ENTRETIEN AVEC… Smockey, leader du Balai citoyen du Burkina : «Ni rebelle ni révolutionnaire»

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En séjour à Dakar dans le cadre du Festival Ciné droit libre, le chanteur n’est pas indifférent au sort actuel du Peuple parisien victime d’actes de violence attribués à des terroristes. Enfilant son manteau de porte-parole du Collectif Balai citoyen, un mouvement burkinabè que l’ex-Président Blaise Compaoré aura du mal à oublier, Serge Bambara alias Smockey revient ici sur les rapports entre son organisation et des acteurs politiques de son pays. Il reste tout même indigné par le comportement des chefs d’Etat africains qui n’accordent guère de l’importance à leurs citoyens tués dans des conditions particulières.

M. Smockey, la France vient d’être frappée par des supposés terroristes entraînant plus d’une centaine de morts. Quelle devrait être la position de l’Afrique dans cette affaire ?

Le terrorisme est une grave menace. Mais encore faudrait-il que la menace soit réelle, qu’elle ne soit pas manipulée. Donc, il y a intérêt à y voir très clair. Il faut savoir qui est l’ennemi et où il est. Il faut regretter ce qui est arrivé au Peuple de France. Toutefois, je n’aime pas ce débat. Il y a un autre car on dirait que certains morts ont plus de valeur que d’autres. C’est vrai qu’il y a plus de lumière sur les faits parisiens que dans la plupart des Etats d’Afrique tous
réunis. Nous avons vécu le même problème au Burkina Faso, mais il y a eu plus de lumière sur les putschistes que sur le Peuple qui luttait.
Il y a aussi le fait que les gouvernements africains ont si peu de respect pour leurs morts et leurs martyrs. Ils ne communiquent pas réellement là-dessus. On a vu, à un certain moment, que certains ne déclarent pas de deuil national, ne ce reste que pour deux heures. Je me rappelle d’une catastrophe liée
à une inondation. Il y avait des centaines de morts mais le Président de l’époque, Blaise Compaoré, n’avait pas annulé la tournée qu’il menait à l’extérieur.
Il l’avait finie tranquillement avant de rentrer chez lui. Il n’avait même pas fait de déclaration officielle. Des milliers de Burkinabè ont été massacrés en Côte d’Ivoire, il n’y a même eu de deuil national. Tout ce qu’il a fait, c’est de demander à ceux qui voulaient rentrer au pays, de le faire. Nous Africains, nous ne comprenons l’importance de cette jeunesse qui est sacrifiée sous l’autel des intérêts individuels et politiques. Effective ment, il y aura une information deux poids, deux mesures. On parlera de plus de morts israéliens que de morts palestiniens. Qui est responsable de cette donne là ? Pour combattre le terrorisme, il faut commencer par chez nous. Il faut combattre toute forme d’intolérance chez nous. Il faut combattre la corruption, arrêter que les gens attisent la haine. Chez nous au Burkina Faso, il y a beaucoup de gens qui ont été exclus de la campagne, parce qu’ils menaient cette politique d’exclusion.
Ensuite, certains candidats ont eu à dire des choses graves. Un candidat comme Abdoulaye Ouédrago a dit qu’il va gagner, parce qu’il est musulman et ensuite il est de l’ethnie mossie. Il y a eu des tolets d’indignation. Le candidat a été entendu. Il ne faut pas laisser des choses comme ça passer.
On a vu le film Incorruptible hier (l’entretien a eu lieu le mardi 17 novembre 2015). On a vu que, lors de l’élection Prési dentielle de 2012 qui a vu la participation de Abdoulaye Wade, des chefs religieux sont montés au créneau pour dire qu’ils ne voteront jamais pour un candidat qui n’est pas mouride.
Cela veut que tous les autres devraient passer à la trappe. C’est ce discours digne des mille Collines du Rwanda qui entraine le chaos. Il faut de la tolérance zéro pour l’intolérance.

Les chefs d’Etat africains n’ont pas tardé à exprimer leur indignation et leur compassion au Président Hollande. Cette attitude est-elle de la faiblesse ou de la diplomatie ?
Je peux comprendre que les faibles se sentent toujours obligés de rendre des comptes aux plus forts. Je n’en veux pas aux grandes puissances comme les Etats-Unis, la France, l’Angleterre ou la Chine, d’être fortes. Finale ment, je m’en veux pour nous d’être faibles. Estce que tout cela n’est pas lié ? En
tout cas, les villes de Paris et de New York sont plus importantes aux yeux du monde. C’est une injustice. C’est à nous Africains de se battre pour que nous ne souffrions plus d’aucun débat. Il ne faut pas constamment attendre qu’on nous tende le micro ou la caméra. Com muniquez sur nos frères et nos soeurs et un peu moins sur eux, même si c’est un accident tragique qui a besoin de solidarité internationale. Très souvent, c’est le citoyen lambda
qui paie le prix. Parmi les personnes décédées, il y a même un burkinabè. Le Président Hollande était au stade mais il était extrait. Donc, je ne partage pas le propos des gens qui disent qu’ils se foutent du Peuple français. Il faut qu’on en arrive à ce que nos Etats mènent des politiques respectables,
parce que ce qui se passe en Afrique est à la limite du ridicule. Ça fait mal au coeur quand vous voyez que vos res pon sables politiques ne sont pas traités à la même enseigne que les autres.

Votre pays le Burkina Faso prépare l’élection Présidentiel le du 29 novembre. Quel est le rôle du Balai citoyen dans la campagne électorale ?

Le Balai citoyen joue un rôle de régulateur, de contrôleur, de pression et de proposition. Je veux dire un rôle de veille citoyenne tout simplement. Il y a un processus qu’il faut continuer. Il faut toujours être dans la continuité de la surveillance. Le Balai citoyen a réussi à organiser cette insurrection avec tout le Peuple burkinabè. Blaise Compaoré a dû s’enfuire. Il y a eu une tentative de putsch qui est déjouée. Aujourd’hui, la transition est train d’aboutir au scrutin du 29 novembre. Nous avons le devoir de faire de telle sorte que tout se passe bien. Pour qu’on ne nous dise pas que nous avons chassé un clone pour le remplacer par un autre. Responsables, nous devons l’être jusqu’au bout de ce processus là.
Nous avons lancé une campagne «Après ta révolte, ton vote», le 5 mars passé. C’était pour pousser les citoyens à s’inscrire massivement et à aller voter. La deuxième campagne s’appelle «Je vote et je reste». On demande aux citoyens d’aller voter et de rester sur place pour surveiller tout le processus, en même temps que les autres observateurs. On veut que les résultats ne soient pas contestés, mais sécurisés.
C’est à dire, au cas où il y aurait des violences, qu’ils puissent prendre des photos et des partager à travers les réseaux sociaux. C’est une manière d’alerter l’opinion publique pour qu’il n’ait pas de trouble.

Toutefois, vous êtes de plus en plus victime d’une diabolisation, d’une remise en cause de votre légitimité par vos partenaires politiques d’hier. Comment Le Balai citoyen vit-il cela ?
C’est vrai qu’il y a quelques assaillants qui cherchent à nous discréditer. Heureusement, les gens sont arrivés à séparer la vraie information de la fausse. Ce ne sont que des allégations, de la délation, etc. Plus ça va aller, plus nous allons avoir des ennemis. Pour l’instant, les choses se sont un peu calmées, mais elles peuvent reprendre à tout moment. Nos anciens alliés de circonstance, du fait qu’on aura plus les mêmes orientations, seront forcément nos
adversaires. De toute façon, nous ferons notre travail jusqu’au bout. Ce que le Peuple burkinabè a fait pour le départ de Blaise Compaoré, il est prêt à le refaire pour un autre. Il faut qu’on évite de personnifier le pouvoir politique. Il faut qu’on comprenne que ce sont les institutions qu’on doit renforcer. Il ne
faut qu’on déifie les individus. On doit se passer des hommes et des femmes providentiels. Si tu es le meilleur Président du monde, arrivé à un certain stade, il faut laisser la place à un autre. Si on choisit la démocratie comme mode de gestion, elle a ses règles qu’il faut respecter.

Au Sénégal, après l’élection Présidentielle de 2012, le vainqueur a voulu impliquer Y’en a marre dans la gestion du pouvoir. Une offre que ce mouvement a déclinée. Peut on s’attendre à ce que Le Balai citoyen participe au gouvernement qui sera formé au lendemain de la Présidentiel le du 29 novembre ?

Aucunement ! Ce n’est pas possible. Le Balai citoyen est une organisation de la société civile (Osc) qui n’a pas la prétention de gérer le pouvoir ou de s’impliquer dans l’exécutif. Nous sommes désolés qu’il ait des Osc qui n’ont pas vraiment perçu toute la réalité de leur mission. Certaines d’entre elles sont entrées par l’Assemblée, je veux le Conseil national de transition. Nous avons pris conscience que ce que nous sommes censés représentés. Notre charte nous interdit de nous impliquer dans la gestion du pouvoir politique. Il y a eu des sollicitations. Tant que c’est du consultatif, on peut accepter. D’ailleurs, c’est dans ce cadre qu’on a un de nos membres qui nous représentent à la Commission nationale de réformes, parce qu’il y aura des choses importantes
qui vont sortir de là et qui concerneront l’avenir de notre Nation.

biramefaye@lequotidien.sn

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