.

Les Français reprochent aux Algériens de ne rien faire pour mettre Ag Ghali hors d’état de nuire. Ont-ils raison ?

Ce n’est pas mon affaire. Le Mali a deux partenaires d’importance, qui s’efforcent de nous aider du mieux qu’ils peuvent : la France et l’Algérie. Nous avons tous trois le même but : la paix. Il ne me viendrait jamais à l’esprit de soupçonner tel ou tel d’avoir un agenda caché.

Les forces françaises au Mali ont mené, dans la nuit du 23 au 24 octobre, un raid contre une base jihadiste non loin d’Abeibara, dans le Nord, à côté de la frontière avec l’Algérie. Cette opération a suscité une polémique. Onze soldats maliens qui s’y trouvaient ont été tués. S’agissait-il de prisonniers de guerre ou de militaires retournés par les islamistes, comme on le dit à Paris ?
Il s’agissait bel et bien d’otages des terroristes, et il ne faudrait pas qu’il y ait là-dessus la moindre ambiguïté entre nos amis français et nous. C’est un fait regrettable, qui peut hélas survenir dans ce type d’opération. On doit l’admettre et ne pas chercher d’autres raisons qui n’existent pas. Nous avons accepté les excuses que les Français nous ont présentées. Ne remuons pas le couteau dans la plaie.

Pourtant, la partie française semble maintenir son explication. Selon elle, ces soldats n’étaient pas des otages mais s’étaient ralliés, de gré ou de force, aux jihadistes…

Personne ne m’a dit cela officiellement. Et personne ne saurait me le dire.

Y a-t-il, pour parler familièrement, de la friture sur la ligne entre Bamako et Paris ?

Je n’ai rien senti de tel, au regard de la qualité de l’accueil que le président Macron m’a réservé fin octobre à l’Élysée. Il sait les efforts que nous accomplissons pour la mise en œuvre de l’accord d’Alger. Personne n’a plus intérêt à la paix que les Maliens, et je n’ai pas été élu pour inaugurer les chrysanthèmes.

A contrario, n’y a-t-il pas une forme d’agacement de plus en plus perceptible au sein de l’opinion malienne vis-à-vis des troupes étrangères – françaises, mais aussi celles de l’ONU –, à qui est reprochée une certaine frilosité dans la pacification du Nord ?

Ne tombons pas dans ce piège. Nous devons avoir du respect et de la reconnaissance pour ce que font la mission Barkhane et la Minusma. Le nord du Mali, où opèrent ces jeunes hommes, est un terrain dur, ingrat, complexe. C’est aussi grâce à eux que nous formons les bataillons de nos forces armées, lesquelles montent peu à peu en puissance.

Quand l’armée malienne sera-t-elle réellement opérationnelle ?

Elle l’est déjà en partie. Nous avons fait un effort budgétaire considérable pour la doter d’armements modernes, notamment d’une aviation. Sont acquis ou en voie de l’être quatre hélicoptères Puma et MI-35, quatre avions d’attaque Super Tucano brésiliens, trois avions de transport Casa et Y-12 chinois. Quand je suis arrivé aux affaires, notre aviation, qui eut ses heures de gloire, était à l’image de l’État malien : réduite à néant. Aujourd’hui, elle renaît, à l’instar du Mali.

Que répondez-vous à ceux qui, en France, disent que Barkhane coûte trop cher – 1 million d’euros par jour ?

Que le Mali est une digue et que, si cette digue rompt, l’Europe sera submergée. Le Mali n’est qu’un lieu de passage et d’aguerrissement pour des forces négatives qui, en réalité, visent le Maghreb et l’Europe. Avec Barkhane, la France ne défend pas que le Mali, elle défend ses propres valeurs, elle se défend elle-même. L’Allemagne et même la Chine, qui ont envoyé des troupes ici, l’ont très bien compris. Les Américains aussi, qui ont mis 60 millions de dollars sur la table pour soutenir l’initiative de la force du G5 Sahel, à laquelle je crois fermement.

Dans son dernier rapport, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est montré critique à votre égard : à l’entendre, presque aucun progrès n’a été fait dans l’application de l’accord de paix d’Alger. Comment réagissez-vous ?

Ce n’est pas ce que mon ami Antonio Guterres m’a dit en me recevant à New York, en septembre. Son représentant spécial au Mali, Mahamat Saleh Annadif, a d’ailleurs rectifié ce propos, avec son accord. Cette phrase est à la fois inexacte et injuste. Nous avons consenti des efforts financiers extrêmement lourds en appui à la démobilisation des ex-groupes armés. Nous avons créé deux nouvelles régions, Taoudeni et Ménaka, dont le maillage administratif pèse sur notre budget. Certes, le problème de la présence de l’État sur l’ensemble du territoire se pose encore, mais les poches de non-droit se résorbent une à une, au prix d’efforts considérables. La moindre des choses, de la part de nos amis, est de le reconnaître.

Êtes-vous sûr que l’argent prévu pour la reconstruction du Nord n’a pas été en partie détourné ?

Quand on avance ce genre d’accusation grave, on en apporte la preuve. Chaque dollar, chaque euro d’aide est surveillé. L’OCDE vient de nous féliciter pour l’utilisation de l’aide. Ce n’est pas sérieux !

Autre reproche : celui de sous-traiter la résolution de la crise sécuritaire dans le Centre à des notables islamistes, en l’occurrence à l’imam Mahmoud Dicko, à qui vous avez confié cette mission.

Mahmoud Dicko est le président du Haut Conseil islamique du Mali, autorité religieuse reconnue comme telle par les Maliens. Ce n’est pas un homme d’excès que je sache, c’est un fin lettré en arabe comme en français, un personnage convivial et respecté. Il est originaire du Nord, très connu dans le Centre, estimé par les Touaregs. Tout cela, ainsi que le combat, qui a toujours été le sien, contre l’extrémisme religieux, nous a amenés à penser que Mahmoud Dicko pouvait être partie prenante de la solution à la crise sécuritaire. Il a toute notre confiance dans cette tâche.

L’élection présidentielle est prévue pour juillet 2018. Certains, dans l’opposition, pensent que vous vous préparez à « glisser », comme l’on dit à Kinshasa, c’est-à-dire à reporter l’échéance pour cause d’insécurité dans certaines parties du Mali. Cette crainte est-elle justifiée ?

Je suis un très piètre glisseur. Pour tout vous dire, je ne sais pas tenir sur des patins à glace ou sur des skis. Ce n’est pas dans ma culture, qu’elle soit sportive ou politique.

Vous avez décidé de surseoir à l’organisation d’un référendum sur votre projet de révision de la Constitution, à la suite des protestations de l’opposition. Pourquoi ce recul ?

Je regrette que certains aient voulu profiter de ce débat pour y injecter des arguments démagogiques et sans aucun fondement. Selon eux, je me serais mis en tête d’instaurer une monarchie dynastique au Mali ! Que l’on me respecte au moins : mon peu de culture m’a toujours gardé du ridicule dans lequel sombre inévitablement celui qui s’adonne à de tels travers, et des dégâts que cela cause. Quand je pense qu’on m’a accusé de vouloir bafouer les mœurs maliennes pour la simple raison que dans le projet de révision figurait la réaffirmation de l’adhésion du Mali aux libertés individuelles et collectives, y compris celles des minorités ! Les auteurs de ces amalgames sont connus. Ils ont fait en sorte de polluer le débat, la surenchère des radicalités a pris le pas sur la raison. J’ai donc décidé de mettre balle à terre, jusqu’à nouvel ordre.

Surseoir, ou enterrer ?

Enterrer, certainement pas. Cette révision se fera, elle est inévitable, dans l’intérêt du pays. Le Mali doit avoir sa Cour des comptes pour être en conformité avec les règles de l’Uemoa, et son Sénat pour impliquer les autorités traditionnelles et leur légitimité spécifique. Telle était l’unique philosophie de cette réforme. Les fantasmes de mes adversaires ont fait que certains y ont vu ce qui n’existait pas. Fantasmes calculés, car le but était de manipuler les gens, de les jeter dans la rue, de faire en sorte qu’il y ait des morts et de déclencher la curée contre moi.

Votre famille fait l’objet de critiques de la part de l’opposition. Que répondez-vous ?

J’entends cela. On dit IBK, la famille, les enfants… Quels enfants ? Mon fils cadet Bouba, qui a travaillé à l’étranger au sein d’une fondation, est rentré au Mali pour participer à ma campagne en 2013. Depuis, il n’occupe aucune fonction officielle. Son aîné, Karim, a voulu faire de la politique malgré mes réticences ; il s’est fait élire député sans avoir besoin de cela pour vivre puisque, diplômé de HEC Montréal, il avait créé sa propre société. Son malheur, si l’on peut dire, est d’avoir battu démocratiquement un leader de l’opposition, ce qui ne lui est pas pardonné. Pour paraphraser Saint-Just au procès de Louis XVI : nul n’est prince innocemment. Capet était coupable d’être Capet. Keïta l’est d’être Keïta.

Et la première dame, d’être votre épouse ? On lui reproche son influence, notamment dans le secteur des affaires…

C’est archifaux et d’une injustice insigne. Mon épouse n’est dans aucune affaire, aucune. Elle n’en a ni le goût, ni le tempérament, ni l’expérience. Son ONG a été fondée avant mon accession à la présidence. Qu’on m’indique une seule affaire dans laquelle elle aurait trempé ! Ces accusations sont tout simplement diffamatoires. Nul, d’ailleurs, n’ose les formuler publiquement.

Quel est votre rapport personnel avec l’argent ?

Je ne suis pas un homme d’argent, les Maliens le savent. J’ai été le plus pauvre des principaux candidats à l’élection de 2013 et je ne suis pas devenu le plus riche des présidents, très loin de là. Le montant du fonds de souveraineté dont je dispose est ridicule : il n’a que très peu évolué depuis vingt-cinq ans. Je pioche dans mes réserves personnelles pour financer des activités sociales. Je déclare mes biens chaque année et je viens encore de contracter un prêt pour construire une maison. Je n’ai aucune propriété à l’étranger, et mon modeste compte à l’agence parisienne de la BMCE est débiteur de 130 euros. Tout cela est vérifiable. Le palais de Koulouba est un beau palais, mais je préfère vivre dans la maison de mon père, à l’autre bout de Bamako.

Savez-vous vraiment ce que pensent, ce que disent et ce que vivent les Maliens ?

Bien sûr. J’ai de grandes oreilles et de grands yeux. Je sais beaucoup, beaucoup de choses, même si je m’abstiens soigneusement de tout dire.

Quand annoncerez-vous votre candidature à un second mandat ? L’élection, c’est dans moins d’un an.

Ce n’est pas à un média, si respectable soit-il, que je dirai si je suis ou non candidat, mais au peuple malien. Achevons la tâche d’aujourd’hui et faisons en sorte qu’Ulysse arrive à bon port. C’est notre priorité.

Vos adversaires se déclarent déjà, ou s’apprêtent à le faire…

Grand bien leur fasse. C’est un signe de vitalité pour la démocratie malienne. Chez nous, le chef de file de l’opposition bénéficie d’avantages légaux connus : un budget annuel de 500 millions de F CFA [762 000 euros] versés sur son compte par l’État, du personnel de soutien, etc. Il a donc les moyens de se lancer dans la course.

Soumaïla Cissé donc, mais aussi Moussa Mara, Oumar Mariko, Modibo Sidibé, Tiébilé Dramé, Kalifa Sanogo, qui d’autre encore ?

Je l’ignore et je n’ai aucun commentaire à faire sur ce sujet.

Tous ou presque se rejoignent sur un point : IBK se prépare à organiser la fraude. Qu’en dites-vous ?

Qu’au Mali les fraudeurs sont connus. En 2013, quand certains de mes concurrents ont voulu pousser cette chansonnette un peu trop haut, on leur a conseillé, calmement et nuitamment, de baisser d’un ton. Croyez-vous sérieusement qu’on obtienne, comme moi il y a quatre ans, 77 % des suffrages par la fraude dans un pays d’aussi grande vigilance démocratique que celui-là ? Et puis, voyez-vous, je suis un piètre informaticien. Certains de ceux qui m’accusent à l’avance sont nettement plus calés que moi en ce domaine. Je m’en tiendrai là.

Comment se porte votre parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM) ?

Il pourrait être en meilleure forme, à condition qu’il comprenne que je n’ai pas été élu pour me livrer à une gestion partisane de l’État. J’ai été élu par l’ensemble des Maliens. Cela dit, je sais l’importance d’un parti dans le combat politique, et le RPM reste mon parti, même si je n’en suis plus le président.

Vous en êtes à votre quatrième Premier ministre en moins de cinq ans. Les trois précédents vous ont-ils déçu ?

Je crois que chacun d’entre eux a essayé de faire au mieux. Mais peut-être que ce mieux ne suffisait pas pour le Mali.

L’actuel chef du gouvernement, Abdoulaye Idrissa Maiga, est en poste depuis huit mois. Est-ce enfin le bon choix ?

Inch Allah. Je l’espère.

Le taux de croissance annuel de l’économie malienne est d’environ 5 %. C’est honorable, mais pas assez pour réduire la pauvreté…

Oui. Le bon chiffre serait 7 %. Mais, quand on sait qu’en 2013 nous étions en récession, le progrès est notable. Le socle, c’est l’agriculture, à laquelle nous consacrons 15 % de notre budget. Et les résultats sont là : 8 millions de tonnes de céréales, deuxième producteur africain de coton. Côté mines, nous sommes le quatrième du continent pour l’or, qui demeure notre première ressource d’exportation.

Vous organisez, les 7 et 8 décembre, le forum Invest in Mali, à Bamako. Que dites-vous aux investisseurs pour les encourager à venir ?

Le Mali est une destination qui vaut la peine d’être tentée. L’insécurité ? Elle n’est ni plus ni moins prégnante à Bamako qu’à Paris ou à Las Vegas. Nous avons de nombreux atouts, un code des investissements attractif, le souci de la rentabilité pour nos hôtes, un peuple accueillant. Celui qui vient à nous nous oblige.

Pourquoi, selon vous, l’ancien président Amadou Toumani Touré, ATT, qui vit en exil à Dakar, n’est-il toujours pas rentré au Mali depuis sa chute, en mars 2012 ?

C’est une affaire personnelle qui le concerne. Je n’ai absolument aucun grief contre lui. C’est un cadet qui me considère comme son aîné.

Quelles sont vos relations avec son prédécesseur, Alpha Oumar Konaré ?

Pas de problèmes.

Et avec Moussa Traoré, autre ex-président ?

Nous avons des rapports familiaux très profonds, c’est connu.

Le général Sanogo, qui a dirigé le coup d’État de 2012, puis le Comité militaire jusqu’en 2013, est emprisonné depuis quatre ans. Quand sera-t-il enfin jugé ?

Je ne parle jamais des affaires judiciaires en cours. Mon seul souhait est que la justice soit rendue.

Vous avez, comme tout le monde, pris connaissance des images choc de ventes aux enchères de migrants africains en Libye. Que vous inspirent-elles ?

Le hasard a voulu que ces images scandaleuses aient été diffusées au moment où je refermais Bakhita, le poignant récit de Véronique Olmi sur une jeune fille du Darfour réduite en esclavage. C’est une ignominie, bien sûr, qui ne peut s’analyser que dans le cadre de la situation libyenne, laquelle résulte de décisions unilatérales prises en 2011 par des dirigeants dont le seul but était d’éliminer Kadhafi, sans se soucier des conséquences. Leur responsabilité dans le chaos actuel et dans cette abomination que CNN nous a donnée à voir est donc grande.

Que faites-vous pour protéger les migrants maliens ?

Nous faisons le maximum de ce que nous pouvons faire. En amont, j’ai demandé dès mon arrivée que les campagnes d’information et de sensibilisation sur les dangers de la migration irrégulière soient une activité permanente sur toute l’étendue du Mali. En 2014, mon gouvernement a adopté la Politique nationale de migration, qui constitue le cadre de référence en matière de gouvernance de la migration. En aval, j’ai mis en place un fonds social pour venir en aide à nos compatriotes en situation de détresse à l’étranger et un autre fonds pour aider à la réinsertion des rapatriés. Ils sont plus de 11 000 à être revenus par nos soins au pays depuis 2013, principalement de Libye.

Que vous inspire la chute sans gloire de Robert Mugabe ?

De la tristesse. J’ai de l’admiration pour cet homme, qui à deux reprises a honoré le Mali d’une visite. Il y a chez lui du Modibo Keïta, du Kwame Nkrumah et du Sékou Touré. Il ne mérite ni l’oubli de ce qu’il a fait pour son pays et pour l’Afrique, ni l’opprobre que certains déversent sur lui.

Mugabe a 93 ans, il était au pouvoir depuis trente- sept ans. N’y a-t-il pas une date de péremption quand on est chef d’État ?

Dieu me garde que l’on dise cela un jour de moi !

Ultime question, beaucoup de Maliens se la posent : comment vous portez-vous ?

Les médecins de l’Hôpital d’instruction des armées Percy, à Clamart, en France, qui m’ont revu lors de mon dernier séjour, m’ont dit ceci : « Voici vos résultats, vous avez une santé que beaucoup devraient vous envier, poursuivez votre job. » Je leur ai répondu : « Al hamdoulillah. » Le voyage peut donc se poursuivre.

Jeune Afrique

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