Hommage de Amadou Lamine Sall à Madior Diouf: « La douloureuse disparition d’un professeur singulier! »

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Nul n’échappe à la mort. Sauf Dieu ! Ceux qui L’ont tué en eux, sont des vivants-éteints. Des ombres. Des lampes sans lumière et qui jamais ne s’allumeront. « La vie est la première partie de la mort. »

C’est mon ami et grand frère, le Premier ministre Moustapha Niasse, qui m’a appris la nouvelle !

Je viens de perdre mon professeur, celui qui, à la faculté des lettres et sciences humaines de Dakar, dans les années 70, m’avait donné l’amour des lettres, fait découvrir les grands auteurs, ou reconnus comme tels, de la littérature africaine. De son nom longtemps affectueux et désormais éternel : Madior Diouf.

Que de souvenirs et quels souvenirs ! Le souvenir d’apprendre, de lire, beaucoup lire, de craindre d’être pris en ignorant, d’écouter des maîtres qui décortiquaient des textes et déshabillaient habilement des auteurs pour nous faire porter jusqu’à leurs habits, afin que nous sachions tout et que nous n’ignorions rien.

Ma première surprise était de découvrir la littérature africaine -au lycée, dominaient le délice des auteurs français- avec ses auteurs contemporains. J’avalais goulûment des textes de Ousmane Socé Diop, de Ferdinand Oyono, de Bernard Dadié, de Sembene Ousmane, de Mongo Beti. Ces deux derniers, j’allais les rencontrer à la foire du livre de Francfort, en Allemagne, peu d’années plus tard, après ma licence de lettres. Je faisais partie du voyage accompagné de Mariama Ba, la divine si attentionnée, si généreuse. Sa mort, des années après, m’avait ôté toute joie de vivre.

Le professeur Madior Diouf est donc mort en ce mois frais de janvier 2025. Je le perds après les professeurs Mouhamadou Kane, Lyliane Kesteloot. Je dois à ces puissants et singuliers enseignants, ce que je suis devenu.

Je retiens du professeur Madior Diouf un enseignant qui n’avait ni le temps de sourire, ni celui de se laisser distraire, ni celui de quitter le fil de sa pensée pour ramener un étudiant à l’ordre. Quand il arrivait dans l’amphithéâtre et qu’il s’asseyait, plus une mouche ne volait. On écoutait religieusement, tendu et comme effrayé de perdre un seul mot de sa dictée. On hésitait à lui poser la moindre question de peur de sa réponse. Il s’imposait. Son cour imposait le silence. C’est comme si sa présence ne s’accommodait d’aucun bruit, d’aucun murmure, d’aucune toux. Il était l’amphithéâtre et tout l’amphithéâtre. Il inspirait le respect.

Tout autre était le radieux professeur Mouhamadou Kane ! La méthodologie du Pr Kane passait par le rire, les anecdotes croustillantes. Ses cours étaient des moments rares de communion et d’échange qui vous abstenaient d’aller les revisiter, tellement l’ambiance gaie et joyeuse inscrivait et gravait tout dans le cerveau.

Madame Lyliane Kesteloot, était, quant à elle, comme une précieuse réceptionniste d’hôtel. Elle connaissait toutes les chambres, toutes les bibliothèques, tous les livres. Elle vous faisait voyager. Elle a beaucoup veillé sur mon avenir d’écrivain, lisant tout de mes fragiles manuscrits, alors que, encore jeune, je m’essayais à un genre étroit et jaloux comme la poésie. Elle me dit droit dans les yeux et elle l’écrira même dans ses publications, qu’Amadou Lamine Sall n’était pas fait pour la poésie, mais excellait dans l’écriture de nouvelles. Bien plus tard, elle écrira qu’elle s’était finalement trompée, que cela arrivait que l’on se trompe.

Pour ma part, elle ne s’était pas du tout trompée. Je n’acceptais pas qu’un professeur émérite puisse se tromper ! La vérité est que j’avais débuté comme un mauvais poète, parce que j’avais trop lu et que je n’arrivais pas à me défaire de mes lectures de Senghor, David Diop, Césaire, Damas, Baudelaire, Lamartine et j’en passe. Le jour où j’ai quitté ses auteurs et fermé leurs inévitables livres de poèmes, j’ai commencé alors à être un poète ou à lui ressembler, c’est à dire que j’avais fini par faire œuvre de création propre : redevenir soi-même, innover, créer et écrire autrement et différemment que ces devanciers. Je devais cette mutation à ma mère Binta Diallo, poétesse peule, aveugle et sourde analphabète en langue française !

Le Pr Madior Diouf a beaucoup suivi et veillé sur ma vie d’écrivain. Je garde encore avec moi une de ses notes de lecture manuscrite sur un de mes romans de jeunesse qui décrivait ma pénible et intenable vie d’étudiant à Dakar, venant de ma ville natale de Kaolack et se retrouvant dans la capitale sans bourse, sans pain, sans logis. J’ai toujours admiré les romanciers. Je ne comprenais pas par quel tour de force créative on pouvait créer des personnages, les suivre, les nommer, les décrire, les faire parler, les tuer, les ressusciter ! La poésie m’allait mieux. Je suis un naïf que l’on peut tromper mille fois ! Je suis un éternel amoureux. Je prends mes ennemis pour mes amis. Cela me va. C’est mon « set-setal » intérieur et il me protège de toute angoisse. Sauf de celle lancinante, gluante et collante de la mort.

Le Pr Madior Diouf qui vient de nous quitter ne posait des questions à personne. Aux questions qui nous préoccupaient, nous ses étudiants, il a donné les plus lumineuses des réponses. Celles qui vous font découvrir le monde des livres et leurs irremplaçables cavernes d’Ali Baba. Avec lui, nous avons appris avec éblouissement que les trains, les bateaux, les avions ne menaient pas à des terres plus belles que celles éclairantes et bienfaisantes des pages et des récits des livres. Nous remercions Le Seigneur de nous avoir fait rencontrer, jeune, un tel pèlerin de l’esprit !

Jamais un enseignant ne nous a autant fait découvrir la splendeur et la métamorphose des savoirs, des pensées, des créations, des techniques narratives de la littérature africaine. Pour avoir beaucoup appris du Pr Madior Diouf, nous pouvons ici avouer que nous avons perdu un grand, un très grand homme ! Nous parlons au nom du savoir, de la pensée, de la pudeur. Pas au nom de la politique. La politique n’est pas pudique et elle ment. Le savoir ne ment pas.

Madior Diouf était un homme d’État. « Un homme d’État est toujours seul. » Il fut ministre de la Culture du Sénégal et à sa place. Il n’a pas attendu son bonheur en comptant sur l’État, comme nombre d’hommes politiques !

« L’État ne peut pas donner le bonheur. C’est déjà un miracle lorsqu’il n’inflige pas le malheur.»

Si nous faisions « l’inventaire de nos rêves » réalisés, le Pr Madior Diouf en serait un et non des moindres. Il était un gardien des savoirs. Un donneur de savoirs. Il était humble. Avec sa disparition, notre pays si cher, a été délesté d’une grandeur.

Il était un cadeau. Dieu nous a repris son cadeau mais saura mieux s’en occuper que nous. Finalement, à bien y penser, « l’avenir », en vérité, n’est rien d’autre, sinon « la mort ! »

Le Dieu Unique vous attend, professeur et avec Lui tous les dieux des pangols. Les dieux Sérères ne sont pas petits et ils comptent ! Dors en paix. Mission accomplie.

Janvier 2025.

Amadou Lamine Sall poète

Grand-Croix de l’Ordre du Mérite du Sénégal

Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

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