Et si ce sont les sénégalais qui n’étaient pas prêts pour la rupture.

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Lors de la campagne présidentielle de 2012, le candidat Macky Sall nous avait promis la rupture dans la gestion de notre pays. Plusieurs analystes soutiennent que cette promesse a grandement contribué à sa victoire finale.
Cinq ans après son accession à la magistrature suprême, les populations restent encore sur leur faim en ce qui concerne la matérialisation de cette promesse. Moi personnellement je rêvais d’un Sénégal où :
• Les deniers publics seront gérés dans l’orthodoxie et la plus grande transparence ;
• La loi s’appliquera invariablement à tous, sans distinction de niveau social et d’appartenance politique;
• La séparation des pouvoirs sera une réalité partagée par tous et que chacune des institutions de République jouera pleinement son rôle.
Mais force est de constater que l’opinion publique sénégalaise est très divisée sur ce qui était à l’époque une demande sociale forte. D’aucuns (essentiellement les tenants du pouvoir) affirment que le Président a effectivement tenu sa promesse alors que d’autres lui reprochent d’avoir trahi la confiance des sénégalais. Quoiqu’il en soit, le Président Macky Sall est le premier responsable de ce bilan mitigé car, en faisant sa promesse, il est non seulement censé prendre les décisions de rupture mais aussi il était de sa responsabilité de convaincre nos compatriotes de l’effectivité de ces mesures. Mais est-il le seul responsable? À mon avis non!
Les sénégalais sont des citoyens assez complexes car ils donnent l’impression de vouloir une chose et son contraire. Les exemples pour étayer cet état de fait sont nombreux :
Après 12 années de scandales financiers de l’ère Abdoulaye Wade, beaucoup de sénégalais réclamaient que la lumière soit faite sur ces soupçons de prévarications. Le Président Macky Sall, ayant promis de faire de la reddition des comptes une priorité, avait dès l’entame de son magistère, réactivé la CREI. Karim Wade et plusieurs dignitaires du régime de Wade avaient été ciblés par des poursuites judiciaires communément appelées traque des biens mal acquis. Au finish, seul la procédure de Karim Wade est allée jusqu’à son terme avec sa condamnation à 6 ans de prison et une amende de 138 milliards. C’est qui est curieux, c’est que pendant que le gouvernement de Macky Sall s’époumonait dans un long combat judiciaire (Cour de justice de la CEDEAO, Groupe de travail de l’ONU, etc.), des voix se sont élevées au Sénégal pour rappeler au Président qu’il n’a pas été élu pour faire la traque aux détourneurs de fonds publics mais bien pour régler les problèmes économiques et sociaux du pays. Et pourtant c’est cette même opinion qui s’offusque aujourd’hui de l’arrêt de la traque des biens mal acquis alors qu’elle avait rappelé à Macky Sall que la priorité était ailleurs. Pire, lors du procès de Karim Wade, à chaque fois qu’une juridiction nationale prenait une décision, elle était systématiquement critiquée par les partisans du fils de Wade incluant d’anciens ministres de la justice. Comment voulez-vous que le citoyen lambda ait une bonne opinion de cette justice quand des personnes qu’il considère à tort ou à raison comme plus informées que lui, jettent le discrédit sur cette même justice. Plus récemment, l’affaire Khalifa Sall n’a fait que conforter cette situation. Car, au lieu d’exiger des poursuites judiciaires pour toutes les personnes soupçonnées de malversations, les partisans du maire de Dakar se mobilisent pour sa libération ignorant volontairement que l’affaire est désormais dans les mains d’un juge d’instruction qu’ils veulent pourtant indépendant. Au Canada par exemple, où je vis depuis plusieurs années maintenant, je n’ai jamais vu la classe politique encore moins les citoyens critiquer une décision de la Cour suprême même si elle ne les agrée pas. Récemment la Cour supérieure du Canada a annulé une décision du Gouvernement du Premier ministre Steven Harper qui avait refusé à une immigrante de prêter serment avec son voile pour sa citoyenneté. Pourtant, malgré un sondage qui montrait qu’une majorité de canadiens n’était pas favorable au port de voile lors d’une prestation de serment de citoyenneté, la classe politique canadienne n’avait pas critiqué cette décision.
Une histoire récente dont j’ai personnellement été témoin, a fini de me convaincre qu’il reste encore du chemin à parcourir pour changer les mentalités chez nos compatriotes. Le 11 mars dernier, je m’étais levé à 6 heures du matin pour aller m’inscrire sur listes électorales au passage de la commission itinérante à Montréal. Espérant être parmi les premiers, j’ai été un peu surpris de me retrouver 30e alors que la file faisait à peine 15 personnes. Après information, je me suis fait dire que les autres inscrits étaient retournés à la station métro pour « fuir » le froid de canard qui sévissait ce matin-là. À l’arrivée de la commission vers 8h, un des membres, une dame qui semble être très à cheval sur les principes, s’est présentée à nous, munie d’une feuille, pour inscrire les personnes selon la formule bien connue ici : premier arrivé, premier servi. Des personnes (certainement les initiateurs de la liste déjà confectionnée) ont vigoureusement rejeté cette proposition au motif qu’elle porterait préjudice aux personnes qui se sont levées très tôt pour s’inscrire. Après des concertations avec ses collègues et probablement pour éviter un débat qui était parti pour être long, elle a accepté de considérer cette liste, à condition toutefois que les personnes à inscrire dans la liste « officielle » soient effectivement présentes. La nouvelle liste m’a permis de me retrouver dans une position beaucoup plus proche des premiers, à mon grand bonheur évidemment. Ce qui m’a le plus fait douter de la véracité des arguments des tenants de la liste spontanée, c’est le grand nombre d’absents lors de l’appel alors que la station de métro ne se situe qu’à quelques encablures du lieu où se tenaient les inscriptions. Je suis donc arrivé à les soupçonner d’avoir inscrit leurs amis afin de leur garder une place au chaud pendant que nous trimions sous le froid et la neige. Tout ça pour dire que nos compatriotes ont du mal à se départir de leurs vieilles habitudes même lorsqu’ils sont initiés à de bonnes pratiques venues d’autres horizons.
Au total, il apparait que les ruptures souhaitées dans notre pays ne sauraient être l’affaire d’une seule personne fût-il le Président de la République. Toutes les composantes de la population se doivent de se sentir concerner si l’on veut que la société réalise des bonds qualitatifs dans la construction de notre pays.

Thiémokho DIOP, un citoyen
thiemokho.diop@gmail.com

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