Abdoulaye Wilane sur la gestion de la pandémie : «Il y a une sorte de pilotage à vue»
Abdoulaye Wilane a beau faire partie de la majorité. Mais lorsqu’il s’agit de défendre sa commune, le maire socialiste ne porte pas de gants, ni de masque pour tirer sur le gouvernement dans le cadre de la gestion de la pandémie du Covid-19. Confiné dans sa commune, le député-maire de Kaffrine fustige le mépris des autorités à l’endroit de cette localité. Wilane suggère le confinement des 3 régions non encore touchées par le coronavirus.
Quelle est la stratégie de riposte que vous avez mise en place à Kaffrine, une des 3 régions épargnées du Covid-19 ?
Il n’y a pas de stratégie particulière ou spéciale. Notre stratégie fait partie intégrante de celle mise en branle au niveau national par le gouvernement sur la base des conseils, recommandations et prescriptions des médecins, professeurs d’université et autres spécialistes. La région de Kaffrine a 13 collectivités territoriales qui sont frontalières à la Gambie. Nous avons 5 régions qui nous ceinturent. C’est une ceinture de feu. Tous les soirs, les Forces de l’ordre sillonnent nos territoires en parfaite intelligence avec les chefs de village pour arrêter les gens qui violent les interdits en provenant de zones où la pandémie sévit. Ces gens arrêtés sont mis en quarantaine avec surveillance, prélèvement pour test et prise en charge alimentaire. La mairie de Kaffrine a mis à la disposition de ses administrés du gel, du savon, du détergent, des produits de désinfection dans les lieux publics comme les marchés, les quartiers, dans les foyers ou dans les daaras. Mieux, dans tous les postes de santé, nous avons mis à la disposition des usagers des pulvérisateurs. C’est le cas chez les mareyeurs, vendeurs de viande, imams et dans les différentes administrations. Charité bien ordonnée commence par soi-même : en tant que maire, j’ai mis suffisamment de masques à la disposition des agents municipaux, des gants de service dans l’administration comme les collecteurs chargés des marchés. Nous avons appuyés dans ce sens aussi la gendarmerie, la police et l’administration déconcentrée. Ce sont des masques lavables faits par des couturiers sénégalais et kaffrinois.
Est-ce que le centre de prise en charge de Kaffrine de 29 lits, mis en place il y a quelques jours, est équipé ?
Dans le cadre du plan de contingentement, nous avons repéré 2 pistes pouvant être utilisées. La première était un poste de santé que la mairie a réalisé mais qui n’était pas encore fonctionnel. Il y avait uniquement l’eau, l’électricité, etc. Au fur et à mesure qu’on avait quelques cas suspects, on les isolait pour les mettre en quarantaine. Mais avec la vigilance des Forces de l’ordre, le nombre d’interpellés était tellement important que nous avons mis à contribution les réceptifs hôteliers. Le poste de santé a été finalement libéré. La deuxième piste qu’on avait prévue, c’était le centre d’hémodialyse de l’hôpital de Kaffrine qui était en construction et qui est maintenant terminé en termes de phase de réalisation. Là-bas, les besoins indispensables pour qu’il puisse recevoir immédiatement des cas de malade à coronavirus, c’est qu’il faut au minimum 100 millions selon l’avis des experts de la santé. Il faut également un certain nombre de ressources humaines, c’est-à-dire quelques spécialités et des infirmiers pour étoffer l’équipe soignante. A diplôme égal, compétence égale, il faudra privilégier les natifs de notre terroir. Le gouverneur qui préside le Comité régional de gestion des épidémies, le préfet présidant celui départemental avec le maire de la commune et en présence d’autres élus, y avons effectué une visite. Malheureusement jusqu’au moment où je vous parle, le centre de Kaffrine n’est pas répertorié. Je voudrais dire que gouverner, c’est prévoir. Il ne faut pas que le pilotage à vue prévale dans le cadre de la gestion de cette pandémie. Il faudrait, avant que nous soyons dépassés ou surpris, que l’Etat mette à niveau le site de Kaffrine, qui peut recevoir des malades issus de leurs terroirs comme venant d’autres localités du pays. Je salue les efforts admirables du Président Macky Sall et interpelle le Comité de suivi du Force Covid-19 pour qu’il n’y ait pas de favoritisme, de négligence ou de méprise. Jusqu’ici, et nous touchons du bois, nous faisons partie des 3 régions qui ne sont pas encore touchées. Cependant, nous sommes impactés à tous points de vue par les conséquences socioéconomiques de la pandémie. Je demande aussi à la Senelec de veiller à ce que la fourniture d’électricité soit stable. Il y a des coupures d’électricité qui font que des bébés qui sont dans les couveuses perdent la vie. Imaginez qu’un malade à coronavirus qui a besoin d’une assistance respiratoire soit confronté à une coupure d’électricité ! La chaleur qui prévaut à Kaffrine fait qu’il faut nécessairement une ventilation dans les centres de santé. Enfin, dans plusieurs collectivités territoriales de Kaffrine, il y a des forages qui sont en panne. Le ministère en charge de l’Eau et de l’assainissement doit agir vite et bien. Toutes ces préoccupations peuvent être prises en compte dans le cadre du Force Covid-19. On ne peut pas demander aux gens de rester chez eux s’ils n’ont pas d’eau à la maison.
Donc, vous estimez que le gouvernement est dans le pilotage à vue dans le cadre de la gestion de cette crise ?
Ecoutez, l’obligation, le devoir, l’impératif de solidarité et de mobilisation nationale contre l’ennemi commun empêchent de mettre le doigt sur ce qui ne marche pas. Mais dans la situation actuelle, après avoir entendu les requêtes des médecins et spécialistes, c’est être criminel que de taire les manquements. Qu’on le veuille ou pas, il y a une gestion au cas par cas, une sorte de pilotage à vue dans la gestion de cette crise. C’est une perception largement répandue dans le pays. Je sais que les médecins et autres spécialistes sont impliqués dans cette lutte. Ils sont scrupuleux, consciencieux mais parfois vous percevez des non-dits dans leurs propos. Je lis à travers les lignes de leurs paroles publiques des difficultés ou des désaccords. Il faut y mettre un terme et travailler comme un orchestre. Ainsi, il y aura harmonie, célérité et efficience. De Thiès, on nous envoie des talibés qui sont originaires de Kaffrine. Pourtant, des talibés de Kaffrine provenant d’autres régions, sont laissés en rade et ne sont pas traités comme les talibés qui vivent à Dakar, vadrouillent à Rufisque ou pullulent à Thiès. Je pense que la meilleure stratégie pour protéger les régions qui ne sont pas encore infectées, c’est de les confiner. Il faudra alors une stratégie qui va laisser la possibilité aux transporteurs de vivres de pouvoir entrer mais avec un système de check-point qui fait qu’à l’entrée de chaque ville, le transporteur est aspergé de produits de désinfection. On doit mettre des check-points pour que personne ne quitte Touba pour venir et que personne ne quitte Kaffrine pour sortir. Si on confine ces 3 régions au bout de 14 jours, s’il y a des cas asymptomatiques ou communautaires jusqu’ici pas connus, cela se manifestera par des maladies ou des signes qui vont se révéler. Il faut aussi, à défaut de faire des dépistages massifs, le faire au niveau des 3 régions pas encore touchées. C’est possible. Qu’on ne me parle pas de moyens ! Bien sûr, s’il n’y avait pas de problème de moyens, on ne demanderait pas 100 millions pour équiper le site de Kaffrine. L’enjeu de la lutte, et au vu du respect des mesures édictées dans les sites comme Kaffrine, fait que nous méritons d’être appuyés fortement. Mieux vaut prévenir que guérir.
Est-ce que vous parvenez à payer les salaires avec la baisse des recettes municipales ?
Pas effectivement. Ce que je sais, c’est que le président de la République est suffisamment outillé pour prendre les bonnes mesures. Je suis convaincu qu’il a, sur le principe et dans l’esprit, bien fait de prendre une ordonnance en ce sens. Jusqu’à plus amples informations, vulgarisation de l’ordonnance, les maires sont suspendus à sa disponibilité. En tout état de cause, je ne crois pas un seul instant que le Président va laisser faire des actes qui tranchent avec l’Etat de droit, la bonne gouvernance, la traçabilité et l’imputabilité.
Quelles sont les conséquences de la pandémie sur la commune de Kaffrine ?
Les collectivités territoriales rurales qui ne vivaient que des loumas, n’ont plus de recettes. Les communes qui avaient des marchés, avec la réduction du temps de travail, voient leurs revenus baisser. A Kaffrine, le Conseil municipal a décidé d’un réaménagement de notre budget pour que nous puissions surseoir à toute dépense telle que les subventions aux Asc, les coupes, récompenses et prix, les fêtes et réceptions publiques, l’utilisation de certaines dotations en carburant et autres dépenses. On doit transformer cela en ressources pour participer à la lutte contre le Covid-19.
Est-ce que la commune de Kaffrine a reçu l’aide alimentaire promise par l’Etat du Sénégal ?
Il ne faut pas que les gens confondent vitesse et précipitation. Aujourd’hui, ce dont il est question, c’est tous de continuer à nous battre contre ce virus. On doit bloquer sa progression. Puisque le chef de l’Etat a compris que les populations ont besoin de soudure, il a mis un dispositif pour cela. Nous avons reçu à Kaffrine une partie du tonnage de riz et il reste les autres parties annoncées. Nous ne pouvons pas distribuer sans que le package ne soit complet. Nous mettrons à profit ce temps d’indisponibilité du restant pour sensibiliser et mettre à niveau les ayants droit. Les bénéficiaires seront au nombre de 3 119 dans la commune de Kaffrine seulement qui contient par ailleurs plus de 8 500 ménages. Il y a un gap énorme et incommensurable. Sans démagogie ni catastrophisme, je dis que les victimes des dégâts collatéraux du Covid-19 dépasse le champ strict des familles démunies, des personnes vivant avec un handicap ou de ceux qui sont éligibles au Rnu. Dans une région comme Kaffrine qui fait partie des régions les plus pauvres, il n’est pas facile pour un homme politique d’y rester 24h sur 24 à cause des sollicitations qui pèsent. Mais nous restons et partageons ce que nous avons, courageusement et dignement.
Que pensez-vous de la polémique sur l’aide alimentaire qui a sapé l’élan unitaire des forces vives autour du président de la République ?
Il ne faut pas qu’on se trompe d’objectifs et de priorités. Sachant son rôle, le Président a fait ce qu’il devait faire en recevant tout le monde. Il ne sert à rien de s’époumoner dans la presse ou de se vilipender. Une fois que nous sommes d’accord sur l’orientation, sur les conditions qui doivent être réunis pour «capaciter» et habiliter le Président, continuons à faire preuve de disponibilité républicaine, de loyauté et de conscience citoyenne pour vaincre le Covid-19.
Une reprise des cours à l’école est-elle possible le 2 juin prochain ?
Je fais confiance aux spécialistes, aux académies, aux professeurs… Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Je souhaite que cela soit bien étudié, planifié parce qu’il ne faut pas bâcler les choses.
Le Quotidien