Coup d’Etat au Burkina : La CEDEAO à la croisée des chemins !
Trois jours juste avant le Coup d’État au Burkina Faso, le 16 septembre, les Chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO se sont réunis à Dakar, le samedi 13 et le dimanche 14 septembre 2015, à l’invitation du President Macky Sall, qui la préside, pour se pencher sur la situation politique et sécuritaire dans la sous-région, en relation avec les élections qui y sont programmées.
Aucune réunion de la CEDEAO n’a jamais été autant opportune, et prémonitoire.
Cette réunion traduisait la pleine conscience qu’ont eue les Autorités politiques de la CEDEAO, des germes de déstabilisation de la sous-région qui sont en gestation dans les échéances électorales programmées.
Le Coup d’État qui est donc intervenu dans ce pays ne peut, en aucun cas, les avoir surpris.
Dans ces conditions, la CEDEAO, et l’Union Africaine devaient non seulement condamner fermement cette grave interruption du processus électoral au Burkina par un Général félon, mais aussi exiger son départ immédiat du pouvoir pour le restituer au Président et au Gouvernement légitimes de la Transition, et préconiser des sanctions politiques, économiques et judiciaires exemplaires contre lui et ses acolytes.
La allait être un signal fort envoyé à tous les » apprentis faiseurs de Coup d’État » dans la sous-région, pour dissuader ceux qui seront tentés par la même aventure, dans les autres pays qui préparent des élections dans le court terme.
Cependant, l’on a eu deux attitudes différentes de la CEDEAO et de l’Union africaine. La première a opté pour l’apaisement afin de baliser le terrain à un compromis entre putschistes et autorités de la transition, alors que la seconde avait opté pour une condamnation ferme du coup d’État, le retrait des militaires et des menaces de sanctions ciblées.
Au nom du principe de la subsidiarité, la CEDEAO a senti l’Union africaine lui « marcher sur ses plates bandes » tout en risquant, par ses menaces, de radicaliser les putschistes qui ont imposé des rapports de force défavorables aux autorités de la transition, dont le Président et le Premier ministre sont arrêtés, et un couvre-feu sanglant établi.
La CEDEAO avait pleine conscience de la nature des forces qui ont fait le coup d’État. Elle connait bien le Général Diendéré qui est, avec quelques personnalités de son entourage, une pièce maitresse du dispositif de la Françafrique, mais aussi de l’OTAN et plus précisément de l’AFRICOM.
Récipiendaire de la Légion d’honneur de la France, Dienderé est aussi est un acteur majeur des manœuvres Flintlock et des opérations américaines dites de contre-terrorisme dans le Sahel.
Il supervise la base secrète des drones Creek Sand de l’aéroport de Ouagadougou et le service de renseignement Aztec Archer de l’ambassade des États-Unis.
Il est aussi, avec son groupe dénommé « Régiment de Sécurité présidentielle » (RSP), le bras armé du régime de Compaoré qu’il a su exfiltrer vers Abidjan, avec l’aide de la France, pour qu’il échappe à la furie de l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui l’a chassé du pouvoir.
La tâche de la CEDEAO était donc de savoir, comment faire pour que ce puissant Général félon, directement concerné par la » traque des assassins de Thomas Sankara, et des bourreaux du peuple Burkinabé » lors de sa « Révolution d’octobre 2014, ne puisse continuer à empêcher que le processus électoral et le processus judiciaire aillent jusqu’au bout sous l’autorité des organes légitimes de la Transition, en évitant de plonger le pays dans un bain de sang..
Mais les premiers pas de la médiation de la CEDEAO menée par les Présidents Macky Sall et Yaya Boni, tout en créant un climat social apaisé, ont ouvert la voie à l’atteinte des objectifs politiques des putschistes, en leur donnant la « tête » du Premier ministre de la Transition qu’ils ont longtemps réclamée, la réintégration de certains partisans de Blaise Compaore exclus du processus électoral du fait de leur participation effective à son projet liberticide de révision de la Constitution, et dans les violences qu’ils ont occasionnées, la restriction des pouvoirs législatifs du Conseil National de Transition, et cerise sur le gâteau, un projet d’amnistie en leur faveur.
Un tel projet de sortie de crise a soulevé, à juste raison, l’indignation et le rejet de la part des forces vives de la Nation, qui s’étaient mobilisées dès les premières heures du coup d’État, pour affronter, dans la rue, les putschistes lourdement armés, qui ont fait 10 morts et des centaines de blessés .
Les forces vives de la Nation Burkinabé, avec à leur tête, le Président du Conseil National de Transition( CNT) , qui est entré en clandestinité, ont profité de l’accalmie suscitée par l’arrivée des médiateurs de la CEDEAO, pour se réorganiser, paralyser l’économie du pays par une grève générale décrétée par « l’Union d’Action syndicale », qui regroupe les principales organisations syndicales du Faso, et gagner le soutien public des Forces armées Burkinabé qui se sont mobilisées à leur côté, pour marcher sur la Capitale afin d’ y chasser les putschistes et réinstaller les organes légitimes de la Transition.
C’est ainsi, qu’ avant même que les médiateurs de la CEDEAO ne rendent compte à Abuja de l’état de leur mission et de leur projet de sortie de crise, les rapports de force sur le terrain qui avaient présidé à l’élaboration de leur projet d’accord, ont évolué en défaveur des putschistes , et le rendaient caduc.
C’est cette nouvelle situation que la réunion extraordinaire des Chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, à Abuja, a prise en compte, en demandant aux putschistes de remettre le pouvoir aux autorités légitimes de la Transition, de » se désarmer », de regagner leur base, tout en laissant à de celles-ci , l’appréciation du sort qu’elles voudraient leur réserver, et la suite à donner à la question de l’exclusion des certains partisans de Compaoré du processus électoral.
La CEDEAO venait ainsi de se sauver la face devant l’opinion africaine et internationale, en conformité avec les exigences formulées par la Commission de l’Union africaine, dès le début du putsch.
Le peuple burkinabé vient ainsi d’administrer, de la plus belle manière , aux peuples de la sous-région et du reste du continent africain, une seconde leçon de dignité et de détermination, après celle découlant de la « Révolution d’octobre 2014.
Ceux qui ont rêvé de la restauration du régime de Compaore, viennent d’apprendre à leurs dépens, que l’on ne défie pas impunément la volonté d’un peuple qui est décidé à prendre son destin en main.
Les plats » regrets » que le Général félon a présentés à l’opinion en sont une parfaite illustration.
Les mesures prises contre les putschistes au cours du Conseil des ministres extraordinaire que le gouvernement de Transition vient de prendre, marquent la véritable fin de la Transition inaugurée à près la chute du régime de Compaoré.
En effet, après avoir renversé le gouvernement et dissout l’Assemblée nationale pour mettre en place une « Charte Nationale de la Transition », un « Conseil National de la Transition » qui a nommé le Président et le Premier ministre de la Transition, et approuvé la composition du gouvernement, il ne restait que de mettre hors d’état de nuire le bras politique ( le CDP qui est le Parti de Compaoré) et le bras armé (qui est le RSP) , de ce régime déchu.
Le nouveau Code électoral, en excluant certains des leaders du CDP qui sont convaincus d’implication directe dans les tentatives de violation de la Constitution pour imposer un nouveau mandat pour le Président Compaoré, a eu raison de ce bras politique devenu un « cheval de Troie » pour baliser le retour de son mentor déchu en exil à Abidjan, puis , aujourd’hui, au Maroc.
Mais, c’est le Conseil des ministres extraordinaire qui vient de mettre fin au « bras armé » de ce régime vomi, en prenant un Décret de dissolution du RSP, son désarmement, suivi de la mise en place d’une « Commission d’enquête » sur le putsch, et d’une procédure judiciaire ouverte par le Procureur général de la République, contre les responsables du RSP et du CDP impliqués, et le gel de leurs avoirs dans les banques.
Ainsi, ce , putsch, qui visait à mettre un terme à la Transition, a permis, grâce à la mobilisation et à la détermination des forces vives du peuple Burkinabé, de la parachever de la plus belle manière.
Le régime de Compaoré est définitivement éradiqué du Burkina, et est remplacé par un nouveau qui porte les germes d’une République démocratique, citoyenne et de justice sociale.
Pour ce faire, les forces vives du Burkina ont su admirablement dépassé les clivages artificiels en leur sein entre « Droite et Gauche », ou entre « Partis politiques et Sociétés civiles », et/ou entre « militaires et civils », pour constituer, autour des Autorités de la Transition, un large front patriotique, républicain, démocratique et citoyen de justice sociale, afin de réaliser la « Révolution d’Octobre 2014» et la mener jusqu’au bout en Septembre 2015.
Mais, la Révolution ne démarre effectivement, que lorsque les révolutionnaires sont au pouvoir.
Au Burkina, ils viennent de contrôler totalement le pouvoir, qu’ils ont décidé de transmettre par voie électorale, dans laquelle, les autres composantes non politiques de ce large front des forces vives Burkinabé, se sont volontairement exclues, en se proposant de devenir les « sentinelles » des aspirations du peuple.
Ce faisant, la « Révolution » risque « démocratiquement » d’être déviée de ses objectifs en reproduisant, après les élections, le régime honni de Compaoré sous de nouvelles formes.
Ce risque grave à intégrer devrait amener les forces vives de la Nation à transformer le CNT en SÉNAT, pour participer au processus législatif, comme moyen de contrôle institutionnel de l’Exécutif et de l’Assemblée nationale.
À cet égard, les forces vives la Nation Burkinabe devraient méditer sur le sort de la Transition en République de Guinée.
Celles-ci ont laissé « aux politiques » le soin de gérer le pays après l’élection d’un Président de la République et des Députés à l’Assemblée nationale.
Dans ce nouveau contexte post électoral, elles n’ont pas réussi à constituer « le contre-pouvoir » dont elles rêvaient, balisant ainsi le terrain à la restauration d’un État despotique convoité par des Partis politiques organisés sur des bases ethniques, qui jettent ce pays dans la violence et le risque d’implosion.
Les forces vives de Guinée ne se sont pas battues avec tant de sacrifices contre Lansana Conté et Dadis Camara, pour voir, aujourd’hui, leur peuple se déchirer et leur pays s’acheminer vers un abime certain.
Les forces vives du Burkina devraient donc prendre la pleine mesure de l’étape actuelle de leur Révolution, pour la sécuriser avec des moyens institutionnels, et non plus seulement informels.
À cette étape de la Révolution burkinabé, c’est le seul moyen de veiller à la restitution au peuple, de sa souveraineté pleine et entière sur ses Institutions, et sur les hommes et femmes qu’il a choisis librement pour exercer le pouvoir en son nom.
Les forces vives du Burkina viennent aussi d’administrer la preuve, que les organisations d’intégration sous-régionale ne peuvent plus prendre des mesures unilatérales contre la volonté des peuples concernés.
C’est un signal fort donné à tous les peuples d’Afrique, qu’il est possible d’instaurer leur souveraineté, non seulement sur leurs Institutions et leurs Elus, mais aussi, sur ces organes d’intégration.
Pour la CEDEAO, c’est tout un boulevard qui est ainsi ouvert pour la lutte contre les APE, et pour une monnaie commune sous régionale en 2020, mettant ainsi fin au règne plus que cinquantenaire du franc CFA dans les pays de l’UEMOA.
Plus que jamais, la restitution de la souveraineté de nos peuples sur nos Institutions et nos Élus, et sur nos organismes d’intégration sous régionale et régionale, est à la portée de l’Unité des Forces vives de nos nations.
Ibrahima SENE PIT/SENEGAL
Dakar, le 27 septembre 2015