A LA DECOUVERTE DE L’HOMME CHANTÉ PAR PAPE DIOUF – La passionnante histoire de Abdou Ndama Thiam
«Diofior arrondissement, Abdou Ndama Thiam…bateau Sénégal thiossanou séréro…» Derrière ce tube très aimé des mélomanes sénégalais du chanteur Pape Diouf, se cache un homme, un célébre «inconnu» dont le nom a fini de faire le tour du Sénégal pour ne pas dire du monde entier. Le nom de Abdou Ndama est chanté parfois sans même que ceux qui l’évoquent ne sachent qui il est réellement. Même Pape Diouf, auteur de la chanson, ne connaissait pas l’homme. Il l’a découvert après l’avoir chanté. Pourtant, l’homme est «prophète» chez lui. Abdou Ndama Thiam est très connu dans son Diofior natal (département de Fatick). Même les plus petits connaissent la demeure de «Pa Abdou Ndama». De son vrai nom Abdoulaye Gomar Thiam, il a été à la tête de plusieurs structures et organisations dans sa localité. Trouvé sur la véranda de son bâtiment en construction, assis sur une chaise en plastique et entouré de sa première épouse, deux de ses filles et ses petits-enfants, l’homme est d’une simplicité fascinante. Très relax dans son caftan en Wax, l’ancien président de lutte de l’arrondissement de Diofior, raconte comment ce tube est passé de son auteur Kangou Sarr à Khady Diouf avant d’arriver à Pape Diouf qui l’a propulsé au-devant de la scène. Sans chichis, Abdou Ndama se raconte. Il évoque ses origines, son parcours, ses activités de lutteur, son passage à Dakar dans les années 60, mais surtout ses relations avec le leader de la Génération consciente, Pape Diouf, devenu, par la grâce de cette chanson, son «ami». Entretien.
Abdou Ndama Thiam, on vous connaît à travers l’une des chansons de Pape Diouf, leader de la Génération consciente, qu’il vous a dédiée. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Comme vous l’avez dit, je m’appelle Abdou Ndama Thiam. J’habite à Diofior. Mes deux parents sont tous originaires de Diofior. Je suis sérère et j’ai 73 ans. Je suis un père de famille. Je suis polygame, marié à quatre épouses. Je suis un ancien lutteur. J’ai pratiqué la lutte pendant quatre ans. J’ai lutté ici dans notre zone, dans les villages environnants. Mais aussi à Dakar où les Sérères avaient deux arènes. Il y avait l’arène Cheikh Ngom de Daroukhane et l’arène Coumba Ndoffène Diouf de Keur Baye Gaïndé. Et tous les lutteurs qui étaient à Dakar à l’époque me connaissaient. Mbaye Guèye, ancien lutteur et ancien tigre de Fass, on s’est frotté à Colobane, c’est là-bas où on s’est connu. S’il l’a oublié, moi je ne l’ai pas oublié. Mon père me disait qu’un grand champion ne dit jamais qu’il a battu telle personne ou telle personne l’a battu. Il doit juste dire qu’on s’est frotté. Robert Diouf, ancien lutteur, n’en parlons pas. Tous les Sérères qui étaient à Dakar, à cette époque, ont assisté à nos combats. On s’est rencontré à deux reprises à Dakar, et la troisième fois, c’était à l’arène Lamine Guèye.
Pourquoi Abdou Ndama, d’où vient ce surnom ?
Le Ndama vient du fait que je suis très petit de taille. Il s’y ajoute que j’étais un enfant très turbulent. Quand j’étais nourrisson et que j’apprenais à marcher, j’étais tellement petit qu’on me surnommait Abdou Ndama. J’ai commencé à marcher alors que j’avais seulement neuf mois. Mais, mon vrai nom, c’est Abdoulaye Gomar, ancien premier Imam de Fatick. Mon père était tailleur à Fatick, et il a eu des relations avec l’Imam et il m’a donné son nom. D’ailleurs, ma grand-mère paternelle n’a jamais voulu qu’on m’appelle Abdou Ndama. Elle préférait qu’on m’appelle «Diam bou ndaw» (le petit Diam) parce que, dans notre famille, il y avait deux «Diam». Malheureusement pour elle, les gens ont continué à m’appeler Abdou Ndama. Et ce surnom est resté.
Que faites-vous dans la vie ?
Je suis cultivateur et en même temps éleveur. Mais, auparavant, vers les années 60, j’étais à Dakar. J’ai fait 30 ans là-bas. C’était vers les années 1962, 1963. J’ai travaillé au Port de Dakar comme employé dans une des usines, mais je n’étais pas embauché. Par la suite, j’ai arrêté et je suis allé travailler comme gardien chez Masse Diokhané, ancien Directeur général de Radio Sénégal. J’ai fait 15 ans chez lui avant de rejoindre la société de son fils Badara Diokhané que j’ai, par la suite, quittée pour rentrer définitivement au village (Diofior). Quand je suis revenu à Diofior, j’ai investi dans les champs. J’ai repris le métier de cultivateur et celui d’éleveur comme mes ancêtres. Mais, puisque je commence à prendre de l’âge, aujourd’hui, j’ai abandonné les champs. Je ne cultive plus, j’ai laissé les champs à mes enfants et je m’occupe maintenant de mes troupeaux.
Pour revenir à la chanson de Pape Diouf, peut-on savoir comment elle vous a été dédiée ?
Cette chanson remonte à l’époque où j’étais nommé, pour la première fois, président de lutte de tout l’arrondissement de Diofior. J’ai été le président de lutte de Diofior pendant 24 ans. J’ai été choisi par les présidents de plus de 100 villages qui m’avaient fait confiance. A l’époque, toute la zone se regroupait pour organiser des séances de lutte traditionnelle. C’était de grands moments qui étaient très attendus par les populations. Mais, depuis que j’ai arrêté, Diofior n’organise plus des séances de lutte. Je partais dans les séances de lutte le vendredi, samedi et dimanche. Un jour, vendredi, je ne me rappelle pas de la date exacte, le village de Fahoy, à quelques kilomètres de Diofior, organisait des séances de lutte traditionnelle. J’y suis allé et j’y ai rencontré une chanteuse sérère du nom de Kangou Sarr. Elle chantait dans les séances de lutte traditionnelle. Ce jour, arrivé à la place publique où se tenait la manifestation, le micro central, un certain Mamadou Sarr a annoncé notre présence, ma délégation et moi. Il a dit à la chanteuse, Kangou Sarr : «Notre président, Abdou Ndama Thiam, va prononcer son mot, je voudrais que tu l’introduises par des chansons.» Et Kangou Sarr s’est levée et a chanté «Diofior arrondissement…». C’est comme ça que cette chanson est née. A l’époque, j’avais cumulé trois postes. J’étais le président de lutte de Diofior, mais aussi ceux de l’arrondissement et du département.
Donc, la chanson est de Kangou Sarr. Et comment elle est donc passée de Kangou Sarr à Khady Diouf jusqu’à Pape Diouf. Parce que, Pape Diouf l’a prise de la défunte chanteuse de lutte Khady Diouf ?
Après la cérémonie de Fahoy, la semaine suivante, un habitant du village de Djilass du nom de Mamadou Mbingane et sa famille ont organisé des séances de lutte. C’était un ancien lutteur, Mamadou Mbingane a invité les chanteuses Kangou Sarr, Khady Diouf, Mayé Ndéb et Rosalie. Il a dit à ces quatre chanteuses que chacune n’avait droit qu’à trois chansons. Et Kangou Sarr devait chanter en dernier lieu. Quand, Kangou Sarr a pris le micro, elle a chanté mes parents notamment ma lignée paternelle. Je me suis levé et je lui ai donné beaucoup d’argent. Et comme Khady Diouf était présente, quand elle est partie à Dakar, il y avait des séances de lutte traditionnelle à Guinaw Rails, elle l’a chantée là-bas. Ce jour, c’est le lutteur Usine Dolé de Palmarin qui avait organisé ces combats, la mise était de 3 millions F Cfa. C’est quand Khady Diouf l’a chantée ce jour que les amateurs l’ont entendue, et c’est comme ça que la chanson s’est propagée jusqu’à arriver à Pape Diouf. Ce dernier a pris la chanson «Diofior arrondissement» de Khady Diouf qui l’avait prise à son tour de Kangou Sarr. Mais, Pape Diouf s’était trompé dans la première version. Il avait dit Abdou Ndama Ndiaye au lieu de Abdou Ndama Thiam. C’est lors d’une cérémonie de mariage, ici, à Diofior, que j’ai entendu la chanson. Et le soir, un voisin du nom de Mamadou Basse m’a interpellé et m’a dit : «Pa Abdou, j’ai entendu une chanson dans laquelle on parle de Abdou Ndama Ndiaye de Diofior. Depuis quand Diofior a un Abdou Ndama Ndiaye ? Moi, je n’en connais pas. Diofior n’a qu’un Abdou Ndama et il est de nom Thiam ;» Je lui ai dit que j’avais entendu la chanson. Mamadou Basse m’a assuré qu’on va rectifier cela. Quelques jours après, il est venu me voir pour me dire qu’il a adressé une correspondance à Pape Diouf. Par la suite, j’ai remarqué qu’on a changé la chanson. On a rectifié pour mettre le «Thiam» à la place du «Ndiaye». Par la suite, Dieu a fait que Pape Diouf a besoin de moi et il est venu vers moi.
Donc, Pape Diouf est venu vous voir ?
Il est venu me rendre visite à plusieurs reprises. Même quand il vient dans les villages environnants, il passe me voir. Le plus souvent, il le fait dans la discrétion. Mais, puisqu’il y avait beaucoup de commentaires sur mes relations avec Pape Diouf. D’aucuns disaient même que je ne le connaissais pas, j’ai organisé des séances de lutte et j’ai fait de lui le parrain. C’était au mois de février dernier. Il est venu ici à Diofior. Je l’ai fait pour prouver à tout le monde que Pape Diouf est mon talibé.
Et qu’est-ce qu’il vous a dit quand vous vous êtes vus ?
Nous avons échangé. Mais, quand il est venu au mois de février dernier assister à la cérémonie, Pape Diouf m’a donné beaucoup d’argent. Et nous avons également beaucoup discuté.
Qu’est-ce que vous vous êtes dit exactement ?
Je ne peux pas révéler le contenu de nos discussions.
Il vous a donné combien lorsqu’il est venu vous voir ?
Je ne vais pas le dire ici. En tout cas, il m’a donné de l’argent, il en a donné aux batteurs de tam-tams, aux chanteurs, etc.
Qu’est-ce que cela vous a fait de voir Pape Diouf après cette belle chanson qu’il vous a chanté ?
J’étais très heureux de voir Pape Diouf. Mais, je crois qu’il était le plus heureux, lui qui a chanté Abdou Ndama sans le connaître et qui est venu jusqu’ici pour me rencontrer.
Est-ce que la popularité de la chanson de Pape Diouf a changé quelque chose dans votre vécu ?
Oui, j’avoue que la chanson de Pape Diouf a eu des impacts sur ma vie. La preuve, vous avez fait tout ce chemin pour me rencontrer. Vous n’êtes pas la première et peut-être que vous ne serez pas la dernière. Parfois, des gens qui viennent visiter Diofior tiennent à tout prix à me rencontrer avant de quitter la localité. Mais, ce n’est pas toujours facile de vivre avec cette popularité. Ma femme a presque donné tous ses vêtements en cadeau ces trois dernières années. Elle achète sans cesse des tissus pour faire plaisir aux visiteurs. Me concernant, les gens pensent que je suis aisé, on me sollicite à longueur de journée. Les gens viennent me parler de leurs difficultés financières. Et j’essaie toujours de faire de mon mieux pour satisfaire ces sollicitations parce que je ne veux décevoir personne.
Et qu’est-ce que cela vous fait d’être parmi les plus populaires de Diofior pour ne pas dire la personne la plus populaire ?
Cela fait ma fierté mais également celle de la localité. Je rends grâce à Dieu et à mon entourage, Diofior m’a tout donné. Je ne remercierai jamais assez les populations de Diofior parce que je ne suis pas le seul fils de la localité. J’ai dirigé à plusieurs reprises l’association des parents d’élèves de la localité. J’ai également dirigé la lutte dans la zone pendant plus de 20 ans. On m’a confié la gestion du forage. Et même le lycée technique qui a été récemment inauguré, m’a été confié, j’en suis le président. Mais, je pense que si je suis content de la chanson de Pape Diouf, les populations de Diofior le sont plus que moi parce que, aujourd’hui, on entend partout le nom de Diofior. Et c’est une fierté.
A quoi se résume votre quotidien ?
Le matin après la prière, je veille sur mon troupeau. Je passe avec mon bétail une heure de temps avant de revenir à la maison. Je dors quelques heures avant de me lever pour discuter avec ma famille surtout avec ma première épouse. Parfois, je suis avec des amis, mais je ne fréquente pas les places publiques, je n’ai pas cette habitude.
Quels sont vos plats préférés ?
J’adore le riz au poisson (thiébou dieun), j’en raffole. Mais, j’aime bien aussi la soupe kandia.
Qu’aimeriez-vous changer aujourd’hui à Diofior ?
D’abord, la municipalité. On doit renforcer les moyens de la mairie de Diofior parce que les populations fondent beaucoup d’espoir sur le maire qui est le représentant local de l’autorité. Je remercie, au passage le maire de Diofior, Youssou Diome qui s’est toujours battu pour le développement de la localité mais, on doit le renforcer. Je souhaite également qu’on puisse moderniser l’agriculture et l’élevage dans cette zone. Je suis un éleveur et c’est normal que je défende ce secteur. Les élèves ne peuvent pas suivre les cours s’ils ont les ventres creux. Donc il nous faut une agriculture rentable. Certes, je veux une belle maison et tout le confort qui sied mais le développement de tout Diofior et de sa population m’importe le plus.
Votre nom vous a propulsé sur le plan national. Peut-on s’attendre à ce que vous soyez un défenseur de Diofior auprès des autorités étatiques ?
Je suis chez moi, mais mes portes restent ouvertes à tous ceux qui souhaitent, de par leurs idées, le développement de Diofior. Je reste disponible.
Avez-vous des connaissances parmi les tenants actuels du pouvoir ?
J’en connais quelques-uns. Je connais Abdoulaye Mbodj, on m’a dit qu’il est le directeur de l’Aéroport international Blaise Diagne. Le ministre Mbagnick Ndiaye, on partageait le même plat. Quand il commençait à faire la politique, il venait souvent me voir. Il y a le ministre Mbaye Ndiaye que je connais aussi, peut-être que lui, il ne me connaît pas. Je suis parti chez lui voir un de mes fils qui travaillent là-bas.
(Source iGFM) SOPHIE BARRO ET ALIOUNE BADARA SECK (PHOTOGRAPHE)
(Envoyés spéciaux à Diofior)