Gel de l’aide américaine: Le Sénégal à l’heure du choix !
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«Compter sur ses propres forces, voilà notre principe» – Mao Zedong
Cette affirmation résonne comme un appel à l’émancipation économique. Elle nous rappelle que la véritable souveraineté ne se demande pas, elle se construit. Aujourd’hui, face au gel de l’aide de l’USAID et à l’impact sur des projets structurants du Millennium Challenge Account (MCA), le Sénégal est confronté à un choix crucial : continuer à dépendre de financements extérieurs, ou transformer cette épreuve en une opportunité historique pour affirmer son autonomie.
L’interruption soudaine de ce soutien financier met en évidence une dépendance dangereuse. Des ONG, des programmes gouvernementaux et des infrastructures vitales sont directement touchés. L’énergie, les routes, la modernisation du réseau électrique : autant de chantiers stratégiques qui risquent d’être ralentis, mettant en péril des années d’efforts pour renforcer la compétitivité du pays. Ce gel expose une fragilité structurelle : tant que nous continuerons à bâtir notre avenir sur des financements venus d’ailleurs, nous resterons à la merci de décisions qui ne sont pas prises à Dakar, mais ailleurs, selon des logiques qui nous échappent.
Pourtant, l’histoire nous enseigne que les grandes nations ne se sont pas construites sur l’aide extérieure, mais sur une volonté inébranlable de s’autonomiser. Le Sénégal doit désormais agir. Il n’est plus temps de subir. Cette crise doit être un électrochoc, le point de départ d’un changement de paradigme vers une économie qui repose sur ses propres forces.
Le premier défi est immédiat : il faut assurer la continuité des services et des projets touchés par ce gel. L’État doit cartographier les secteurs les plus vulnérables, identifier les financements alternatifs et, si nécessaire, réallouer des ressources publiques aux infrastructures essentielles. Mais réagir à chaud ne suffit pas, il faut aussi penser l’avenir.
L’un des axes prioritaires doit être de réduire la dépendance du Sénégal aux financements extérieurs en développant des sources de financement endogènes. Pourquoi devrions-nous toujours attendre l’USAID ou d’autres bailleurs pour moderniser nos routes, électrifier nos campagnes ou stimuler notre agriculture ? Il est temps d’adopter des mécanismes de financement innovants : développer les obligations d’infrastructure pour mobiliser l’épargne nationale et régionale au service des grands projets, encourager le secteur privé à jouer un rôle moteur dans le financement du développement, en créant un cadre fiscal attractif et des garanties d’investissement, miser sur les banques locales et régionales pour financer les infrastructures, au lieu de toujours solliciter des institutions financières internationales.
Parallèlement, l’État doit reprendre la main sur ses ressources naturelles. L’exemple du Botswana est inspirant : ce pays a su transformer ses richesses minières en un puissant levier de développement, sans se laisser déposséder par des acteurs extérieurs. Aujourd’hui encore, au Sénégal, les contrats d’exploitation pétrolière, gazière et minière profitent trop souvent aux multinationales, tandis que l’État et les citoyens ne captent qu’une part infime des bénéfices. Pourquoi devrions-nous accepter cela ?
Nous devons instaurer un fonds souverain robuste, alimenté par les revenus de nos ressources naturelles, pour financer notre propre développement. Chaque baril de pétrole, chaque tonne de gaz, chaque gramme d’or doit servir en priorité les intérêts du Sénégal, et non ceux de firmes étrangères ou de partenaires aux agendas cachés.
Toute ambition économique repose sur une gouvernance solide. Il est impératif d’en finir avec le gaspillage, la corruption et la mauvaise gestion. L’argent perdu dans des circuits opaques, c’est autant de moyens en moins pour bâtir nos infrastructures et garantir notre indépendance financière. La transparence budgétaire doit devenir une exigence absolue. Chaque centime dépensé doit être justifié, chaque projet doit être audité, et les responsabilités engagées en cas de détournement. Les institutions de contrôle doivent être renforcées. Un État souverain est un État qui sait où va son argent et s’assure qu’il bénéficie à sa population. Les ressources naturelles ne doivent plus être bradées dans des contrats déséquilibrés. Nous devons exiger des accords justes, avec une participation locale forte et une véritable redistribution des revenus.
L’enjeu ne se limite pas à la gouvernance financière. La souveraineté économique passe aussi par un modèle de production autonome. Il est inconcevable qu’un pays aussi riche en ressources naturelles et en potentiel agricole continue de dépendre massivement des importations pour se nourrir. Le Sénégal doit investir dans une transformation locale de ses matières premières pour garantir sa sécurité alimentaire et renforcer sa balance commerciale. L’industrie agroalimentaire doit devenir un secteur prioritaire, capable de répondre aux besoins du marché intérieur tout en générant des exportations compétitives sur le marché régional et international.
De même, l’industrialisation ne peut plus être un simple slogan politique. Tant que nous continuerons à exporter nos matières premières brutes sans les transformer sur place, nous resterons dans un schéma néocolonial où la richesse réelle est captée par d’autres. Pourquoi exporter du poisson brut alors que nous pourrions développer une industrie de transformation et de conservation ? Pourquoi exporter de l’arachide sans produire massivement de l’huile et des produits dérivés ? L’émergence industrielle est une nécessité absolue pour sortir du piège de la dépendance.
Enfin, la souveraineté économique passe par l’investissement massif dans le capital humain. Une nation forte est une nation qui forme ses jeunes aux métiers d’avenir, investit dans l’innovation et développe des champions industriels et technologiques. Il ne suffit pas d’avoir des richesses naturelles, encore faut-il savoir les exploiter intelligemment.
Cette crise n’est pas une fatalité, c’est un test. Un test pour notre résilience, pour notre capacité à nous réinventer, à oser prendre en main notre destin.
Le Sénégal peut choisir la facilité, c’est-à-dire continuer à chercher désespérément de nouveaux bailleurs pour compenser ce gel, au risque de tomber dans une autre forme de dépendance. Mais il peut aussi choisir la voie du courage, celle qui consiste à profiter de cette rupture pour enclencher une transformation profonde, avec une vision claire et ambitieuse pour l’avenir.
Nous devons changer notre état d’esprit. Arrêtons de voir l’aide extérieure comme un acquis, et considérons-la plutôt comme une option temporaire, qui doit progressivement laisser place à un modèle basé sur nos propres forces. Il est temps d’entrer dans une nouvelle ère, où le Sénégal ne tend plus la main, mais s’impose comme un acteur économique souverain et influent.
Ce gel peut être une menace si nous continuons à dépendre des financements extérieurs. Mais il peut aussi être le déclic dont nous avions besoin pour bâtir un Sénégal plus fort, plus autonome et plus ambitieux. Le choix nous appartient.
HADY TRAORE
Consultant-Gestion Stratégique et Politique Publique-Canada