Lutte contre l’insécurité : La recette du commissaire Keïta

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Face à la recrudescence des crimes qui étaient à l’ordre du jour d’une réunion de sécurité convoquée par le chef de l’État avant-hier, lundi 20 mai, le commissaire Cheikh Sadibou Keïta appelle à l’élaboration d’un « projet sécuritaire » adossé à nos réalités environnementales.

Viols, meurtres, braquages, agressions… : l’insécurité est galopante ces derniers mois au Sénégal. Que se passe-t-il ?

La sécurité c’est un projet d’abord. On ne peut pas faire immédiatement de la dissuasion pour sortir d’une situation d’insécurité qui est devenue chronique. Depuis très longtemps on tourne en rond pour considérer un problème d’ordre chronique. Il faut qu’on s’arrête, qu’on évalue tout autour de nous, autant les problèmes tels qu’ils se posent aujourd’hui que les moyens et les réponses que nous avons sur nos registres. La sécurité c’est de la prévention d’abord.

Quelles sont les grandes lignes d’une bonne politique de prévention ?

Il faut agir sur l’environnement pour avoir une certaine maîtrise de ce qui va venir. En faisant quoi ? En mobilisant le maximum de moyens pour avoir des informations sur toutes les intentions, sur tous les projets, sur toutes les situations, sur toutes les catastrophes qui pourraient survenir. Et ensuite développer des mécanismes de réaction pour agir à cet endroit pour que ces événements qu’on peut prévoir ne surviennent pas ou qu’on en atténue la survenance. Ensuite, la réaction. La réaction c’est la répression, c’est le système judiciaire, c’est la police et la gendarmerie qui doivent administrer toutes les actions qui mènent à la gestion de la sécurité… C’est en évaluant tout cela qu’on peut avoir un projet sécuritaire et c’est cela qu’il faut. Il n’y a pas de magie en la matière. Il faut qu’on ait un projet global à l’intérieur duquel on insère beaucoup de projets sectoriels.

« L’assise des politiques sécuritaires pose problème. L’État a une politique sécuritaire qui dépend d’une situation qui est fausse au départ. »

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire qu’on identifie l’ensemble des endroits où l’insécurité a des particularités et qu’on y intervienne de manière spécialisée. Je crois qu’à force de conglomérer tout cela, on arrivera à trouver des solutions plurielles. Maintenant à côté de cela, il faudrait qu’on comprenne que la sécurité n’est pas seulement une affaire d’actions policières ou de gendarmerie. Il faut considérer les autres aspects de la vie de la société qui sont importants en ce qui concerne la sécurité.

Lesquels ?

Il nous faut créer une situation de départ à partir de laquelle on se dit : ‘aujourd’hui nous avons une politique sécuritaire qui tient compte de l’ensemble des éléments qui constitue la sécurité et qu’on essaie de maitriser aux plans de la prévention, de l’action répressif, de l’intervention donc de la réaction. Il faut aussi un système judiciaire adéquat…’. Vous voyez donc : l’ensemble des paramètres qui entrent en considération si on veut avoir une évolution sur le plan de la sécurisation des populations et de leurs biens. Ce n’est pas demain que cela va se passer.

Donc en gros, selon vous, c’est l’absence d’une politique sécuritaire cohérente qui pose problème ?

Disons plutôt que c’est l’assise des politiques sécuritaires qui pose problème. L’État a une politique sécuritaire qui dépend d’une situation qui est fausse au départ. Parce que c’est une accumulation de réactions, depuis le temps des indépendances, sur un système qui n’était pas fait forcément pour répondre à ces interpellations actuelles, qui fausse la donnée de départ. Si nous arrivons à faire une évaluation de la situation qui permet à l’État de mettre sa volonté politique sur une assise solide, de mettre les institutions chargées de gérer la sécurité (la police, gendarmerie…) ainsi que son système judiciaire dans les conditions de pouvoir être outillés suffisamment pour pouvoir apporter des réponses appropriées à la suite de l’action policière…, je crois qu’on arrivera à avoir une politique sécuritaire plus cohérente. Mais je le dis : tant qu’on ne reprend pas les bases sur ce que nous avons aujourd’hui, on ne fera que réagir à un phénomène que les réactions ne règlent plus.

Mais à la base, il faudrait nécessairement connaître la racine du mal. Selon vous quelle est-elle ?

Aujourd’hui nous avons : une urbanisation galopante, le manque d’emploi, l’indiscipline notoire, le désordre dans les quartiers, la pauvreté, le trafic de drogue, le manque de surveillance, l’insuffisance des moyens de sécurité… Vous avez tout cela qui entre en ligne de compte et une accumulation de comportements délinquants. Tout cela concourt à l’aggravation d’un phénomène de société. Si on arrive à maîtriser ces paramètres-là, on a de la sécurité. Si on ne les maîtrise pas cela déborde. Aujourd’hui on est dans une phase d’aggravation continue de l’insécurité. Il faut que tous ces facteur-là soient contrôlés. Et cette liste n’est pas exhaustive.

« Fusionner la police et la gendarmerie ne suffit pas. Nous avons deux entités très fortes, qui ont la même mission. Nous ne l’avons pas voulu au départ, c’est un système que nous avons hérité de la colonisation. »

L’idée de fusionner la police et la gendarmerie, agitée ces derniers temps, vous semble-t-elle pertinente pour répondre au défi sécuritaire ?

Ça c’est un problème très sérieux qui entre dans la trame de ce que je viens de dire. Pris en tant que tel, pour dire qu’on a la solution, ce n’est pas cela. Mais considéré dans un cadre de réflexion avec l’ensemble des acteurs qui doivent contribuer à construire une machine de réaction cohérente qui nous permet d’optimaliser l’utilisation des moyens, des ressources financières et humaines, je crois que là on est dans une phase de réponse objective. Mais s’il faut seulement fusionner la police et la gendarmerie pour dire : ‘nous sommes en train de répondre’, cela ne suffit pas.

Je veux que cette voie de solution soit étudiée de la meilleure des façons possibles pour qu’elle apporte un plus dans la prise en charge de l’insécurité donc dans cette approche « réponse nouvelle » à la question sécuritaire. Parce qu’il est question effectivement d’apporter d’autres formes de réponses tant au plan de l’organisation qu’aux plans des stratégies, de la mobilisation des moyens et des procédures d’une manière générale. Cette réponse nouvelle, c’est à nous de l’inventer sur la base de ce qui existe et en mettant tout cela en adéquation avec ce que nous voulons créer comme réponse.

Selon vous en quoi cette fusion pourrait-elle être, le cas échéant, une réponse adéquate au problème de sécurité ?

D’abord si on regarde d’assez près, nous avons deux entités très fortes qui interviennent dans le même secteur, qui ont la même mission. Ça, nous ne l’avons pas voulu au départ, nous sommes tombés dessus parce que c’est un système que nous avons hérité de la colonisation. Donc c’est un système qui existe ailleurs pour répondre à leurs problèmes à eux, nous avons copié la même chose alors que les problèmes sécuritaires ne sont pas les mêmes.

Aujourd’hui que notre sécurité est en jeu- même les Français ont ce problème-là- devons-nous continuer avec ce système-là, même s’il est bon ? Ne faut-il pas changer et créer un autre système ? Qu’est-ce qui doit nous faire changer ? C’est la nécessité d’apporter des réponses plus pertinentes, plus efficientes, plus objectives. C’est dans cette direction que nous devons aller. Qu’avons-nous comme moyens ? C’est l’existant, c’est-à-dire la police et la gendarmerie avec une tradition, un savoir-faire et des expériences. Maintenant si nous devons aller vers la fusion de ces deux corps là nous devons voir ce que cela peut nous rapporter.

Votre réponse ?

D’un point de vue très objectif en mettant les troupes ensemble, les moyens ensemble, on économise. En fusionnant les expériences, les expertises, on apprend mieux et on s’enrichit mutuellement. En fusionnant les outils techniques tels que les fichiers, les structures d’intervention, les renseignements, il y aura moins de perdition parce que tout est cohérent. Tout est géré au même endroit. Même si on diversifie, on le fait en périphérie. Mais au centre on n’aura pas deux états-majors qui se concurrencent et c’est cette concurrence qui est pernicieuse par endroit. Il faut qu’on se regarde et qu’on se pose des questions : qu’est-ce qu’il nous faut comme sécurité ? Est-ce qu’on peut trouver une solution en gardant la police et la gendarmerie telles qu’elles sont aujourd’hui ? Faut-il les rapprocher ou les fusionner ? Voilà la démarche dans laquelle on doit s’impliquer et travailler sérieusement, objectivement et techniquement. On a beaucoup d’expertises pour pourvoir trouver une solution qui est la nôtre par rapport à notre problème. Pas une solution de fierté ou de rejet.

« Si l’État cherchait à régler les problèmes de sécurité en créant l’Agence de sécurité de proximité ce n’était pas une bonne option. »

L’État a mis en place l’Agence de sécurité de proximité (Asp) pour répondre plus efficacement à la question de la sécurité. Avec cette insécurité persistante, peut-on considérer que ce projet est un échec ?

On peut dire que si l’État avait visé régler les problèmes de sécurité en créant cette force parallèle, je crois que ce n’était pas une bonne option. Sur le terrain maintenant, quand les Asp arrivaient, la police était dans une situation de déficit d’effectif extrême. Sur ce plan-là c’est une solution qui techniquement n’était pas très appropriée mais elle a apporté quelque chose quand même parce qu’il y a eu un vide que cela a comblé. Leur présence est quelque part bénéfique. On les retrouve dans les postes de police en train de faire un travail qu’ils ont appris dans le tas. Mais ça, ce n’était pas une réponse, c’est juste un dépannage. Il faut reprendre la main, travailler à préparer des hommes à les former. La formation est une tranche importante dans cette recherche de solution.

Ne devrait-on pas les intégrer une bonne fois pour toutes dans la police ?

Je suis intransigeant sur la question : avant de les intégrer dans la police, il faut d’abord les évaluer. Voir ce qu’il faut leur apporter en terme de formation. Le métier de policier est un métier particulier et sérieux. L’acceptation déjà d’être policier c’est quelque chose qui n’est pas forcément dans l’Asp. Il faudra les forger à être policier. Ensuite, on leur donne des connaissances on leur donne du métier, on les façonne pour pouvoir être dans le renseignement, les interventions, dans des unités spécialisées.

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