Makhtar Diop, VP de la BM pour l’ Afrique : «L’ Afrique peut aller plus loin et plus haut»
Pour le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, Makhtar Diop, la réussite économique africaine est en grande partie due à l’avancée de la démocratie sur le continent. Interview.
Peut-on parler de miracle africain ?
Makhtar Diop : Miracle, non. Réussite, oui. Depuis dix ans, le taux de croissance moyen de l’économie africaine s’est située entre entre 4,5 et 5%, et cela malgré des chocs exogènes très importants. Il y a eu la crise de 2008-2009, toutes les économies ont ralenti, certaines sont entrées en récession. Malgré cela, l’Afrique a continué à avoir un taux de croissance positif, ce qui est une performance remarquable. Certains disent que c’était un coup de chance dû à la flambée des prix des matières premières, mais à d’autres moments les prix des matières premières étaient aussi élevés sans qu’il y ait décollage. Il y a eu une discipline macroéconomique, l’inflation et les déficits ont été contrôlés. Cela a permis d’ouvrir une nouvelle phase dans le développement des économies africaines. Les gouvernements du continent ont combiné diversification, augmentation de la valeur ajoutée et réduction des inégalités. Sur ces bases, je crois maintenant que la lutte contre la pauvreté peut faire des progrès significatifs.
Peut-on dire que l’Afrique a décollé ?
On peut dire cela. Mais il faut ajouter aussitôt qu’on peut aller plus loin et plus haut.
L’Afrique est-elle désormais devenue un acteur à part entière de la mondialisation ?
Oui. Et un acteur important. Un nombre croissant de pays qui ont des taux de croissance élevés, tels que la Chine, s’appuient sur ce qui se passe en Afrique pour accélérer leur développement. Quand on parle aux décideurs des pays les plus développés, tous vous disent que l’avenir, c’est l’Afrique. On y voit des retours sur investissement beaucoup plus élevés que dans d’autres pays. Prenons l’exemple des fonds de pension. Nous vivons au nord dans des sociétés vieillissantes, où les actifs financiers ont des retours sur investissement beaucoup plus bas. Ils ont besoin de l’Afrique pour diversifier leurs investissements, pour en augmenter le rendement moyen. L’augmentation des investissement indirects étrangers en Afrique en est la preuve. Même s’il reste beaucoup de progrès à faire. Certains investisseurs ont encore une perception faussée du risque Afrique.
Qu’entend-on par «risque» ?
Un risque économique, un risque politique et un risque au niveau des institutions. Quand on émet des bons en Afrique sur le marché souverain, la prime que les investisseurs imposent est beaucoup trop élevée. Cela va du simple au double. Si vous empruntez pour l’Afrique, vous payez plus cher. D’autre part, les pays africains empruntent à maturité plus courte. En général en finance on essaie d’avoir des actifs et des passifs qui ont à peu près la même maturité. Souvent les pays africains n’ont pas accès à des ressources à long terme, et ils sont obligés de se refinancer en permanence, ce qui coûte beaucoup plus cher. C’est ce qui s’est passé avec le marché des euro bonds par exemple. Les pays africains qui émettent sur le marché de l’euro bond le font sur 8, 9, 10 ans. Ce n’est pas suffisant pour financer des infrastructures qui seront amorties sur 20 ans.
Comment peut-on expliquer ce changement spectaculaire, après cette très longue période, presque désespérante, où l’Afrique ne s’en sortait pas ?
Par la démocratie ! La politique a joué un rôle décisif, avec de plus en plus d’élections libres en Afrique, moins de violences, de désordres politiques, une stabilisation des institutions et de l’état de droit. Contrairement à ce qu’on croit souvent, la démocratisation est bonne pour l’économie.
En général, les businessmen n’aiment pas les élections…
Ils aiment les élections qui se passent bien. Ce qui est important c’est que les institutions commencent à fonctionner. Le second élément est qu’il y a eu des politiques macro-économiques de qualité. Les gens ont réussi à maintenir des déficits budgétaires qui soient soutenables, à réduire l’inflation à un niveau modéré et à faire un certain nombre de choses qui ont donné la confiance. Troisièmement, il y a eu la situation internationale. On a vu que les marchés des pays développés ont connu des ralentissements économiques, ont subi une crise, et ça a jeté sur l’Afrique un jour nouveau.
Quel a été le rôle de la Banque mondiale ?
C’est toujours difficile à dire… L’important c’est l’évolution du dialogue avec les pays africains. Dans les années 80 on nous a reproché de venir avec nos gros sabots, de dire aux pays ce qu’ils devaient faire, de façon peu nuancée. Cela a changé. On en a tiré des leçons. Et une des leçons, c’est qu’il faut que les institutions soient ce que j’appelle «homegrown», d’extraction locale, en quelque sorte. Si les institutions sont défaillantes, la Banque Mondiale ou le FMI ne changeront pas le pays. Ce sont les peuples qui doivent le faire.
Est-ce qu’il y a un pays ou un groupe de pays qui a servi d’exemple, qui a été imité ?
Je suis un rétif aux modèles et aux dogmes. Comme vous à Libé… Il y a des principes généraux et des réalités propres à chaque pays, à son histoire, à sa culture. Les institutions ne sont pas des objets que l’on transplante d’un pays à un autre. C’est un ensemble d’articulations, de structures, qui répondent au contrat social d’un pays. Si on pense que ce qui se passe à Singapour sera applicable dans mon pays, on se trompe. On ne sera jamais Singapour, on ne doit pas l’être parce qu’on a une histoire différente. Les leaders africains le disent de manière forte. Et même s’ils ne le disent pas, la société civile le dit.
A-t-on progressé dans le domaine de la lutte contre la corruption ?
Il y a eu des progrès mais ils sont insuffisants. Nous appliquons des programmes de gestion des finances publiques et de contrôle des flux financiers. Mais nous favorisons le plus possible l’engagement citoyen, qui implique la société civile. Avant cela, on nous reprochait de travailler toujours avec les pouvoirs publics. Au fil des années on a donc développé des partenariats avec les parlementaires, et associations, les ONG. Nous mettons aussi en œuvre des programmes pour l’amélioration du secteur judiciaire. Nous sommes l’institution internationale la plus connue pour la lutte contre la corruption. On a mis en place l’adresse INT, qui veut dire Integrity, qui permet à n’importe qui d’utiliser une ligne rouge pour dénoncer une situation de corruption. Cela fonctionne très bien. De grosses sociétés internationales dans le domaine de la construction sont désormais interdites de soumissionner aux projets de la Banque mondiale parce qu’elles ont été prises la main dans le sac. Une fois que nous avons les informations, nous travaillons avec les institutions anti-corruption des gouvernements locaux. Nous avons aidé à la création d’institutions anti-corruption, qui nous aident dans ces enquêtes.
Auteur: Laurent Joffrin – Liberation.fr