Me Moussa Sarr,avocat de Diack fils: «J’ai un pressentiment qui n’est pas bon» (Entretien)
Son client, Pape Massata Diack, est actuellement privé de ses avocats sénégalais, coincés à Dakar du fait de la fermeture des frontières en cette période de pandémie. Me Moussa Sarr qui a formulé, avec son confère Me Fall, une demande de renvoi de l’audience, a vu, à sa surprise, le Tribunal de Paris rejeter la requête. Une «violation manifeste des droits de la défense», qui ne le rassure pas du tout. Il la dénonce dans cet entretien avec iGfm.
La demande et le rejet
« Mon confrère Me Fall et moi, nous nous sommes déjà constitués pour le compte de Pape Massata Diack à la première audience qui a eu lieu le 13 janvier 2020 à Paris. Nous étions prêts à plaider l’affaire. C’est le parquet qui a estimé ne pas être prêt au motif qu’il n’a pas eu assez de temps pour prendre connaissance de la commission rogatoire internationale qui venait du Sénégal et qu’il fallait rectifier l’ordonnance de renvoi qui avait induit à Pape Massata Diack une infraction que le parquet n’avait pas visée. Nous avions pris acte de cela. Donc entre temps, il y a eu la covid-19. La France a fermé ses frontières comme le Sénégal. Raison pour laquelle cette demande de renvoi a été déposée par le biais de notre confrères Me Beauquier, que nous avions constitué dans le cadre du postulat. Car, si vous n’êtes pas avocat français et que vous êtes dans un dossier, vous êtes tenu d’élire domicile dans un cabinet pour que ce confrère soit l’interface par rapport à un certain nombre d’actes qu’on doit vous notifier par exemple. Et aujourd’hui, à notre grande surprise, cette demande de renvoi a été rejetée. »
Sur cette question la justice française n’a pas été à la hauteur des enjeux.
« C’est un rejet qui nous a surpris, car cette demande est bien fondée et manifestement bien fondée. Et que nous avocat sénégalais nous ne pouvons pas aller en France pour défendre Pape Massata Diack. Ce rejet est une violation manifeste des droits de la défense de Massata Diack. Aujourd’hui en nous empêchant, nous avocats sénégalais, d’aller en France pour plaider pour le compte de notre client pour qu’il puisse se défendre et faire valoir ses arguments, on aura un procès ni juste ni équitable. Donc ça va être à charge.
Autant on nous a empêché d’y aller, autant la Justice française n’a pas pris les dispositions pour que ce procès puisse se tenir en visioconférence pour nous permettre de participer. Technologiquement ce n’est pas compliqué. Vous ne pouvez pas refuser la demande de renvoi et nous empêcher de participer au procès. J’estime que sur cette question la justice française n’a pas été à la hauteur des enjeux. C’est vraiment regrettable nous le déplorons.
Ce que le juge aurait dû faire
Ce qui aurait dû être fait, c’est de renvoyer le dossier à une date proche pour nous permettre de nous déplacer. Peut-être, entre temps, la France va ouvrir ses frontières sur l’international. Parce que présentement, même pour l’espace Schengen, la France n’a pas encore ouvert ses frontières. Donc pour un procès juste et équitable, il faut mettre toutes les parties dans une situation d’égalité des armes pour que chacune des parties accusées puisse, par le biais de ses avocats, faire prévaloir ses arguments en toute égalité. Il appartiendra après, au tribunal, de statuer pour voir le bienfondé des argument des uns et des autres.
Imaginez un seul instant si c’était un procès en Afrique, ce que la presse française dirait de cela.
Imaginez un seul instant si c’était un procès en Afrique, ce que la presse française dirait de cela. Les droits de la défense n’ont pas été respectés. Ils sont souvent enclins à nous donner des leçons mais voilà un cas où tout le monde sait qu’ils ont violé les droits de la défense et que le procès ne sera ni équitable ni juste pour Massata. Quelle que soit la gravité des accusations qu’on porte sur quelqu’un, on doit respecter les droits de la défense, lui laisser les moyens de se défendre.
Des voies de recours au besoin
Par conséquent, par rapport à ce refus de renvoi, nous avons pris acte. Nous attendons la suite des événements et la décision qui sera rendue pour, le moment venu, initier les voies de recours au besoin. Mais, on ne sait pas ce qui va advenir. Nous avons pris acte, mais en tout état de cause, nous initierons les procédures nécessaires pour continuer à assurer la défense des intérêts de notre client Pape Massata Diack. Nous attendons les décisions qui interviendront dans la semaine à venir pour apprécier.
Le mauvais pressentiment
Je n’ai pas un bon ressenti. J’ai un pressentiment qui n’est pas bon. Quand on empêche un prévenu de se défendre, en tant qu’avocat, le pressentiment ne peut pas être bon. Quand vous accusez quelqu’un, laissez-lui le soin de se défendre, c’est son droit. Et en plus, il y a une entrave à la libre exercice de la profession d’avocat. En tout cas, nous userons de toutes les ressources que nous offre la loi pour dénoncer cette situation-là.
Propos rassemblés par Youssouf SANE (IGFM)