Revendication de postes ministériels et frustrations : Le Pr Djiby Diakhaté explique la racine du mal

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L’enseignant en sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Djiby Diakhaté, est formel. Autant sur le plan républicain, le principe de la revendication de l’ancrage d’un ministre à un cadre régional ou local bien donné qu’on constate au Sénégal à la veille de chaque remaniement ministériel pose problème, autant dans la pratique quotidienne de la gestion des affaires publiques au Sénégal, on comprend pourquoi les populations au niveau local revendiquent leur ministère.

Interpellé par Sud quotidien sur la récurrence de ce phénomène qui s’incruste dans le champ politique, le docteur Diakhaté a indiqué qu’il découle en réalité de la fracture entre la capitale et ses environs avec l’arrière-pays en matière d’infrastructures et des structures.  Abordant dans la foulée les sorties d’acteurs frustrés par la composition du nouveau gouvernement, le docteur en sociologie assure que leur attitude consacre le déficit de communication au niveau des formations politiques où la question de la démocratie interne pose problème.

«IL Y A UN PROBLEME LORSQUE, PRECISEMENT, ON VEUT REFERER UN MINISTRE A UN CADRE REGIONAL OU LOCAL»

Il est clair qu’il y a un souci à ce niveau parce que simplement, un ministre ne représente pas une région mais le pays tout entier. La devise du Sénégal dit bien : «Un peuple, un but, une foi». Le ministre est donc quelqu’un qui est placé sous le sceau de l’unité de la république. Sous ce rapport-là, il y a un problème lorsque, précisément, on veut référer un ministre à un cadre régional ou local. Il y a d’autres cadres qui répondent à cela parce que nous avons des élections locales et de députés. Ces élections-là répondent à une dimension plutôt locale. Par contre, lorsqu’il s’agit du gouvernement, c’est une institution qui œuvre pour la République toute entière. Il faut dire évidemment que d’un point de vue des principes républicains, la revendication de l’ancrage d’un ministre à un cadre régional ou local bien donné pose problème. Par contre, nous sommes dans des pays où précisément certaines nuances ont besoin de se faire représenter. Cela veut dire précisément que pendant longtemps et notamment avec la colonisation, il y avait une sorte de surconcentration des institutions dans un espace territorial bien donné.

Lorsqu’on est arrivé à l’indépendance, on a continué d’une certaine manière à établir une sorte de fracture entre le monde urbain et le monde rural, entre la capitale et ses environs et l’arrière-pays. Ce qui fait que d’une certaine manière, vous avez l’essentiel des infrastructures et des structures qui sont concentrées à Dakar et dans ses environs alors que le reste du pays semble être livré et laissé lui-même. En conséquence, on comprend pourquoi ces populations revendiquent la présence de leurs fils au niveau du gouvernement. Dans une certaine mesure, c’est un besoin de réaliser un équilibre et une certaine équité et d’éviter que certaines parties du pays ne soient pas oubliées. Autant sur le plan républicain, le principe de la revendication pose problème, autant dans la pratique quotidienne de la gestion des affaires au Sénégal, on comprend pourquoi les populations au niveau local revendiquent leur ministère parce que, dans le cas contraire, elles ont tendance à être oubliées au profit de Dakar et de ses environs.

«LES FRUSTRATIONS POSENT UN PROBLEME DE COMMUNICATION AU NIVEAU DES FORMATIONS POLITIQUES»

À ce niveau de lecture, nous avons trois points qui nous semblent importants. D’abord au niveau des formations politiques. La communication au niveau des formations politiques comme la question de la démocratie interne au niveau des formations politiques posent problème. En réalité, il est inadmissible qu’un ministre soit dessaisi de ses fonctions sans qu’il ne soit averti auparavant. Quand j’entends le ministre Youssou Touré dire que l’information de sa non-reconduction lui a été donnée par la presse, cela me pose problème. Au niveau des formations politiques, c’est quand même une sorte de galanterie politique que de mettre au courant une personne qui doit quitter l’attelage gouvernemental avant. On parle de démocratie au niveau de la République mais au niveau des institutions politiques, il y a de véritables failles et de véritables carences sur le plan des principes démocratiques.

La deuxième chose que nous relevons a trait à la question de la représentation, de l’image que la personne offre à son entourage. Le plus souvent, le fait d’être enlevé d’un poste pose moins de problème à l’individu lui-même que le rapport qu’il entretient avec sa communauté. Le problème qui se pose, c’est comment il va être vu dans sa communauté. Est-ce qu’il ne sera pas vu comme quelqu’un qui est fautif, qui est un grand perdant etc. Parce chez nous, nous avons tendance à accorder beaucoup de crédit à ce que les autres pensent et à ce que les autres disent. En conséquence, quand je perds un poste, j’ai des soucis par rapport à ma famille, à ma communauté, à mon entourage, donc à ce niveau c’est l’image qui est renvoyée au niveau de la communauté qui pose problème.

Troisième chose qui me semble importante maintenant, c’est le militantisme politique au Sénégal. En réalité, on se rencontre qu’avec la sortie de certaines personnes qui ont perdu leurs postes, leur militantisme n’a pas obéi à la défense de cause mais à la défense de poste. Autrement dit, au Sénégal, on n’est pas dans la majeure partie des cas des militants d’une cause mais des militants pour un poste ou pour des dividendes. Et, à partir de ce moment, cela pose des problèmes parce que moi, si je suis militant pour une cause, que j’occupe un poste ou non, je me dis que le plus important, c’est que je vais me battre pour que les choses s’améliorent, pour que les populations vivent dans de meilleures conditions. Mais, si je me tais et que je me cramponne à mon poste et si je perds le poste, je tire sur tout, ça montre que tout ce qui m’intéressait, tout ce qui me préoccupait, c’est des dividendes mais pas le fait de travailler dans l’intérêt des populations… La nomination d’un gouvernement n’obéit pas seulement à des critères techniques. Derrière, vous avez des critères politiques qui sont importants et qu’on ne peut pas élaguer surtout en cette période où l’on s’achemine vers des élections présidentielles dans deux ans.

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