Pour Cheikh FAYE Ph.D, la grâce de Luc NICOLAÏ est illégale et moralement inacceptable
L’article 47 de la Constitution dispose que « le Président de la République a le droit de faire grâce.» C’est un pouvoir discrétionnaire que le Président Macky Sall s’est prévalu pour gracier 674 personnes qui étaient dans les liens de la détention à l’occasion de la fête de Tabaski. Parmi ces personnes figure le promoteur de combats de lutte répondant au nom de Luc Nicolaï. En ce qui concerne ce dernier, la grâce qui lui est accordée est illégale en plus d’être moralement inacceptable.
Un grâce illégale
Quoique relevant du pouvoir discrétionnaire du Président de la République, le pouvoir de gracier doit répondre à un certain nombre de conditions impératives, lesquelles balisent son exercice. La condition sine qua non est que la condamnation de la personne, qui va être bénéficiaire de la grâce, doit être définitive, donc n’est plus susceptible de recours. La récente décision de la Cour Suprême dans l’affaire Amadou Woury Diallo (condamné d’une peine de 5 ans et 200 millions d’amende pour trafic de faux médicaments) conforte le respect préalable de cette conditionnalité.
Lorsqu’une personne est condamnée suite à une affaire de drogue, le respect d’une seconde conditionnalité s’impose au Président de la République dans l’exercice de sa prérogative constitutionnelle de gracier. En effet, l’alinéa 2 de l’article 143 du Code des drogues du Sénégal dispose que « la libération conditionnelle ou la grâce ne peuvent être accordées à aucun condamné avant l’exécution des 4/5 de la peine prononcée ». Pour rappel, Luc Nicolaï a été condamné d’une peine définitive de 5 ans d’emprisonnement dont 1 avec sursis. Soit, en termes simples, 4 ans de geôle et 1 an de sursis. Le calcul des 4/5 de la peine d’emprisonnement donne 3 ans et 2 mois (38 mois) avant de pouvoir prétendre à une grâce. Or, lors des péripéties entourant sa grève de la faim puis son transfert de la prison de Saint-Louis à celle de Thiès, le mois dernier (juin 2020), la presse rapportait que Luc Nicolaï n’avait purgé, en ce moment-là, que 2 ans de prison sur les 4 ans qu’il était censé faire. Si cette durée de 2 ans était confirmée, cela voudrait dire que la décision qu’il vient bénéficier est frappée du sceau de l’illégalité.
Une grâce moralement inacceptable
Aujourd’hui, au moment où nous nous apprêtons à célébrer la Tabaski entourés des nôtres, dans la chaleur familiale, il y a une famille sénégalaise qui passera la fête sans la présence de leur unique fille. Elle célébrera l’Aïd dans la douleur et en se posant moult questions sans avoir nécessairement de réponses. Il s’agit de la famille de la demoiselle Hiba Thiam, cette jeune fille morte, à la fleur de l’âge, dans des circonstances en lien avec la drogue et qui restent à éclaircir. Comment cette famille pourrait t-elle comprendre la décision de Macky Sall d’accorder la grâce à une personne condamnée pour « détention de drogue, d’association de malfaiteurs et complicité de tentative d’extorsion de fonds » ? C’est sûr qu’elle ne comprendra pas. Et nous, non plus ! Si l’âme de nos enfants et de nos jeunes est pervertie par la drogue, si plusieurs d’entre eux, espoirs de leurs familles et de la Nation, en sont arrivés à organiser des party où la drogue est présente, c’est parce que cette substance psychotrope est introduite au Sénégal et rendue disponible sur d’obscurs marchés clandestins. Aujourd’hui, ce sont les parents de Hiba Thiam qui pleurent l’absence de leur fille, demain cela pourrait être n’importe quelle autre famille si des mesures de lutte contre la drogue ne sont pas entreprises de façon radicale. Le danger est parmi nous. Nous avons tous reçu un signal qu’il convient de décoder avec justesse : la saisie, l’année dernière, de plus d’une tonne de cocaïne à Dakar, sans que le Gouvernement ne fasse preuve de fermeté (les principaux responsables sont exfiltrés), prouve que nos enfants, nos jeunes sont menacés. La drogue est à portée de main à Dakar. Tout le monde le sait. Par conséquent, toutes les personnes, peu importe leur statut social, leurs appuis politiques et/ou maraboutiques, qui trempent de près ou de loin, dans ces histoires de drogue doivent être débusquées, traquées, condamnées fermement et mises hors état de nuire. Sans exception. Luc Nicolaï fait partie de ces personnes, car ayant fait l’objet d’une condamnation ferme en lien avec la drogue de la part des tribunaux sénégalais. Dire ou faire le contraire, relèverait de l’hypocrisie et de la pure fumisterie. Comme nous savons le faire au Sénégal.
Cette grâce accordée à Luc Nicolaï serait grave en plus d’être révélatrice d’un autre dysfonctionnement dans la procédure d’octroi des grâces. Elle sent un nouveau scandale après celui du trafiquant Amadou Woury Diallo, lequel avait défrayé la chronique et valu l’ouverture d’une enquête. À date, cette enquête, ordonnée par le Président de la République, est restée sans suite. Hier c’était un trafiquant notoire de faux médicaments qui avait bénéficier d’une grâce présidentielle. Aujourd’hui, c’est une personne condamnée dans une histoire de drogue qui en est le bénéficiaire. Il faut être aveugle pour ne pas voir que les procédures d’octroi de la grâce présidentielle sont corrompues et provoquent un large sentiment d’injustice.
Cheikh Faye, Ph.D
xalima.sn