Face à la presse: la dignité tranquille d’un chef d’État (Par Hady TRAORE)

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Dans le prolongement d’une séquence électorale intense, marquée par une effervescence démocratique et des attentes citoyennes sans précédent, l’entretien accordé le 4 avril à un groupe restreint de journalistes de la presse nationale- sélectionnés par leurs rédactions respectives- s’est imposé comme un moment politique de haute portée, voire comme un acte inaugural du style présidentiel de Bassirou Diomaye Faye.

 Loin d’un simple exercice de communication gouvernementale, il cristallise une tentative assumée de redéfinir le rapport entre pouvoir exécutif, parole publique et légitimité démocratique. Le ton, le contenu et la posture déployés révèlent une volonté claire de rupture avec les codes anciens de la présidence sénégalaise. Le chef de l’État s’y montre tel qu’il est : sobre, direct, précis. Il parle sans emphase ni posture défensive, choisissant une parole nue, délibérément sans fard. Ce choix, en apparence stylistique, est profondément politique : il traduit un changement de paradigme dans la manière d’habiter la fonction présidentielle.

La première inflexion majeure observée concerne la manière dont le Président humanise la parole institutionnelle. Il se départit du langage technocratique, évite les formules convenues, et adopte un ton de conversation maîtrisée. Cette rhétorique de proximité, loin d’être un effet de style, témoigne d’une volonté de restaurer un lien abîmé entre gouvernants et gouvernés. Le chef de l’État ne prétend pas détenir une vérité inaccessible ; il engage une relation d’explication, de justification, voire de co-construction avec la société. Cette réorientation du discours présidentiel vers l’horizontalité s’inscrit dans une logique de refondation du pacte démocratique, dans laquelle le pouvoir se légitime par la clarté et la redevabilité, non par la verticalité du commandement.

L’un des temps forts de l’entretien réside dans une déclaration d’apparence anodine, mais d’une portée stratégique : « tout ne peut pas être réglé en un an ». Par cet aveu, le Président ne manifeste ni impuissance ni résignation. Il affirme au contraire une vision lucide de l’action publique, en assumant les lenteurs structurelles, les résistances systémiques et les contraintes institutionnelles héritées. Cette parole, qui refuse les promesses faciles, mise au contraire sur une transformation en profondeur, bien au-delà des calculs électoraux. Elle engage une pédagogie de la réforme : dire les contraintes pour mieux faire accepter les temporalités du changement. En s’inscrivant dans le temps long, le dirigeant sénégalais rompt avec la logique de l’immédiateté populiste et affirme son ambition de reconstruire l’État de l’intérieur, non par les effets d’annonce, mais par une action patiente, rigoureuse, et orientée vers l’irréversibilité du progrès institutionnel.

Cette posture de sincérité prend tout son relief dans l’interaction avec les journalistes. Malgré les questions-pièges posées par des représentants issus de lignes éditoriales diverses – parfois tendancieuses – le chef de l’État est resté imperturbable. Il a déjoué les tentatives de cadrage, maintenu une cohérence narrative forte, et transformé l’échange en un espace de régulation démocratique. Loin de se retrancher derrière son statut, il a affronté les sujets sensibles avec calme et méthode, révélant une maîtrise discursive rare. Il impose une autorité tranquille, fondée sur la cohérence morale et la lisibilité des choix, loin de toute démonstration de force. Sa manière de parler du pouvoir, c’est déjà une manière de l’exercer autrement.

L’entretien a également permis au Président de clarifier un point essentiel dans l’architecture du pouvoir exécutif : ses rapports avec le Premier ministre Ousmane Sonko. En réaffirmant son choix d’un Premier ministre fort, doté de pouvoirs élargis, le Président de la République ne répond pas seulement à une exigence de transparence institutionnelle ; il envoie un signal politique fort. Il coupe l’herbe sous le pied à ceux qui chercheraient à instiller le doute sur la solidité de ce tandem. Il affirme une conception mature de la gouvernance, fondée sur la collaboration stratégique, la confiance politique, et la répartition assumée des responsabilités. Cette clarification, subtile mais structurante, réhabilite une figure trop souvent réduite à un rôle subalterne. Elle inaugure une pratique duale du pouvoir exécutif dans laquelle l’efficacité de l’action publique ne repose plus sur la concentration mais sur la complémentarité. Le Sénégal expérimente ici un modèle original : celui d’un leadership bicéphale assumé, où la loyauté institutionnelle devient un levier d’efficience, et non une menace à contenir.

Sur le fond, le chef de l’État a réitéré sa volonté de réinscrire l’exercice du pouvoir dans une éthique rigoureuse. Justice indépendante, finances publiques assainies, transparence de la commande publique : ces engagements ne relèvent pas de la rhétorique rituelle. Ils définissent une orientation normative qui, si elle est respectée, pourrait reconfigurer durablement les relations entre l’État et les citoyens. Le Président s’appuie ici sur un principe fondamental : la légitimité ne peut survivre sans l’exemplarité. Il oppose à l’ancienne logique de domination clientéliste une nouvelle verticalité éthique, où l’autorité est inséparable de la responsabilité.

Enfin, l’entretien permet au Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, de redonner souffle à son horizon stratégique. Il ne parle pas d’un programme électoral, mais d’un projet de société. Une vision long-termiste, articulée à l’horizon 2050, qui vise à faire du Sénégal une puissance souveraine, productive, juste et digne. Ce récit d’avenir s’inscrit dans une tradition de planification républicaine, tout en intégrant les aspirations contemporaines à l’équité, à la compétence et à la participation. C’est une vision inclusive, résolument tournée vers la refondation de l’État, portée par une pédagogie de la transformation, et alimentée par une écoute active des citoyens et des corps intermédiaires.

L’entretien aura été bien plus qu’un moment médiatique : il fut un acte d’autorité tranquille, de clarté stratégique et de sincérité politique. Par sa parole sans fard, le Président de la République trace les premiers contours d’une gouvernance qui conjugue vérité, vision et exigence.

Hady TRAORE

Consultant-Expert conseils

Gestion stratégique et Politique publique-Canada

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