Akon City, entre rêve et réalité: Un projet aux ambitions démesurées
Le projet Akon City, lancé en 2020, se positionnait comme un symbole du potentiel de transformation économique et sociale en Afrique. Avec un budget colossal de 6 milliards de dollars et une vision inspirée des récits futuristes, il promettait de redéfinir le développement urbain au Sénégal. Cependant, cet ambitieux projet soulève des questions cruciales sur ses implications économiques, ses mécanismes de financement et sa viabilité dans le contexte sénégalais et international.
1. Un modèle économique fragile
1.1. Une dépendance excessive aux financements étrangers
Akon City reposait sur la promesse d’attirer des investisseurs étrangers pour financer sa construction. Or, dans un environnement international marqué par une incertitude économique post-COVID-19 et des priorités axées sur des projets à court terme, les investisseurs ont montré peu d’intérêt. L’absence de garanties solides, combinée à un manque de transparence dans les mécanismes de gestion, a renforcé leur scepticisme.
1.2. La fragilité de l’Akoin
L’Akoin, une cryptomonnaie imaginée pour être au cœur de l’économie de la ville, était censée assurer des transactions rapides et décentralisées. Cependant, le marché des cryptomonnaies a subi d’importants bouleversements ces dernières années, marqués par des effondrements spectaculaires de valeur. L’Akoin, passant de 0,15 $ à moins de 0,001 $ en 2024, illustre parfaitement les limites de ces outils dans des économies émergentes comme celle du Sénégal, où la confiance dans les systèmes financiers traditionnels reste fragile.
1.3. Un manque de retour économique concret
Les bénéfices économiques attendus – création d’emplois, hausse des revenus locaux, développement des infrastructures – sont restés hypothétiques. En quatre ans, peu d’avancées significatives ont été constatées, laissant la population locale frustrée et les autorités sénégalaises embarrassées par l’absence de résultats tangibles.
2. Enjeux nationaux : une opportunité mal exploitée
2.1. Une promesse non tenue pour les populations locales
Les habitants de Mbodiène, initialement séduits par les promesses de développement, sont désormais confrontés à une réalité amère. En l’absence d’emplois et d’infrastructures, ils expriment leur mécontentement face à un projet perçu comme déconnecté de leurs besoins réels. L’enjeu était pourtant de faire d’Akon City un moteur de croissance inclusive, favorisant l’emploi local et la redistribution des richesses.
2.2. Une image internationale mise à mal
Pour le Sénégal, ce projet aurait pu être une vitrine pour attirer des investissements directs étrangers (IDE). Cependant, les retards et l’inaction ont entaché la crédibilité du pays en tant que destination sécurisée pour les investisseurs. L’échec d’Akon City pourrait dissuader d’autres projets potentiels et nuire à la réputation de la Sapco, l’organisme en charge de la gestion des terres touristiques.
2.3. Une dépendance économique persistante
Le Sénégal, comme beaucoup de pays africains, cherche à réduire sa dépendance aux financements extérieurs. Akon City, en s’appuyant presque exclusivement sur des fonds étrangers, a manqué l’opportunité d’explorer des modèles hybrides mêlant ressources nationales, initiatives locales et partenariats internationaux.
3. Enjeux internationaux : des défis globaux mal anticipés
3.1. La crise de confiance dans les projets africains ambitieux
Les projets grandioses, souvent appelés “projets éléphants blancs”, suscitent régulièrement des critiques en Afrique. Ils sont perçus comme irréalistes et déconnectés des priorités locales, notamment dans des pays où les infrastructures de base (routes, électricité, eau potable) restent déficientes. Akon City en est un exemple frappant, alimentant un débat sur la nécessité de prioriser des projets plus modestes mais réalistes.
3.2. L’impact des crises économiques mondiales
Dans un contexte où les investisseurs mondiaux sont confrontés à des défis tels que l’inflation, les conflits géopolitiques (Ukraine, tensions sino-américaines) et le ralentissement économique en Chine, les projets à haut risque comme Akon City sont peu attractifs. La concurrence avec des pays africains plus stables économiquement, comme le Maroc ou le Rwanda, complique également la tâche pour le Sénégal.
3.3. La gouvernance comme facteur clé
Akon City a révélé des lacunes dans la gouvernance des grands projets en Afrique. L’absence d’une feuille de route claire, de mécanismes de suivi rigoureux et de communication transparente a exacerbé les problèmes. Les investisseurs internationaux recherchent des garanties, des institutions fortes et une gestion efficace, des éléments qui semblent avoir fait défaut dans ce projet.
4. Perspectives et recommandations
4.1. Réorienter le projet vers des ambitions réalistes
Plutôt que d’abandonner Akon City, une révision de son objectif pourrait le sauver. Le Sénégal pourrait envisager de transformer le projet en un pôle technologique et écologique plus modeste, adapté aux réalités locales, avec des partenariats solides entre le public et le privé.
4.2. Mobiliser les ressources locales
S’appuyer sur les compétences et les ressources locales, tout en impliquant la diaspora sénégalaise, pourrait redonner du souffle au projet. Des collaborations avec des entreprises sénégalaises et africaines renforceraient également sa légitimité.
4.3. Prioriser l’infrastructure de base
Avant de se lancer dans des projets futuristes, le Sénégal doit renforcer ses infrastructures de base. Cela créerait un environnement propice aux investissements et à l’attraction d’initiatives audacieuses comme Akon City.
Conclusion : Un rêve à sauver
Akon City est une leçon importante pour le Sénégal et pour l’Afrique : l’ambition est essentielle, mais elle doit être accompagnée de pragmatisme, de gestion rigoureuse et d’une vision partagée avec les populations locales. Si ce projet échoue, il risque de devenir un symbole des promesses non tenues en Afrique, mais avec les bonnes réformes et un engagement renouvelé, il pourrait encore jouer un rôle dans le développement du pays.
Tollison Mario, rédacteur en chef
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