Affaire Khalifa Sall : Pourquoi le procès du maire de Dakar est purement politique

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Après un marathon procédural, nous voilà aujourd’hui arrivés au procès qui doit décider du sort du maire de Dakar. Aujourd’hui, c’est la deuxième chambre du Tribunal de Grande instance de Dakar dirigé par le magistrat Magatte Diop qui doit trancher le différend qui oppose Khalifa Sall au président Macky Sall. Si nous avons bien écrit le différend qui oppose Khalifa Sall au président Macky Sall, c’est pour montrer le caractère éminemment voire exclusivement politique de l’arrestation de Khalifa, de l’enquête, du mandat de dépôt, de l’instruction et enfin du procès que le ministre Ismaïla Madior Fall avait annoncé en premier lors de son passage à l’Assemblée nationale pour le vote de son budget. Mais comme en service commandé, les partisans et alliés du président de la République s’échinent à se transbahuter de média en média pour soutenir que rien n’est politique dans cette «Affaire Khalifa Sall». Le dimanche 17 décembre, Ismaïla Madior Fall à la RTS, Me Ousmane Sèye à la RFM (Grand Jury), Madiambal Diagne (Remue-ménage) et Mor Ngom à  Sud FM (Dianobi) ont investi les médias susnommés pour défendre mordicus que ce procès n’a rien de politique. 

De qui se moquent ces séides ? Le président Macky Sall a utilisé à cette fin ses «bras armés» que sont les corps de contrôle, la police, l’administration judiciaire, les députés de Bennoo pour neutraliser un adversaire politique. Si l’argumentaire des hommes du pouvoir est bâti sur le déni de la dimension politique de ce procès, il est difficile du fait des acteurs, et de la pièce qu’ils ont été contraints de jouer, d’occulter la facette politique de ce procès.

Déjà le 25 février 2013, dans une longue interview au journal le Quotidien, Mbaye Ndiaye, ex-ministre de l’Intérieur et Directeur des structures de l’Alliance pour la République (APR), prévenait le maire de Dakar en ces termes : «qu’il rejoigne l’APR s’il veut rester maire. Je suis convaincu qu’il aurait pu le faire s’il avait une lecture de responsabilité de la réalité politique. Le Président Macky Sall en a pour dix ans.» De tels propos émanant d’un ex-ministre de l’Intérieur qui a les renseignements étaient loin d’être anodins. Et le combat politique contre le maire de Dakar socialiste qui prenait ses distances de plus en plus de la mouvance présidentielle avait commencé lors du lancement officiel de l’Acte III de la Décentralisation le 19 mars 2013.

Ainsi les élections municipales sénégalaises du 29 juin 2014 consacreront le divorce entre Khalifa Sall et Khalifa Sall. Et c’est à cette période que l’Inspection générale d’Etat (IGE) est jetée à ses trousses puisque tous les marchés passés ont reçu le brevet de satisfecit de l’ARMP. La Coalition Taxawu Dakar dirigée par le maire, Khalifa Ababacar Sall remporte les 15 communes de Dakar. Du coup l’édile sortant Khalifa est parti pour un second mandat à la tête de la mairie de Dakar. Et diriger Dakar qui constitue le 1/3 de l’électorat sénégalais est un danger pour un président qui veut briguer un second mandat, surtout qu’à l’époque, la problématique du quinquennat n’était pas encore réglée.

Le rejet de l’emprunt obligataire

Khalifa Sall, en dissidence avec la direction de sa famille politique, le PS, émerge de plus en plus comme l’adversaire principal du président Macky Sall. Et la stratégie d’anéantissement du maire de Dakar concoctée dans les officines du palais de la République est mise en branle. Ainsi le 17 février 2015 le ministre de l’Economie et des Finances, Amadou Bâ, oppose une fin de non-recevoir à l’emprunt obligataire de la mairie enclenchée depuis 2011.

Pourtant, selon les sources du site Dakarmatin, un avis de non-objection avait été délivré en 2012. Puis, au moment de soumettre le dossier à l’autorité sous régionale comme le stipule la réglementation de l’UEMOA, l’institution municipale a une nouvelle fois sollicité et obtenu l’avis de non objection de l’Etat en avril 2014. C’est à la suite de ces quitus que le dossier a été finalement déposé auprès du Conseil Régional de l’Epargne Public et du Marché Financier (CREPMF), trois jours plus tard, le 17 avril 2014. Par la suite, au cours de l’instruction du dossier, le CREPMF a demandé à ce que l’avis de non-objection soit repris avec les caractéristiques de l’emprunt. Il s’agit en fait de la structuration précisant le montant, la durée, le taux d’intérêt et la portion garantie. C’est ainsi que la Mairie de Dakar introduira, et cette fois-ci de manière conjointe, auprès du ministère de l’Economie et des Finances et du ministère en charge des Collectivités locales, des demandes de non objection. Sans aucune hésitation, les deux ministères donnent alors leur aval à travers des correspondances adressées au maire de Dakar. Mieux, lorsqu’il s’est agi d’instruire le dossier de la part du CREPMF, ce fut en présence de l’Etat du Sénégal qui était alors représenté par le Directeur de la Dette publique. Le dossier avait alors obtenu son approbation en novembre 2014 avant que son numéro de visa n’y soit apposé en janvier 2015. C’est à la suite de tout cela que le quitus de validation des supports de communication a été obtenu le 16 février 2015 et le lancement approuvé pour le 19 février 2015. Malgré tout cela, l’emprunt obligataire de 20 milliards a été refusé à l’édile de Dakar. La caisse d’avance qui est aujourd’hui au cœur de «l’Affaire Khalifa Sall» est supprimée par le ministre Amadou Ba.

D’autres écueils sur le chemin politique du maire

Une autre étape allait être franchie dans cette bataille en sourdine entre Khalifa et Macky. Courant août 2015, l’Inspection générale d’Etat (l’IGE) est lancée aux trousses du maire de Dakar. Parallèlement le plan de reconstruction et d’embellissement de la Place de l’Indépendance est bloqué par le ministre du Renouveau urbain Diène Farba Sarr. Le préfet met fin au pavage sous le prétexte que cette opération favorise les inondations. Défense de rire ! Le ministre des Finances Amadou Ba menace de retirer à la banque Ecobank sa licence quand il a voulu accorder sous forme de prêt plusieurs milliards à la ville de Dakar.
Le 20 mars 2016, c’est le référendum sur les réformes constitutionnelles de Macky Sall. Dès lors, une deuxième défaite du pouvoir lors de la consultation référendaire à Dakar s’avérait lourde de conséquence. Une campagne de débauchage des maires de Taxawu Dakar est enclenchée. Presque une dizaine de maires ont rejoint le camp du «oui» quand leur leader optait pour le «non». Mais puisque le référendum ne nécessite pas un audit du fichier, les services du ministère de l’Intérieur ont procédé à des transferts massifs d’électeurs au point que Khalifa Sall est même battu dans son propre bureau de vote. Cette défaite du référendum est une sorte de baume au cœur de Macky Sall qui n’a voulu que la capitale vote dans le sens du maire de Dakar.

Mais le débauchage des maires de Taxawu Dakar n’a pas eu d’effet sur les élections du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT) en septembre 2016, puisque Khalifa en est sorti vainqueur avec sa coalition avant d’entamer une tournée populaire à travers le territoire national. C’est la goutte de trop qui a fait déborder le vase. Il fallait mettre un terme à ces agissements du maire socialiste qui compromet de plus en plus le deuxième mandat du Président Sall et aussi la victoire des législatives à Dakar surtout. Gagner Dakar aux locales de mars et 2014, aux élections du HCCT en septembre 2016 et aux législatives de juillet 2017 constituent un mauvais présage pour la présidentielle de 2019.

La caisse d’avance ou le pain bénit du pouvoir

Ainsi la caisse d’avance dont le mode de fonctionnement tranche avec l’orthodoxie de gestion transparente (et cela compte tenu de la nature souvent sensible de la destination des dépenses) était du pain bénit pour inculper le maire de Dakar, le placer sous mandat de dépôt, le condamner à une peine d’inéligibilité. Et c’est ce qui a été fait. Sauf que la condamnation, qui n’est pas encore intervenue, ne saurait sans doute tarder. Khalifa Sall et ses collaborateurs ont été arrêté depuis le 7 mars dernier et le 3 janvier 2018, ils feront face aux juges pour répondre des faits qui leurs sont reprochés.

Pourtant à maintes reprises, de bonnes volontés hors du Sénégal ont proposé à Macky de cautionner pour le maire de Dakar en contrepartie d’une liberté provisoire, mais jamais le président n’en a voulu. Aujourd’hui, les conseils de l’Etat déclarent que le cautionnement doit être en espèces. Ce qui est faux comme le souligne le professeur de droit pénal Ousseynou Samba qui dit que «si l’Etat le condamne avec des dommages afférents, il saisira ses biens immobiliers qu’il récuse aujourd’hui pour le vendre aux fins de rentrer dans ses fonds».

Et ce qui renforce le caractère politique de ce procès, c’est le rôle joué par l’Assemblée nationale croupion. Cette institution godillot a exécuté à la lettre le plan les directives de l’Exécutif concernant l’immunité parlementaire de Khalifa Sall. En aucun moment la procédure de la levée de l’immunité parlementaire du maire de Dakar n’a été respectée par les députés du président Sall. Et Ismaïla Madior Fall, l’actuel Garde des Sceaux, dans un lapsus révélateur, a expliqué que la levée de l’immunité du député socialiste est requise pour la tenue du procès. Il parlait de procès au moment où il y avait encore possibilité d’une liberté provisoire voire d’un non-lieu, le juge n’ayant pas clôturé son instruction et que les recours des conseils de Khalifa n’avaient pas encore été épuisés par les juridictions sollicitées.

L’implication du gratin judiciaire dans une affaire politique

Ce qui renforce notre conviction sur l’aspect politique de ce procès, ce sont les révélations du journaliste Pape Alé Niang dans sa chronique du 13 décembre dernier. Il dit déclare que l’arrestation de Khalifa Sall a été concoctée au Palais présidentiel. Il y avait, selon le chroniqueur, «le président Macky Sall, Massamba Sall Doyen des juges, Serigne Bassirou Guèye Procureur de la République, juge Maguette Diop, Antoine Diome Agent judiciaire de l’Etat, Malick Lamotte, Demba Kandji, Lansana Diaby Procureur général, Gallo Syr Diagne Président Chambre d’accusation, Cheikh Tidiane Coulibaly Procureur général de la Cour Suprême, Mamadou Badio Camara Président Cour Suprême, Pape Oumar Sakho juge constitutionnel, Oumar Youm Directeur de cabinet du président de la République et un journaliste qui a l’exclusivité de toute information afférente à «l’affaire Khalifa Sall»». 

Une telle information impliquant la première personne politique du pays entourée de fortes personnalités judiciaires qui n’a été démentie légèrement (là où l’on attendait une plainte) que par l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) que 72 heures après a fini de donner à ce procès un caractère purement politique. Et la supposée présence de Magatte Diop, ancien président du Tribunal de Grande instance de Fatick (considéré avant sa déchéance de l’UMS comme le candidat de la hiérarchie) à cette rencontre qui nous pousse à soutenir que le maire de Dakar sera condamné quand bien même on ne le lui souhaiterait pas. A moins que la conscience profonde et l’intime conviction des juges ne prennent le dessus sur la consigne connue du Président : se débarrasser d’un dangereux adversaire à la prochaine présidentielle.

Serigne Saliou Guèye

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