Tyaroye Par Léopold-Sédar Senghor
Prisonniers noirs je dis bien prisonniers français, est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ?
Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ?
Est-ce vrai que la haine des banquiers a acheté ses bras d’acier ?
Et votre sang n’a-t-il pas ablué la nation oublieuse de sa mission d’hier ?
Dites, votre sang ne s’est-il pas mêlé au sang lustral de ses martyrs ?
Vos funérailles seront-elles celles de la Vierge-Espérance ?
Sang sang ô sang noir de mes frères, vous tachez l’innocence de mes draps
Vous êtes la sueur où baigne mon angoisse, vous êtes la souffrance qui enroue ma voix
Pluie de sang rouge sauterelles ! Et mon cœur crie à l’azur et à la merci.
Non, vous n’êtes pas morts gratuits ô Morts ! Ce sang n’est pass de l’eau tépide.
Il arrose épais notre espoir, qui fleurira au crépuscule.
Il est notre soif notre faim d’honneur, ces grandes reines absolues
Non, vous n’êtes pas morts gratuits. Vous êtes les témoins de l’Afrique immortelle
Vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain.
Dormez ô Morts ! et que ma voix berce, ma voix de courroux que berce l’espoir.
Paris, décembre 1944
(in « Hosties noires ». Œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor. Éditions du Seuil, 1964)