Aya Pouye ancienne Lionne du Basket : Lancée franche !
Aya Pouye, 56 ans, ancienne gloire du basket féminin sénégalais, est une nouvelle race de dirigeante qui incarne un leadership féminin révolutionnaire.
Mâle dominant
Ses shoots sous la raquette du basket sénégalais sont de ceux qui font toujours mouche. Un subtil mélange de punch, de verve, d’engagement. Question d’introspection et de timing. Il y a chez elle une remise en question des idées reçues. Aya retrace les sentiers battus. Avec elle on perd a priori toute trace d’un féminisme plaintif et soumis, moutonnant et aphone. La figure de proue de l’Ascc Bopp veut refaire le match du dispatching des rôles. «Ce n’est pas le genre de dame qui va mettre en avant son statut de femme pour avoir des égards», commente un admirateur.
A la loupe, Aya se sent plus proche de la gent masculine. Elle dézone et, en envahisseur, empiète sans crier gare sur le terrain des hommes. «J’ai opté pour une carrière de dirigeante, je dois être à la hauteur. Ce n’est pas évident d’être une dame parmi ces concurrents hommes. Mais j’ai confiance en mes capacités», analyse-t-elle froidement.
Elle remonte le terrain, véloce et engagée, prête à dribbler. Les dures lois du terrain l’éprouvent aussitôt. Elle tente d’en assimiler rapidement les leçons et de contourner les écueils. «C’est très difficile. Au Sénégal tout repose sur le dirigeant, les dépenses comme les mauvais résultats. Les succès eux sont pour les autres», relève-t-elle avec philosophie.
«Je deviens plus forte devant l’adversité»
Une méchante rumeur voudrait qu’elle soit la dénonciatrice de la fraude sur l’âge des sélections U18 du basket lors de l’Afrobasket à Dakar et Madagascar. Aya tombe de haut, indignée : «Il y a des limites à ne jamais dépasser. Les gens racontent souvent des choses inexactes. Les Sénégalais sont prompts dans ça. On a essayé de me faire souffrir, mais ceux-là ne me connaissent pas. Je deviens plus forte devant l’adversité et dans la douleur. Je crois en ce que je fais.» Puis, psychologie à l’ancienne et résurgence d’une pulsion va-t-en guerre et bravache : «J’assume toujours ce que je fais. Pour rien au monde je ne ferais de vilaines choses.» C’est dit.
Aya Pouye est un spécimen de sportif en voie de disparition. Elle s’est goinfrée du culte des couleurs nationales, et a entretenu le sens du patriotisme. Un admirateur de la joueuse qu’elle fut, le fantasme aussi vigoureux qu’il y a trente ans confesse avec un sourire gourmand : «C’était de la vraie sueur qui mouillait son dossard. Il fallait la voir remonter le terrain, épier la lueur dans son regard pour s’en convaincre. Qu’est-ce qu’elle nous a valu des satisfactions !»
La Lionne des Lionnes
Aujourd’hui son nom flirte avec cette génération de basketteuses talentueuses qui a mis à ses pieds tout le Sénégal et toute l’Afrique. Le mythique dossard 8 de l’Equipe nationale, surnommée la Lionne des Lionnes par des thuriféraires surexcités fonce vers l’excellence. «Il n’a jamais été question pour moi de perdre un match. J’ai même coaché les filles de l’équipe sénior de Bopp. Mais vu mon tempérament, je me suis dit que cela ne pouvais pas continuer. Je risquais d’avoir une crise cardiaque. J’ai arrêté parce que je ne peux pas comprendre que les enfants jouent sans engagement», fait-elle, un brin taquine. L’ancienne pensionnaire du lycée Kennedy et du collège Saint Michel, titulaire du Bts en management et leadership ainsi que d’un Master 2 en droit du sport en collaboration avec l’Université Sorbonne, se donne les moyens de ses ambitions.
Soupe au lait ?
Aya émarge dans le registre des militants de ces amitiés à l’ancienne : fidèles et solides, vaccinées contre l’usure du temps et les coups bas. Pourtant les choses n’ont pas été aussi simples pour elle. «J’ai subi tellement de coups bas, de personnes chez qui je l’attendais le moins. Des amis, des collaborateurs.» Finalement la sédimentation de ces expériences, dépose au tout au fond les pierres précieuses. L’autre jumelle trottine joyeusement à ses côtés. «C’est extraordinaire, commente-t-elle presque émue, qu’il pleuve ou qu’il vente, Larry Ndao Guèye est toujours là. Elle est une confidente et associée», confie-t-elle presque avec des trémolos.
Le cercle fermé des amis accueille encore Mohamed Ciss «le conseiller», vante Mame Maty Mbengue et adoube Coumba Dickel Diawara. Celle-ci, amie de la première heure et ancienne équipière, se souvient : «Elle n’a jamais voulu qu’on touche à un seul de nos cheveux. Un jour, à Marseille, elle s’est vaillamment interposée devant un vigile qui m’interdisait d’entrer dans un centre commercial sans raison.»
Larry Guèye ancienne basketteuse et capitaine du Jaraaf, vice-présidente du Comité des supporters du Jaraaf et alter ego de Aya : «Elle tient à l’amitié même si elle n’a pas beaucoup d’amis.» Franche et entière, la crique la surprend : «Elle a un sacré caractère. Pour une dame, ça ne passe pas toujours.» Sur les terrains, elle a souvent gourmandé ses coéquipières, objectant devant une passe mal faite, un marquage un chouia trop laxiste. Larry admet : «C’est vrai qu’elle a un caractère d’homme. Elle parle peu et agit beaucoup.»
L’ex-aboyeuse de l’Equipe nationale est comme ça : un caractère trempé, des convictions solides qui laissent peu de place aux concessions. La preuve ? Son combat sans rémission contre Baba Tandian, ancien boss du basket sénégalais. Son sentiment sur ça : «Lui, c’est un accident de l’histoire. C’est le basket qui nous a unis, après ça, on ne se fréquente pas. Je n’ai pas d’atomes crochus avec lui. Ce n’est pas mon ami.» Larry Guèye sa jumelle : «Il faut la fréquenter, l’approcher, pour savoir qu’elle a un cœur d’or. Il lui arrive d’agir brutalement avant de le regretter aussitôt.» «Ce n’est pas sa nature profonde. Beaucoup de personnes l’ont déçue», explique Coumba Dickel. Aya confie à demi-mots : «Des fréquentations, des gens avec qui j’ai cheminé… J’aurais jamais pensé qu’ils me feraient ça.»
Pourtant ces crocs-en-jambes n’ont jamais étalé sa carrière. De la même façon qu’elle contournait l’adversité sur un terrain, elle remonte inlassablement la pente, volonté intacte. Elle se met en phase avec son nouveau sacerdoce de dirigeante après cinquante ans de sa vie passés avec le basket. «Le basket, c’est mon équilibre. Bopp m’a tout donné. A moi de rendre la monnaie de la pièce.»
Surprise devant son magasin à Bopp, elle déborde d’énergie. Avant de poser, elle revérifie avec son pote Larry l’arrangement de sa tenue traditionnelle mauve à lisérés dorés, ajuste son foulard de tête. Un sourire plein d’entrain creuse de petites fossettes sur son visage. Des kilos sont venus enrober sa silhouette naguère cintrée de basketteuse. Elle n’en conserve pas moins ce pas alerte.
A Bopp, la jeune fille issue d’une fratrie de 10 frères et sœurs est obligée de se forger une personnalité spéciale pour exister dans tout ce beau monde. D’entre eux, Aya est la plus volontaire, entreprenante à souhait avec de l’audace à revendre. Le portail de la maison avait-il besoin d’une main hardie pour la pousser et dégager la voie vers le terrain de jeu ? Les injonctions menaçantes de maman étaient-elles hérissées de coups de badine ? Aya les contournait allégrement, l’humeur joyeuse, l’envie joueuse, les tresses au vent. «On avait une éducation très sévère. A chaque fois que nos parents sortaient, j’étais la seule à dire à mes frères et sœurs de sortir. Comment un enfant peut-il habiter à quelques pas du centre de Bopp, un terrain de jeu, on lui interdit de traverser le terrain pour y aller ? Chaque fois qu’ils allaient au travail, nous venions au terrain de basket», confie-t-elle malicieusement.
La demeure des Pouye à Bopp avait cette particularité : ambiance constante. Pour plusieurs mioches, les Pouye (un papa agrégé en orthopédie-chirurgie-traumatologie et une maman sage-femme) avaient l’étoffe de ceux qui sortaient du lot, à l’abri des contingences. «J’ai l’habitude de dire que je suis bien née», parade-t-elle fièrement, avant de se faire plus humble : «Pourtant, je n’ai rien eu facilement. Papa pouvait tout nous donner, la cerise sur le gâteau, mais il se refusait de le faire. Il disait qu’il nous fallait apprendre à nous débrouiller dans la vie. Il n’est jamais intervenu pour nous trouver du boulot.»
Les parents avaient beau broder sur l’utilité des études, Aya n’en était pas moins persuadée que cela pouvait aller de paire avec le basket. Le terrain déroulait ses tentations, ses balles orange bondissantes. «Il n’y avait qu’un pas à franchir pour y aller», se souvient encore la dirigeante de Bopp. Elle le franchit allègrement du haut de ses six ans. «Je faisais un peu de pâtisserie, je ramassais des balles avant d’intégrer le mini-basket.» La conditionnalité était : rester performant dans les études.
Maître de l’Afrique
Pourtant il s’en est fallu de peu pour que sa carrière prenne une autre tournure. Aya aurait pu, par un caprice du destin, envoyer du rêve sur un terrain de foot, le couvrir d’arabesques, soumettre les amateurs avec des dribles et des buts d’anthologie. «J’étais davantage douée en foot qu’en basket. D’ailleurs, on m’appelait Pelé. Pour avoir des adversaires, je mettais du riz dans les sébiles des enfants talibés et je jouais contre eux. J’étais fluette, mais j’aimais m’entraîner. Seulement le basket a pris le pas sur le foot.»
L’ancienne pensionnaire du mini-basket, pétrie dans le moule de Bonaventure Carvalho, son ancien coach en Equipe nationale, décroche son premier contrat pro en 76 alors que les Lionnes jouaient un match contre une équipe américaine. Elle raconte : «Sans me vanter, j’ai bluffé les Américaines. Elles n’arrivaient pas à croire que je sois formée au Sénégal.» L’ado était d’une technicité épurée. «Un don», soufflent les connaisseurs. Pour hausser son niveau, elle se coltine aux garçons. «J’en ai souvent payé le prix, nez cassé, bras cassé, les blessures ne m’ont pas épargnée, mais c’était pour repousser mes limites. Et avec les filles c’était carrément un jeu d’enfant, je bousculais tout sur mon passage», crâne-t-elle.
Aya est la joueuse habituée aux coups d’éclat. Un jour de Tabaski, l’équipe de Bopp, sans coach, remonte un gap de 21 points concédé à la manche-aller contre le Jaraaf qu’elle bat avec 24 points d’écart. Après 1979, elle franchit un palier et intègre le Nice Université Club qu’elle extirpe des profondeurs de la division d’honneur pour le hisser vers les lumières de la Première division. Elle y restera six ans. Insouciante, elle ne vit que pour sa passion. «Je gagnais plus que les hommes. Quand d’autres présidents de club me voulaient, je demandais à être alignée sur le maximum. Je connaissais ma valeur.»
«Je n’ai jamais perdu en Afrique avec l’Equipe nationale»
Sur le toit de l’Afrique, le nom de «Pouyé» (déformation européenne et africaine de son nom de famille) était la hantise des équipes adverses. Celle, qui ne se rappelle même plus le nombre de ses sélections, peut bomber le torse : «Je n’ai jamais perdu en Afrique avec l’Equipe nationale.» Elle rafle cinq championnats d’Afrique d’affilée, ayant seulement raté la campagne de 83 en Angola, opère une vraie razzia dans les joutes de la Zone 2. Aya compte également trois participations aux jeux africains ainsi qu’un championnat du monde à Bogota en Colombie. La joueuse s’est sublimée en tant qu’arrière, pivot, sur le côté gauche, le côté droit. Elle détaille sa palette : «J’étais polyvalente. Je ne faisais jamais d’arrêt simultané. Je m’arrête net sur les deux pieds, personne ne peut me contrôler. Et par des feintes, je redémarre. Il faut de l’intelligence pour faire le basket.» Repue de titres et de distinctions, Aya troque sa tenue de basketteuse avec ses atours de femme d’intérieur qui va aux petits soins d’un mari porté vers le foot et de deux enfants engagés dans des études en génie civil. «Je suis une maman poule et en même temps je suis une femme sénégalaise et je m’occupe bien de mon mari. Il y a certaines choses qu’on n’apprend pas.» Le temps de repasser en boucle les beaux gestes du sport, les dunks de Jordan, elle sirote sa tasse de thé et pense sereinement qu’elle a bien engagé sa reconversion, si problématique pour les anciens internationaux : «Je suis agent de la Lonase avec 25 ans de carrière, je rends grâce à Dieu. J’ai le goût du travail dans le sang et je m’investis avec Larry.» Un shoot à trois points.
Lequotidien