Le monde francophone ne peut être « vertueux » comme espace économique, malgré l’importance du rôle que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) peut être amenée à jouer dans le développement économique de l’Afrique, estiment des économistes, dont le Sénégalais Chérif Salif Sy, dans une tribune publiée dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Jeune Afrique.
Ces économistes affirment que « seule l’addition simpliste de pays où l’essentiel des populations ne parle en réalité pas le français mais d’autres langues, africaines ou non, conduit à créer l’illusion d’un espace économique commun qui représenterait 6 à 8% de l’économie mondiale ».
« Quelques équations économétriques visent ensuite à affirmer que ce serait un espace vertueux. Il n’en sera rien », soutiennent les auteurs de cette tribune. Outre M. Sy, ancien conseiller technique d’Abdoulaye Wade, le ministre togolais de la Prospective et de l’Evaluation des politiques publiques, Kako Nubukpo, et l’économiste français Jean-Joseph Boillot sont signataires de la tribune. L’Afrique « ne peut en fait se développer qu’en s’industrialisant, et elle doit, pour cela, protéger ses industries naissantes, y compris sur le plan monétaire », écrivent-ils en citant l’économiste turc de l’Université Harvard (États-Unis d’Amérique), Dani Rodrick
. Le continent africain « doit ensuite transformer, de façon prioritaire, ses régions parfois morcelées en marchés intégrés qui regroupent des voisins géographiques proches en termes de niveau de développement, exactement comme l’a fait l’Union européenne après la guerre », ajoutent-ils. « On comprend bien par exemple qu’une Afrique de l’Ouest sans le Nigeria et le Ghana n’a aucun sens sur le plan économique. Et que prôner le libre-échange entre des pays dits francophones industrialisés et des pays riches en matières premières mais aux agricultures fragiles et à l’industrie inexistante ne peut que prolonger le sous-développement selon toutes les théories économiques connues », font valoir les auteurs du texte.
« Pour la France elle-même, estiment les trois économistes, construire un espace économique francophone n’est pas bon », l’avenir de l’appareil productif français se jouant en Europe, « aussi difficile que soit le bras de fer avec ses voisins ». Dans ces conditions, affirment-ils, « à la France d’œuvrer pour convaincre que l’avenir de l’Europe se joue en effet en Afrique, mais pas dans la politique du chacun pour soi, qui prédomine aujourd’hui si l’on en juge par les politiques africaines de l’Allemagne, du Royaume-Uni, et donc de la France ». Les signataires de la tribune notent toutefois que l’OIF « peut jouer un rôle extrêmement utile dans le développement économique de l’Afrique, dès lors qu’elle cible deux des problèmes majeurs du continent, qui font déjà partie de ses objectifs : la gouvernance et le développement humain ».