Confirmer l’alternance et reconstruire un pôle d’espérance (Par Amadou Tidiane Wone)
L’alternance politique survenue en l’an 2000 est le fruit d’une longue marche du peuple sénégalais. Ainsi, pour sonder les racines de la marche inlassable de notre Peuple vers la Liberté et le Progrès, il faut mettre bout à bout toutes les luttes menées par les différentes générations d’hommes et de femmes qui ont fondé et bâti notre Nation. Les tentatives de réduire l’alternance qui n’est, au fond, qu’une étape du processus de réappropriation de son destin par le Peuple souverain au seul mérite d’un homme, d’un parti ou même d’une coalition victorieuse sont à la base des tensions qui traversent le pays depuis le 19 mars 2000.
Le malaise général qui en découle rend l’atmosphère pesante et les lendemains incertains. La fébrilité constante du landerneau politico médiatique sur fond de surenchères et de menaces risque, si l’on y prend garde, de faire exploser le thermomètre. C’est pour cela qu’il devient urgent que, dans un sursaut de lucidité qui puisse fédérer le plus grand nombre de citoyens, l’on se consacre à analyser les causes profondes des convulsions qui secouent la classe politique sénégalaise depuis l’an 2000. C’est là le préalable nécessaire à toute recomposition ou reconfiguration des forces politiques et sociales dans la perspective des prochaines consultations électorales. Cela est d’autant plus urgent que ces crises interminables depuis l’an 2000 freinent la poursuite d’une véritable ambition collective pour propulser notre pays sur les rampes de lancement du progrès et du mieux-être pour le plus grand nombre.
Il faut donc se le dire une bonne fois pour toutes : l’alternance n’est pas une fin. Ce n’est qu’une étape. C’est l’une des modalités d’expression de la volonté populaire de changer ses conditions d’existence en changeant ses mandataires. C’est là l’esprit de la République et de la Démocratie multi partisane qui offre au peuple le choix de désigner, à des termes réguliers, ceux et celles en qui il place sa confiance.
L’éclatement de la coalition victorieuse en l’an 2000, les réaménagements en cours sur fond de querelles crypto personnelles ou d’intérêts particuliers ne doivent pas nous distraire d’une analyse froide et lucide de la situation nationale.
L’une des premières questions à laquelle il faut trouver une réponse est la suivante : Quelles sont les véritables raisons de l’éclatement de l’alliance victorieuse en l’an 2000 ? Quelles sont les divergences de fond qui ont conduit à la nécessité pour les alliés de se séparer en dépit du mandat donné par les électeurs ? Qui étaient les protagonistes de la crise ayant conduit à la rupture ? Ils sont tous vivants et nous doivent des explications sur ce qui s’est réellement passé avant de constituer de nouvelles alliances et de solliciter à nouveau nos suffrages. Il est tout de même remarquable que nos politiciens passent du pouvoir à l’opposition entre deux scrutins sans que les causes réelles de ces allers retours ne soient politiquement compréhensibles. Qu’est qui a poussé Moustapha Niasse à quitter le gouvernement ? Et Avant lui le PIT d’Amath Dansokho ? Qui a poussé la LD à la sortie ? Qui a ramené l’URD au pouvoir après tout ce qui s’est passé ? Qui a suscité, théorisé et organisé la transhumance ? A-t-on le droit entre deux scrutins de ramener au pouvoir certains de ceux à qui le suffrage universel l’a retiré ? Etc. autant de questions auxquelles la classe politique et tous les citoyens doivent trouver des réponses qui vont poser les jalons de la refondation de la Politique au sens le plus noble du terme. La politique ne doit pas être le lieu de l’intrigue et de la ruse. Non plus le lieu où tous les coups sont permis et où la Morale n’a guère de place. Notre pays a besoin d’arrimer la conduite des affaires de la Cité à un code moral qui soit conforme aux valeurs qui fondent notre commune volonté de vivre ensemble. Quelles sont ces valeurs ? Sont –elles actuelles ? Faut-il les revisiter ? Autant de questions que les monologues parallèles ne parviendront pas à assouvir. Il faut donc renouer les fils du dialogue. Non pas celui qui consiste à partager des postes et des prébendes, mais celui qui a pour ambition de construire un avenir pour nos enfants dans un monde de plus en plus impitoyable. Il faut donc que tous ceux qui se sentent concernés fassent un effort de dépassement pour inventer un avenir à la mesure de la qualité intellectuelle de notre nation. Il faut débattre et non se battre. Seuls les animaux devraient être réduits à l’extrême de l’affrontement physique pour trancher des litiges en ce début de troisième millénaire !
Cela dit : l’alternance étant ramené à sa véritable dimension d’étape dans la longue marche du Peuple vers la reconquête d’une trajectoire historique conforme à son génie, il convient que les élites s’attachent à ne pas trahir cette volonté. Il devient donc urgent de procéder à des analyses qui sortent des querelles de personnes pour s’inscrire dans une perspective historique face à laquelle les intérêts immédiats et particuliers sont dérisoires. Dans ce contexte, la réflexion, pour ce qui me concerne, tourne autour de la question suivante : Comment confirmer l’alternance et rebâtir un Pôle d’espérance ? La question n’est pas simple. Car il faut, dans le même temps, faire l’autocritique sans complaisance des sept ans que nous venons de vivre et reformuler une Vision d’avenir qui conforte les uns et rallie beaucoup d’autres. C’est ce débat qui mérite d’être posé. Sortons des discours simplificateurs qui réduisent à des conversations de grand-place les enjeux de l’avenir de notre pays. Evitons les procès d’intention et les partis pris faciles qui altèrent l’objectivité et déforment le jugement. Même le discours partisan doit avoir le souci de la cohérence, de l’intelligibilité et de la rigueur. Pour restaurer à la Politique sa dignité et réconcilier toutes les forces de progrès autour d’une grande ambition pour le Sénégal, il va falloir retrouver le sens de la Patrie, de son Honneur et de sa Gloire.
Amadou Tidiane WONE
Ecrivain, Ancien Ministre
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