Les fonds politiques ne sauraient expliquer aucune reculade, si reculade il y a. (par Mody Niang)

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«Dans quel pays vivons-nous » ? C’est le titre de mon dernier texte publié par des sites de la place. Je me pose aujourd’hui la même question, après les rebondissements que nous avons connus  le mardi 19 juillet 2016. La presse révèle ce jour-là que le Procureur de la République s’est autosaisi de l’Affaire dite du « Protocole de Reubeuss » et, que dans ce cadre, des personnes allaient être immédiatement entendues par la sûreté urbaine. La nouvelle est favorablement accueillie par les citoyens et, parfois même, avec enthousiasme. Cependant, leur espoir sera de courte durée. Le temps d’une rose, une autre nouvelle infirme la première et fait état de « reculade », de « volte-face » de l’Etat. Les auditions annoncées sont renvoyées sine die. Les autorités gouvernementales et judiciaires restant muettes comme des carpes, personne ne peut s’aventurer à affirmer ou à infirmer l’une ou l’autre nouvelle. En tous les cas, si l’auto-saisine est enterrée quelques heures à peine après avoir été annoncée, il y a vraiment de quoi désespérer encore de notre pays, de notre justice en particulier. En attendant d’en avoir le cœur net, certains arguments sont avancés ça et là, pour expliquer la « reculade » ou la « volte-face » de l’Etat.  Des compatriotes, y compris des avocats bien connus, lient imprudemment le « Protocole de Reubeuss » aux fonds politiques du Président de la République. Or, poursuivent-ils, l’utilisation de ces fonds n’est soumise à aucun contrôle : ils sont laissés à la discrétion du Président de la République qui en dispose comme il veut, qui peut même les brûler si jamais l’envie lui venait.
Ce privilège exorbitant accordé au Président de la République est à la base de nombre de dérives, de dérives graves que nous connaissons du 1er avril 2000 à nos jours. Il convient donc d’envisager sérieusement de le remettre en cause, non pas en supprimant les fonds politiques, mais en en encadrant au moins l’utilisation. En attendant d’y revenir, je réfute formellement l’argument qui lie « l’accord financier » supposé entre Me Wade et Idrissa Seck, aux fonds politiques du premier. Cet « accord » porterait quand même sur 74 milliards de francs CFA. Si ce montant était avéré, il serait exclu qu’il fût constitué à partir des fonds politiques.
Rappelons quand même que ces fonds sont une allocation annuelle votée par l’Assemblée nationale, en faveur du Président de la République. Au moment où les Socialistes quittaient le pouvoir, ces fonds, qui s’appellent en réalité fonds spéciaux, se situaient officiellement autour de 680 millions de francs CFA ainsi répartis : fonds politiques, 500 millions ; fonds secrets, 80 millions ; fonds Solidarité africaine, 100 millions. Avec l’avènement de Me Wade à la Magistrature suprême, le montant crève tous les plafonds, pour atteindre officiellement huit milliards annuels, au moment de son départ du pouvoir, le 25 mars 2012. Idrissa Seck, Ministre d’Etat Directeur de Cabinet du Président de la République a géré les fonds politiques d’avril 2000 à avril 2004, soit pendant quatre ans. Même si on suppose que le Président Wade lui confiait la garde de tous les fonds sans y avoir touché pendant quatre ans, cela ferait 32 milliards. Or, tout le monde sait, qu’avec l’appétit financier de Me Wade, les fonds qui lui étaient alloués ne lui suffisaient même pas pour se rincer les dents.
On me rétorquera sans doute que Me Wade ne se suffisait pas de ses maigres fonds par rapport à son appétit d’ogre en la matière. C’est vrai qu’il lui arrivait de verser dans les différents comptes où étaient logés les fonds politiques « des fonds diplomatiques et autres aides budgétaires qu’ (il) ramenait de ses nombreux voyages ». C’est la déclaration que fit Idrissa Seck devant les membres de la Commission d’Instruction de la Haute Cour de Justice interloqués. Tout indique qu’il  raison car, le Directeur général de la SGBS interrogé par la Commission d’Instruction reconnaîtra avoir consenti à la Présidence de la République un prêt de deux milliards, pour acheter des véhicules Peugeot 607 destinés à renouveler le Parc de la Présidence (ce Parc devait être vraiment bien fourni après). Le prêt sera soldé six mois après, grâce à des fonds koweitiens. Interrogé le 11 novembre 2006 par la même Commission, M. Seck révélera qu’un chèque d’un million de dollars US (alors 720 millions de francs CFA) offert par le Koweït au Sénégal « avait été directement remis au Président de la République qui l’aurait fondu dans les ses fonds politiques », exactement dans les comptes hébergés par la CBAO. Un chèque de l’Arabie saoudite offert dans le cadre du « relookage » du CICES (qui devait abriter une rencontre du NEPAD) et de nombreux autres fonds diplomatiques ont certainement connu le même sort.
Tout cela fait évidement beaucoup de milliards qu’il faut distinguer des fonds politiques, allocations annuelles votées par l’Assemblée nationale pour le Président de la Républiques et hors de tout contrôle. Ces fonds-là ne sauraient constituer les fameux 74 milliards. Quant aux autres, c’étaient des fonds détournés de leur place naturelle qui était le Trésor, qui tombaient de temps à autre dans les différents comptes où étaient logés les fonds politiques. C’était de l’argent détourné carrément par le Président de la République et dont je doute qu’il en confiait la garde à M. Seck, jusqu’à concurrence de 74 milliards. Le fameux « butin » qui serait l’objet de « l’accord financier » entre l’ex-père et l’ex-fils est donc à chercher sûrement ailleurs. C’est ce à quoi devait s’employer la Justice sénégalaise, si elle était véritablement indépendante et vertueuse.
Selon une certaine presse, le Président de la République s’y serait opposé. Ce ne serait pas surprenant d’ailleurs, si on considère qu’il pourrait ne pas être tout à fait  indemne dans une enquête indépendante et professionnelle qui ferait la lumière sur ces fameux 74 milliards et sur bien d’autres. Cette enquête aura-t-elle lieu ou sera-telle définitivement enterrée ? En tout cas, l’argument selon lequel cette enquête serait illégale parce que portant sur les fonds politiques ne tient pas la route. C’est peut-être aussi le lieu de s’interroger sérieusement sur ces deniers publics mis à la disposition  du Président de la République qui en fait ce qu’il veut et qui ne sont soumis à aucun contrôle. Au lendemain de son installation comme quatrième Président de la République du Sénégal, le sobre Macky Sall a carrément reconduit, grâce à un décret d’avance, les huit milliards de fonds politiques, les huit de l’année 2012 ayant été vidés par le Président Wade en trois mois (janvier, février, mars). Il semblerait, aujourd’hui, que les fonds politiques soient montés à dix milliards. Si l’information est avérée et il est fort probable qu’elle le soit, le Président Macky Sall aura grillé 70 milliards à la fin de son premier mandat. Soixante-dix milliards pour entretenir une famille, un Parti, une Coalition, des chefs religieux et tous autres Sénégalais susceptibles de contribuer de façon significative à sa réélection en 2019 ! Combien de forages, d’écoles, de centres de santé, de routes, de brigades de gendarmerie et de commissariat de police dans les régions périphériques, etc., pourrait-on construire avec autant de milliards ? Certainement des milliers dont profiteraient des millions de nos compatriotes.
Parlant des fonds politiques lors de l’Emission Diine ak Jamono de jeudi dernier, le sulfureux colonel Cissé les comparait à du alali baïtimaar.  En d’autres termes, à de l’argent jeté par la fenêtre, dépensé sans compter et sans discernement. Cet esprit des fonds politiques doit radicalement changer. On n’entendra jamais en France, en Angleterre ou en Allemagne, encore moins dans les pays de l’Europe du Nord, que le Président de la République, le Chancelier ou le Premier Ministre fera de ce qu’il veut les fonds politiques, sans rendre compte. Il est temps que nous sortions de notre situation de démocratie tropicale. Ce serait en tout cas un très mauvais signe pour nous, un de plus, si cette affaire de 74 milliards était définitivement enterrée. Le peuple doit exiger qu’elle soit élucidée, qu’on sache si oui ou non elle est fondée. Si elle est fondée, que les acolytes soient confondus, rapatrient le « butin » et paient cher leurs forfaits ! Et quel que soit leur âge. Si, au contraire, c’était une légende, que tous les compatriotes mis en cause injustement soient matériellement et moralement dédommagés, et que les faux accusateurs soient sévèrement punis, pour délit de grave diffamation ! C’est aussi simple que cela et je ne vois pas comment le Président de la République pourrait s’y opposer, sans frais.  Il est vrai que, comme son prédécesseur, il compte sur la puissance de l’argent et sur notre torpeur, qui peut réserver pourtant bien des surprises, comme ce fut le cas Le 23 juin 2011 et le 25 mars 2012.
Dakar, le 20 juillet 2016 
Mody Niang

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