Cheikh Kanté brise le silence : «J’assume totalement ma gestion du Port»
«Le Port est derrière moi», avait-il lancé, souriant, à L’Obs. C’était au lendemain de sa nomination au poste de ministre auprès du chef de l’Etat en charge du Plan Sénégal émergent (Pse). Malgré les insistances, Cheikh Kanté n’a jamais voulu épiloger sur ses cinq années de gestion de ce fleuron de l’économie nationale qu’on l’accuse d’avoir mis à genoux. «Tout ce que j’avais à dire est contenu dans les documents de passation de service avec mon remplaçant, à qui je souhaite bon vent», ajoutait-il, histoire de ne pas gêner son successeur. Le nouveau boss du Pse avait les yeux rivés sur ses nouvelles fonctions et les oreilles à l’écoute du chef de l’Etat. Mais face aux révélations de plus en plus insistantes de la presse sur sa gestion du Pad, Cheikh Kanté a décidé de jeter un coup d’œil sur le rétroviseur, de briser le silence. Une interview exclusive sur le Port autonome de Dakar, dans laquelle l’ancien Dg élevé à la dignité de ministre tient à se faire entendre. Pour se faire comprendre. Définitivement. Sans aucune intention polémique.
M. le ministre, il ne se passe plus un jour sans que la presse parle de votre gestion du Port autonome de Dakar. Comment vivez-vous toutes ces accusations sur des présumées fautes de gestion ?
(Il sourit) Vous savez, durant les 5 années passées à la Direction du Port autonome de Dakar, je n’ai fait que des bénéfices. En 2012, j’ai fait un bénéfice net de 661.201.000, l’exercice 2013, 919.541.000, l’exercice 2014, 5.788.260.000, en 2015 883.347.000, et enfin en 2016, 1.556.407.000 FCfa. Je pouvais réaliser environ 5 milliards de bénéfices nets si les frais financiers de l’avance sur les créances de l’Etat n’étaient pas débités. Donc j’ai fait au mieux dans l’exercice de mes fonctions pour d’abord mettre le Port aux normes, parce que suivant l’indice de performance de la Banque mondiale, le Pad était classé 110e sur 155, avec des infrastructures délabrées, et qui le sont toujours d’ailleurs. Parce que depuis 2013, je ne cesse d’écrire aux autorités pour attirer leur attention sur l’état de délabrement du Port. C’est dans ce cadre que je me suis endetté, en tant qu’une entreprise qui marche avec des indicateurs fiables au niveau de la Boad et d’autres institutions financières pour draguer le chenal. Le tonnage a augmenté de 10 millions de tonnes en 2012 à 17 millions aujourd’hui, et je suis heureux de constater que cette évolution exponentielle a suivi la croissance économique du Sénégal.
Sur la fluidité, la congestion, l’histoire retiendra que je me suis battu pour mettre le Pad aux normes. J’ai commencé par spécialiser les quais au niveau du wharf pétrolier, par exemple, quand je suis venu, la tendance était de 250 tonnes/heure. C’est-à-dire qu’un bateau pouvait rester une semaine pour se faire décharger, maintenant avec la réhabilitation du wharf et notre partenariat avec Sea everest, nous avons une cadence de 2000 tonnes/heure et les bateaux sont déchargés en une demie journée. Le terminal pour les pondéreux est à 30.000 tonnes/Jour. Donc les innovations que j’ai réalisées en ce laps de temps sont considérables, et j’ai toujours été récompensé par des prix. J’assume ma gestion et je suis fier d’avoir géré le PAD dans des conditions d’exploitation difficiles et d’avoir réalisé ces résultats. Quand je venais, le flux de camions était de 400 par jour et il n’y avait aucune planification. C’était de l’auto-régulation. Les camions entraient et sortaient comme ils voulaient. Mais actuellement, nous avons acquis un niveau de 1500 camions par jour, sans compter les terminaux spécialisés. C’est pourquoi j’ai tout le temps écrit des lettres, organisé des séminaires, l’avant-dernier, c’était en janvier sur la fluidité, je l’avais co-présidé avec le Dg des Douanes, avec toutes les parties prenantes, nous avons décliné des actions prioritaires qui avaient pour objectif fondamental d’essayer de régler les goulots d’étranglement identifiés. Et ça a fait l’objet d’une Charte qu’on a appelée la Charte de la fluidité, cosignée avec les acteurs. La surface disponible au niveau du Port ne permettait plus de faire grand-chose donc il fallait s’inscrire dans une logique de faire migrer certaines activités vers le nouveau Port de Ndayane. C’est cela qui pouvait régler le problème. J’ai présidé une rencontre le 13 Novembre 2014, en présence du ministre Oumar Guèye et de toutes les parties prenantes, dont les transporteurs, pour faire l’état des lieux, et après, nous avons visité le Port. Il était même convenu que le ministre des Finances, Amadou Bâ, nous y rejoigne, mais il a eu un empêchement. Je n’ai cessé d’appuyer sur le bouton pour alerter les gens. Ce qui me fait mal au cœur, c’est que là où les autres Ports se réorganisent, comme le Port d’Abidjan, qui a reçu 1 milliard de dollars sur le programme chinois, 1 milliard de dollars de l’argent de l’Etat, 400 milliards de FCfa sur le budget de l’Etat, 300 milliards FCfa dans le cadre du MCA, je n’ai jamais reçu de l’argent de l’Etat, aucune subvention. Malgré cela, nous sommes à 70% leaders sur le corridor marin, sur les containers et 60% sur le conventionnel. C’est grâce à ce label qu’on a pu créer la G3S avec une commission interne composée d’experts du Port, le partenariat validé par le Conseil d’administration, de même que la prise de participation de 20%, sous forme de société à action simplifiée, avec un président et un vice-président. C’est un des plus grands projets que nous avons réalisés et je l’assume. C’est un facteur clé de notre succès, un dossier transparent, clair et net, qui a été négocié par des cadres du Port et un Inspecteur général d’Etat (Ige). Ces gens-là qui m’accusent, n’ont absolument rien compris. Je suis prêt à me présenter partout pour défendre ma gestion du Port, prêt même à publier un livre blanc.
Mais qu’en est-il réellement de cet endettement ?
Je me suis endetté pour financer des projets. Quelle est l’entreprise qui ne s’endette pas ? Je me suis endetté au Port suivant la réglementation, j’ai payé mes dettes et j’ai réalisé des bénéfices. Mais là où le nouveau Directeur se trompe, c’est quand il dit que l’Excédent brut d’exploitation (Ebe) est passé de 27,944 milliards en 2014 à 6 milliards en 2016. C’est vrai, mais pourquoi 27 milliards ? C’est parce que nous avons comptabilisé les 24,6 milliards de DP Word que l’Etat a empochés. Je lui conseille de demander au ministre des Finances de lui expliquer comment cet argent a été utilisé. Si l’Excédent brut d’exploitation a ainsi varié, c’est parce que nous avons en écritures, régularisé les 24,6 milliards que l’Etat a perçus et qui appartenaient au Port. Nos commissaires aux comptes avaient exigé que l’on régularise cela, et concomitamment, il y a une Loi de finances rectificative qui avait été votée pour insérer cela dans le budget. Donc, qu’il demande au ministre des Finances comment ces 24 milliards ont été utilisés et pas au Port.
On vous accuse d’être l’auteur d’un recrutement non maîtrisé, qui a plus ou moins plombé les ailes du Port. Vous auriez même signé lors de vos 11 derniers jours au Port, 388 Cdi et 28 Cdd…
(Il interrompt) Pour ce qui est du personnel, il (le nouveau Dg du Port) dit que de 2010 à aujourd’hui, j’ai recruté 2040 personnes, il s’est trompé. D’abord je suis venu en 2012 et l’effectif était de 1223 personnes à l’époque. Les chiffres sont dans le Plan stratégique de développement. En passation de services, je lui ai transmis 43 dossiers devant l’Ige. Il dit aussi qu’en 2017, le personnel était de 2040 personnes, je suis d’accord, parce que c’est le Directeur du capital humain qui lui a transmis ces chiffres. Mais ce sont 2040, dont 1614 permanents, 426 temporaires, donc en 5 ans, j’ai recruté 817 personnes. Sur ce, je rappelle que quand je suis venu en 2012, le Pad n’était pas aux normes par rapport au Code ISPS, au code de la marine marchande, par rapport au Règlement 14. La première chose que j’ai eu à faire, c’est de recruter 500 jeunes, publiquement, que nous avons formés au code ISPS et qui ont leur diplôme aujourd’hui. Et ils ne perçoivent pas moins de 150.000FCFA par mois. J’ai formé des professionnels, j’ai donné de l’emploi aux jeunes, je suis pour le plein emploi et si je pouvais recruter le double ou le triple, je l’aurais fait. Et je l’assume.
Mais pourquoi régulariser autant de travailleurs, alors que vous étiez sur le départ ?
La régularisation qui a été faite, normalement, elle devait être faite depuis le 27 avril 2017, parce que depuis cette date, j’ai signé un protocole avec les cinq syndicats présents au Port. Dans ledit protocole, il était question d’habitat social et sur ce point, j’ai fait construire 660 logements pour les employés du Port à Diamniadio. Il était aussi question de la régularisation des travailleurs temporaires, il s’agissait d’une recommandation de la Cour des comptes, parce qu’il y a des travailleurs qui sont là-bas depuis 2009 et qui n’étaient pas régularisés. Cela devait se faire depuis le mois d’avril, mais c’est le Directeur du capital humain qui a retardé les choses. Les cinq syndicats voyant que j’allais partir, sont venus me demander de faire la régularisation avant que mon successeur ne vienne. C’est conforme à la réglementation et je ne pense pas que l’on puisse annuler cette décision. Je n’ai nommé personne, c’est une liste que l’on avait déjà approuvée par protocole. Donc s’il y a des manigances qui ont été faites après moi au niveau de certaines directions, ça ne m’engage pas. Je suis quitte avec ma conscience, parce que jusque-là, on n’a pas dit que Cheikh Kanté a volé l’argent. Si on me reproche d’avoir recruté des Sénégalais, je l’assume. Tous les ans, le Pad a fait l’objet de contrôle par l’Armp et on ne m’a jamais pris la main dans le sac. Je ne suis pas un voleur, moi. Maintenant, les apprentis sorciers qui sortent des documents falsifiés ou qui n’ont pas la bonne perception de ce qu’on leur explique et s’amusent à vouloir attaquer les gens, ils répondront devant la justice. Et si je dois me déplacer pour aller devant la justice et donner des explications, je le ferais, j’assume.