CRISE DE DECEMBRE 1962, ‘’LE DERNIER MOT’’ Comment le ‘’Capitaine’’ Belal Ly a savamment orchestré le sauvetage de Senghor
Si Léopold Senghor est sorti indemne de la crise de 1962, il le doit certes à son génie politique mais aussi et surtout à des officiers de haute facture. Amadou Bélal Ly, alors capitaine et Aide de camp du président Senghor, aura été l’une des perles les plus brillantes de ce collier qui scintille encore dans l’histoire politique du Sénégal. Morceaux choisis de son ouvrage ‘’Le dernier mot’’.
Senghor me dit : ‘’Ly !’’, je répondis : ‘’Oui monsieur le président‘’. Il m’a dit : ’’Si on m’arrête, ne tirez pas !’’. J’ai dit : Monsieur le président, on ne vous arrêtera pas s’il plaît à Dieu’’. Le dialogue est symptomatique de l’état d’esprit du président Senghor lors de la crise qui a éclaté le 17 décembre 1962. Un président qui s’attendait à tout ! Senghor n’avait pas tort de s’inquiéter puisque un peu plus loin, le Capitaine Ly soutient : ‘’Plus tard, j’apprenais que nous devions être arrêtés’’.
Pire encore, il souligne que les deux cellules qui devaient l’accueillir avec Senghor étaient déjà préparées. Egalement les véhicules qui devaient les amener à l’aéroport de Yoff se trouvaient en bas de l’Assemblée nationale. Le capitaine Ly de poursuivre son récit : ‘’Arrivés à l’hémicycle, j’ai fait garer les deux motards de tête, puis j’ai dit aux motards : restez sur vos motos !’’ S’adressant à Sidy Ndiaye qui était le chauffeur de Senghor, il dit : ‘’Laisse le moteur tourner et reste-là, ne bouge pas ! Ouvre une portière pour le président Senghor et ouvre une autre portière pour moi. Si je constate quelque chose d’étrange, je retournerai sur mes pas, je ferai demi-tour’’.
Dès leur entrée à l’Assemblée nationale, ils constateront que l’ascenseur qui en principe était automatique ne l’était plus. L’ouverture était devenue manuelle et des huissiers se chargeaient d’ouvrir et de fermer les battants de la porte.
En Aide de camp averti, le capitaine Ly jette un regard au premier étage et ne voit rien. Alors, il recule et aperçoit au deuxième étage des gendarmes en tenue. Devant autant de choses qui l’ont ‘’intrigué’’ et ‘’alerté’’, il dit au président Senghor : ’’Non retournons au palais ! Ne monte pas !’’. Très vite le capitaine prend ses responsabilités : ‘’Je l’ai pris par la main et il m’a suivi. Je l’ai escorté jusque dans la voiture. J’ai fait fermer les portes et j’ai dit aux motards, Direction Palais !’’. Une fois au palais, il boucle la bâtisse de A à Z.
‘’Là où je mettais un gendarme, j’en ai mis trois. Là où je donnais cinq cartouches, j’en ai donné cent cinquante. J’ai pris un ravitaillement pour quinze jours. J’ai même pris des lampes torches qui étaient plus éclairées que les lampes habituelles’’, raconte capitaine Ly. Il poursuit son récit : ’’Il y avait du monde au Palais quand nous y sommes retournés : des ministres, le secrétaire d’Etat, etc. J’ai pris sur moi de mettre tout ce beau monde à la porte. J’ai bouclé le Palais. J’ai mis le président Senghor dans une chambre de passage (…). Dieu est mon témoin ! Pendant huit jours, je l’ai enfermé dans une chambre de passage au premier étage du Palais et les clés étaient dans ma poche, jours et nuit. Personne ne savait où je l’avais gardé.
Dieu Seul savait. Et c’est moi qui faisais tous les déplacements pour établir les contacts et les liaisons avec les militaires, avec les civils, avec tout le monde’’. Face à l’urgence, le capitaine Ly prenait souvent les sens interdits. Une fois, le président Senghor lui dit : ‘’Ly ne sortez pas ! Si vous sortez, on va vous arrêter’’. Mais Ly lui répondit : ‘’Monsieur le président, si je ne sors pas, on va tous nous arrêter. Il vaut mieux qu’on m’arrête, seul. Ce serait plus grave si nous venions à être arrêtés tous les deux’’. Alors, Senghor s’est résigné en lui rétorquant : ‘’Ah ! Bon ! Alors, faites comme bon vous semble !’’
La défaillance du général Amadou Fall et la nomination de Alfred Diallo au poste de CEMGA
Capitaine Ly continuera ses démarches, ses contacts. Il ira voir le Chef d’état-major, le général Amadou Fall. Le capitaine lui dira : ‘’Il vous faut venir voir le président’’. Le général Fall lui répondit : ’’ Non, je ne viens pas’’ ! Le capitaine en déduit alors que le général Fall avait choisi son camp. De retour auprès de Senghor, il lui suggère ceci : ‘’Mettez soixante jours d’arrêt de forteresse au général Fall’’.
Le capitaine qui dit assumer ses propos, a promis de les répéter dans sa tombe. Il explique sa suggestion par une situation préoccupante et il fallait faire vite. Après avoir demandé au président Senghor de préparer les décrets, le capitaine Ly poursuit à l’endroit du président: ‘’Je vais remettre personnellement à Fall le document et vous nommerez Jean Alfred Diallo Chef d’état-major de l’armée sénégalaise’’. Ce fut fait, le général Fall sera convoqué au Môle 8 le soir à dix-sept heures trente. Il ira purger sa peine dans une forteresse à Gorée. Et c’est le capitaine Ly qui ira lui-même rencontrer le général Alfred Diallo pour lui demander de venir répondre au président Senghor. Diallo est très vite nommé nouveau Chef d’Etat-major des armées.
Le capitaine Ly suggère à Senghor d’arrêter Mamadou Dia et ses amis puis lui propose de les amener à …Kédougou.
Passée cette étape, Senghor, toujours enfermé dans une chambre de passage, dira au capitaine : ‘’Bon Ly, qu’est-ce qu’il faut faire à présent ?’’. Le capitaine lui répondit : ’’Monsieur le président, soyez tranquille. Ce qu’il faudrait faire maintenant, c’est de trouver le procureur général de la République pour qu’il vous délivre un papier comme quoi on va les (NDLR : Mamadou Dia et ses amis) arrêter. En tout cas, c’est la solution’’. Senghor, visiblement enchanté par cette idée, lui dit : ‘’Oh c’est une bonne idée !’’. Les papiers seront remis à un groupe de commandos qui ira là où se trouve présentement la Maison de la culture Douta Seck. C’est dans cet endroit qu’habitait le Premier Ministre.
Mamadou Dia et ses compagnons seront arrêtés et conduits à Ouakam. En allant à Ouakam, là où se situe présentement la mosquée de la Divinité, existe encore un bâtiment avec des fils barbelés tout autour, ‘’c’est là-bas où on les avait gardés’’, renseigne le capitaine Ly. Quelques jours après leur jugement, Dia et compagnons seront envoyés à Bakel. Le capitaine connaissant bien Bakel où il n’existait même pas de compagnie de militaire et où seulement 4 gendarmes officiaient, demandera à Senghor d’ordonner à son ministre de la Justice, Guillabert, de transférer les prisonniers à Kédougou. Chose faite.
Des réquisitions du camp de Dia au ‘’coup d’état’’ consommé
Le général Ly est longuement revenu dans son ouvrage publié à titre posthume sur l’affaire des réquisitions dont on a beaucoup parlé au Sénégal. Dans un témoignage inédit porté par un style clair et concis, il livre les secrets de cette période sombre de l’histoire du Sénégal. Il informe que des réquisitions avaient été rédigées par l’autre camp (NDLR : Dia et ses amis) et envoyées au Chef d’état-major de l’armée sénégalaise, au Haut commandant de la gendarmerie, au directeur de la police nationale, au commandant de la garde Républicaine…
Le général Ly informe que ces réquisitions devaient être signées à l’Assemblée nationale. Des réquisitions qui y avaient été amenées, selon lui, par le directeur de cabinet de l’ancien président du conseil, Mamadou Dia. Le général Ly alors capitaine et Aide de camp du président Senghor, raconte l’histoire: ‘’Je suis arrivé au moment où les réquisitions devaient être signées. C’étaient vers 16 heures.
J’y suis venu pour rejoindre le président Senghor qui y était. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai vu les documents et parcouru le contenu, j’ai vu les en-têtes. Il y avait une imprudence de leur part qui m’a permis de regarder les papiers : Ils me prenaient pour un garde du corps. Quand j’ai fini de scruter les réquisitions, je suis rentré de suite dans la salle où il y avait la réunion, j’ai pris la main du président Senghor et je l’ai amené dehors’’. Le capitaine-Aide de camp dira à Senghor : ‘’Monsieur le président, c’est consommé !’’ Senghor lui répondit : ‘’Quoi ?’’ L’aide de camp lui demande de descendre et ils montent dans la voiture.
Ly de poursuivre : ‘’Nous sommes allés à son bureau. Je lui ai dit que les réquisitions allaient être envoyées à toutes les forces de sécurité et qu’il fallait prendre par conséquent nos dispositions’’. Alors Senghor lui dit : Préparez des contre-réquisitions que l’on enverra aux mêmes autorités’’. Ces réquisitions seront récupérées par le capitaine Ly lorsque le ‘’coup d’état’’ a été consommé ; les gens arrêtés et que le camp de Senghor s’est établi au 9ème étage du building administratif.
Les réquisitions étaient, selon le général Ly, dans le cabinet du président du conseil, Mamadou Dia. Il raconte qu’après les événements, c’est au 9ème étage du building administratif que Senghor et son équipe travaillaient tous les matins, et le soir, ils regagnaient le palais. ‘’Ainsi donc, c’est dans ce bureau du neuvième étage du building que j’ai retrouvé, dans une chemise, toutes les réquisitions. Voilà comment cela s’est passé’’, dit le général Amadou Bélal Ly.
Décédé le 21 octobre 2013, le Général Amadou Bélal Ly laisse un puissant legs à la postérité matérialisé par le génie de Mouhamed Abdallah Ly.