L’environnement de la plateforme aéroportuaire, un espace réglementé, pas comme les autres – par Lassana KOITA

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L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI), créée le 7 décembre 1944 à Chicago, est une entité du système de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui compte aujourd’hui 191 Etats membres, dont le Sénégal depuis novembre 1960. C’est un organisme qui joue un rôle primordial dans la réglementation internationale relative à l’aviation civile. L’OACI exerce en ce domaine un pouvoir normatif à caractère universel à travers, à ce jour, les dix-neuf Annexes à la Convention de Chicago.

Elle a placé au centre de ses préoccupations la sécurité, la sûreté et le souci permanent de la maîtrise de l’impact des activités aéronautiques sur l’environnement. A ce titre, depuis 1968, l’assemblée de l’OACI a adopté une résolution où elle reconnaissait la gravité du problème du bruit généré par les aéronefs au voisinage des aéroports. Inversement, si l’urbanisation des grandes villes n’est pas bien maîtrisée autour de l’emprise des aérodromes, la pression démographique exercera, à son tour, des contraintes fortes sur la plateforme qui risque d’être étouffée au point de compromettre la sécurité des opérations de vol.

Le cas de l’Aéroport International Léopold Sédar Senghor (AILSS) en est une parfaite illustration. Pour des raisons de sécurité, plus d’une centaine de maisons aux abords de cet aéroport ont été démolies. Ces mesures ont provoqué beaucoup de colères et surtout de douleurs. Afin d’éviter de telles circonstances qui ont des conséquences lourdes, il est nécessaire de mettre en place des règles claires et strictes de planification qui seront basées sur une démarche inclusive.

Le présent article a pour objet de rappeler les dispositions internationales qui promeuvent la bonne intégration d’une plateforme aéroportuaire dans son milieu environnant. Pour cela, les règles de sécurité des opérations de vol sont examinées ; puis, le cas du Sénégal est présenté avec des préconisations de bonnes pratiques afin de garantir une meilleure cohabitation.

Sécurité des opérations de vol dans l’emprise de l’aérodrome

Dans le domaine des aérodromes, l’OACI a préconisé dans l’Annexe 14 à la Convention, des normes et pratiques recommandées relatives à la planification, à la conception, à l’exploitation, et à l’implantation d’équipements aéroportuaires (radionavigation et autres). En ce sens, outre les spécifications qui concernent l’environnement terrestre d’un aérodrome (aires de manœuvre et de trafic), elle a également défini des règles de sécurité caractérisant l’espace aérien au-dessus de la plateforme aéroportuaire.

A cette fin, les aéroports doivent disposer d’un volume approprié d’espace aérien libre d’obstacles naturels ou artificiels tels que les immeubles, les antennes, les lignes électriques ou autres pour que les avions puissent faire leurs approches, atterrissages ou décollages en toute sécurité et en toute régularité. Pour cela, il est institué des servitudes spéciales de protection associées à ce volume : ce sont les surfaces de dégagement aéronautique. Elles sont composées d’un ensemble de surfaces horizontales, inclinées ou coniques entourant l’espace aérien au-dessus de l’aérodrome en exploitation, pouvant s’étendre jusqu’à 15 km de part et d’autre de la piste concernée. Sous leur emprise, les obstacles terrestres susceptibles de créer un danger pour la navigation aérienne ou nuisibles aux équipements de sécurité peuvent être interdits, supprimés ou soumis à des conditions spécifiques de traitement. Dès lors qu’elles ne sont pas empiétées par des obstacles, ces surfaces garantissent la protection des procédures d’atterrissage et de décollage en régime VFR (Visual Flight Rules) pour les règles de vol à vue ou IFR (Instrument Flight Rules) pour les vols aux instruments sans visibilité extérieure. Pour une piste donnée, les spécifications en matière de limitation d’obstacles sont définies en fonction des opérations de vol auxquelles cette piste est destinée, soit pour le décollage ou l’atterrissage, ou les deux en même temps. Les caractéristiques physiques de ces surfaces sont donc déterminées en fonction de la piste concernée et de la phase de vol; elles sont spécifiées dans les manuels techniques de l’OACI.

S’agissant des aides à la navigation aériennes, par exemple les VOR (VHF Omnidirectional Range) utilisés pour diriger les avions à travers le relèvement indiqué, les dispositions réglementaires imposent l’absence d’obstacles, comme les immeubles, qui perturbent les ondes électromagnétiques dans un espace relativement proche (350 m pour la zone primaire du VOR implanté à AILSS, mais qui peut s’étendre jusqu’à 400 m). D’une façon ou d’une autre, le respect de ces dispositions est une condition nécessaire de validité du certificat de l’aérodrome. Elles sont opposables à l’exploitant ; au Sénégal, il s’agit bien de l’Agence Des Aéroports du Sénégal (ADS), sous la supervision de l’Agence Nationale de l’Aviation CIvile et de la Météorologie (ANACIM). Ces spécifications ont une vocation opérationnelle pour les pistes en exploitation et non urbanistique. De ce point de vue, elles seules ne suffisent pas pour assurer une « meilleure cohabitation » entre l’aéroport et les populations riveraines.

Cas du Sénégal et Préconisations

Au Sénégal, le décret n°2014-802 portant règlement d’urbanisme des pourtours de l’AILSS, a été institué en vue de protéger les opérations relatives aux pistes 18/36 et 03/21. Cette décision ainsi que les conséquences qui s’ensuivent témoignent de l’ampleur de la gravité de la situation ; c’est-à-dire, une pression foncière qui a asphyxié l’aéroport en dépit des 864 hectares qui lui avaient été réservés au moment de sa création en 1934.

Pour éviter que de telles circonstances ne se reproduisent plus aux autres aéroports sénégalais, il convient de changer de paradigme. C’est pourquoi, nous préconisons la mise en place d’un Schéma Directeur global relatif à la zone concernée ou s’il existe déjà le renforcer. Ce document d’urbanisme prendra en compte l’organisation générale relative à l’aménagement du territoire ainsi que la planification aéroportuaire. Le cas spécifique de l’aéroport intégrera le développement futur de la plateforme auquel seront associés des plans de servitudes aéronautiques (PSA) ainsi que des plans d’exposition au bruit (PEB). Une fois mis en place, ces de plans permettront non seulement de garantir la sécurité des opérations de vol jusqu’au stade ultime de l’aéroport mais aussi de protéger les populations riveraines contre les nuisances sonores et les vibrations causées par les opérations aériennes. Ce sont des dispositifs de planification qui doivent être établis de manière inclusive en impliquant les acteurs concernés : les services de l’Etat, les collectivités locales impactées, les exploitants aéroportuaires, les riverains et autres acteurs intervenant dans le secteur, telles que les associations.

Certains pays, comme la France, ont mis en place ces outils de planification. Soumis à une enquête publique, ils délimitent les zones autour de l’aéroport à l’intérieur desquelles les constructions sont soumises à des règles strictes de hauteur, de distance ou de niveau d’exposition acoustique. Ils ont à la fois une vocation sécuritaire mais également une répercussion urbanistique dans la mesure où ils préservent le devenir de l’aérodrome à court, moyen et long termes. Ce sont des documents d’urbanisme annexés au plan local d’urbanisme disponible dans les mairies impactées par les servitudes sous l’autorité compétente : ils sont opposables aux tiers. Si notre pays met en place les mesures similaires, cela permettrait davantage de garantir une meilleure cohabitation entre l’aéroport et les habitations voisines.

La loi n°2015-07, portant code de l’aviation civile qui est adoptée le 21 avril 2015 par les parlementaires sénégalais, apporte quelques innovations dans la législation aéronautique par rapport à celle de 2002. Pour son renforcement, il convient d’y associer des outils de planifications permettant de préserver le devenir de l’aéroport. En ce sens, le choix politique fait par les autorités montre que l’AILSS a déjà atteint son stade ultime de développement du fait qu’il n’est plus envisageable d’aménager de futures pistes sur cette plateforme.

Par ailleurs, selon le rapport de l’étude d’impact environnemental et social de l’Aéroport International Blaise Diagne (AIBD), réalisé par les experts de la Banque Africaine de Développement, cette plateforme atteindra son stade ultime quand son trafic annuel passera à 10 millions de passagers. A ce stade, il est prévu de réaliser une nouvelle piste qui naturellement nécessitera la réalisation de servitudes de dégagement. En attendant, la situation actuelle de la zone d’implantation de l’AIBD montre que celle-ci fait déjà l’objet d’une course effrénée d’une certaine forme d’urbanisation qui commence à inquiéter. Dans ce contexte, il s’avère nécessaire de le doter dès à présent des mesures de planification préconisées dans cet article pour le protéger durablement contre les agressions foncières. Rappelons que de par la position géostratégique de Dakar, les autorités sénégalaises ambitionnent de faire de cet aéroport le hub aérien de référence multi-services : médical, tourisme, sièges régionaux d’entreprises et institutions internationales. Pour cela, il a besoin d’être compétitif en vue de répondre à ces défis du futur.

Pour conclure, il est important de noter que le secteur du transport aérien est en constante évolution. Selon les projections des experts, le trafic aérien mondial doublera vraisemblablement dans les quinze prochaines années et au niveau du continent africain il triplera du fait des perspectives de fortes croissances économiques et du dynamisme de la classe moyenne. Toutefois, si les dispositions nécessaires en matière de sécurité, de sûreté, de protection de l’environnement ou d’aménagements aéroportuaires ne suivent pas l’évolution de cette demande, les aéroports sénégalais auront du mal à se mettre au niveau des grandes plateformes aéroportuaires africaines qui se développement en continu : à l’image d’OR Tambo de Johannesburg, de Cairo International, de Cape Town …

La balle est désormais dans notre camp !

 

 Lassana KOITA, Statisticien et Expert en Sécurité des Aérodromes ;

Convergence des Cadres Républicains (DSE/CCR-France)

 lassana.modibo@gmail.com  

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