Plaidoyer pour un système éducatif actualisant au service de l’émergence au Sénégal

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pape moustapha

En tant que citoyen, je voudrais faire mienne cette assertion de Baron D’Holbach avant de présenter ce que je considère comme un des défis majeurs auxquels notre système éducatif est confronté à l’heure actuelle : «Tout bon citoyen a non seulement le droit, mais encore est obligé, de publier ce qu’il croit utile au bonheur de ses semblables».

Plaidoyer pour un système éducatif actualisant au service de l’émergence au Sénégal

De 1968 à nos jours, le secteur de l’Éducation nationale au Sénégal a été périodiquement traversé par une série de crises aux allures multidimensionnelles, puisqu’elles sont à la fois des crises de confiance entre les acteurs politiques et syndicaux, de vocation des enseignants, d’adaptation des programmes, d’adéquation de l’environnement des enseignements et des apprentissages, d’autorité de l’Etat à travers ses gouvernements successifs, d’adhésion des parents d’élèves et de performances scolaires. Il semble ressortir de ce constat un manque notoire de croyance aux vertus de l’Éducation et de la Formation si indispensables à la valorisation du capital humain, facteur déterminant de l’insertion économique et sociale des ressources humaines et d’une croissance à long terme. De telles réalités ne sauraient perdurer si tant est qu’on se projette à donner corps à la vision du Président de la République du Sénégal en matière d’émergence, particulièrement dans le domaine de l’éducation et de la formation, à l’horizon de 2035 : « Un système d’éducation et de formation équitable, efficace, efficient, conforme aux exigences du développement économique et social, plus engagé dans la prise en charge des exclus, et fondé sur une gouvernance inclusive, une responsabilisation plus accrue des Collectivités Locales et des acteurs à la base ». PSE, 2014.

Si la pré émergence à moyen terme et l’émergence à long terme constituent deux aspirations nationales devant fédérer tous les Sénégalais, l’Etat et les syndicats d’enseignants, la Fédération Nationale des Parents, les élèves et étudiants, les ONG, la Société civile et les Partenaires Techniques et Financiers devraient s’entendre pour se diriger vers une synergie de leurs interventions susceptible de préparer impérativement et sans délai les véritables changements pour le Sénégal de demain, afin de réaliser l’École du futur et de la Formation du 21ème siècle.
Dans une dynamique de prise de conscience de l’impératif que constituent la paix et la stabilité sociales pour le développement du système éducatif, du préscolaire à l’université, en passant par le non formel, voire l’informel, et de la nécessité d’aménager un cadre juridique et institutionnel à cet effet, les autorités de notre pays, au plus haut sommet de l’Etat, devraient percevoir l’urgence absolue à travailler, de façon régulière, pour l’émergence du dialogue social et de la négociation collective au sein l’Ecole Sénégalaise.

Cette option, stratégique, exige, sans doute, un leadership fort, capable de fédérer les attentes et de mobiliser les énergies en s’entourant de stratèges ouverts, constamment à l’écoute des opportunités et menaces, aptes à déceler les germes des faits porteurs d’avenir, à prévoir les situations futures et surtout, en mesure de matérialiser la vision de Monsieur le Président de la République en performances. Il faudrait, sous ce rapport, s’engager, d’une part, à mettre en œuvre une stratégie de veille qui portera essentiellement sur la qualité des relations professionnelles dans le système éducatif à travers une gestion préventive des conflits de travail. La promotion et le renforcement de l’ensemble des mécanismes de concertation et de consultation à travers le tripartisme Etat/Syndicats d’enseignants/Parents d’Elèves-Etudiants devraient être fortement encouragés, en vue de réduire largement les déficits de communication préjudiciables à la paix sociale et à la bonne marche de l’Ecole Sénégalaise, et de contribuer ainsi au respect du droit de la négociation consacrée par la Constitution. D’autre part, tous les acteurs ont l’obligation éthique de conférer le sens et la portée attendus du droit à l’expression directe et collective des travailleurs afin de prévoir l’obligation réglementaire faite au système d’éducation de mettre sur pied des mécanismes de communication et de dialogue social. A cet effet et à partir d’une approche fondée sur la participation, l’inclusion et la responsabilisation de l’ensemble des acteurs, nous devrions privilégier l’appropriation de la Charte nationale sur le dialogue social, signée le 22 novembre 2002 par les organisations d’employeurs et de travailleurs et le Gouvernement, afin de renforcer et d’élargir les mécanismes bipartites et tripartites du dialogue social, dont le cadre institutionnel a été parachevé par la création du Comité national du dialogue social puis la mise en place d’un Haut Conseil pour le Dialogue Social.

Pourtant, le Sénégal dispose d’atouts, une fois ces crises résolues, qui devraient lui permettre de remettre sur les rails son système éducatif, en misant essentiellement sur l’intégration des TIC en vue de répondre présent au rendez-vous de la société du savoir, c’est-à-dire la société de demain, celle du 21ème siècle, et de faire de l’e-éducation une réalité, comme en témoigne le titre du quotidien national Le Soleil du 12 Décembre 2013 : « Intégration des tic dans l’éducation et la formation: Le Sénégal, un pays aux nombreux atouts à exploiter pour réaliser un saut qualitatif ».

Vers la fin du 20ème siècle et au début du 21ème commençaient à émerger d’importants changements sociaux, économiques et politiques, particulièrement en matière de connaissance et dans la façon dont les gens perçoivent et utilisent cette connaissance. Cette période est plus connue sous l’appellation de l’ère du savoir par comparaison à l’ère industrielle. Dans l’ère du savoir, les connaissances et les idées sont les moteurs de la croissance économique, parce qu’elles sont plus importantes que les terres, la main-d’œuvre, l’argent, ou d’autres ressources tangibles. Suite à l’émergence de nouvelles structures dans l’organisation du travail ainsi que de nouvelles pratiques commerciales, on requiert une main-d’œuvre aux compétences diverses et nouvelles. Celles-ci ainsi que le fait qu’il y ait une redéfinition dans le concept de connaissance, ont d’importantes répercussions sur la manière dont le système de l’éducation est conceptualisé, organisé, fourni et évalué.

Au 21ème siècle, reprofiler le système éducatif afin de réaliser la société que nous voulons exige un changement radical de mentalité et de comportements, non seulement des pédagogues, didacticiens, docimologues, psycho-sociologues et autres philosophes de l’éducation, mais de tous, en commençant par le pouvoir d’Etat, plus particulièrement les Conseillers du Président de la République en Education, et ce, en vue d’assurer l’avenir de notre pays, sans retard, dans un contexte de mondialisation. Partout dans le monde, les systèmes éducatifs sont confrontés à des défis et dilemmes importants mais profitent néanmoins d’excellentes opportunités grâce à l’avènement de nouvelles technologies qui dilatent le temps et réduisent l’espace.

La technologie a considérablement remodelé plusieurs secteurs économiques de manière spectaculaire, comme ceux du voyage, de la banque, des télé services, à l’inverse du secteur éducatif qui n’a pu suivre le même rythme. De manière générale, notre système éducatif n’a pas encore réussi à exploiter et mettre à profit le potentiel considérable des TIC en vue d’améliorer les opportunités d’apprentissage et de formation que l’Etat pourrait mettre à la disposition des jeunes sénégalais. Il semblerait que l’école sénégalaise soit encore bloquée, dans les 19ème et 20ème siècles et soit réfractaire aux nouvelles possibilités, à la proactivité et à la prospective, parce qu’actuellement, les débats sont capturés la plupart du temps, orientés puis, relayés vers des préoccupations liées à la gestion de relations conflictuelles récurrentes entre deux entités structurées d’adultes, l’Etat et les syndicats d’enseignants au détriment des intérêts supérieurs de la nation et à travers ce que la société possède de plus précieux, les élèves et étudiants, la jeunesse, notre humanité en friche : engagements pris et non respectés, gels d’indemnités dues, retards de paiement de salaires d’un côté, dépôt de préavis, négociations avortées, exécution de mots d’ordre de grèves et réchauffement du front social, d’un autre côté,… tel est le résumé du décor annuellement servi au peuple par les protagonistes, or, le débat doit porter sur les enjeux du 21ème siècle..

Certes, le secteur de l’éducation sénégalaise a connu des réformes mais jamais des transformations dignes de ce nom. Il y existe, le plus souvent, une tendance dans les prises de décisions d’être axées sur le court-terme : tenter de résoudre les problèmes immédiats (revendications salariales, réclamations d’indemnités de déplacements ou de correction, de parcelles de terrains, titularisations, reclassements, avancements,…) ou améliorer l’efficacité de pratiques établies (amélioration de la didactique dans telle ou telle discipline, introduction assez disparate de quelques projets et programmes parallèles, etc.). La culture institutionnelle qui prévaut présentement dans le système éducatif sénégalais favorise un regard complètement tourné vers le passé plutôt que vers l’avenir, ce qui ne permet absolument pas d’opérer les ruptures nécessaires pour matérialiser la vision du Président de la République de faire du Sénégal un pays émergent en 2035, avec une société solidaire et dans un Etat de droit intégrant une double aspiration de développement humain durable et d’émergence économique.

Les changements et tendances auxquels le système éducatif sera confronté à l’ère du savoir sont d’ordre économique, social, culturel et démographique. Ces changements comprennent la mondialisation ainsi que les demandes des industries en voie de développement fondées sur l’ère du savoir, les avancées technologiques, les nouveaux médias ainsi que les différents profils démographiques et structures d’emploi : « Les emplois de demain consisteront de plus en plus à produire, échanger et transformer des connaissances. Nos sociétés seront entièrement engagées dans l’assimilation d’un flux continu de savoirs nouveaux. La demande de connaissance sera plus importante que jamais, mais ses modalités changeront. Il ne s’agira plus d’être formé à un type d’activité spécifique, que le progrès scientifique et technologique risque de rendre rapidement obsolète. Dans des sociétés de l’innovation, la demande de savoir sera à la hauteur de besoins de requalification toujours renouvelés. Les formations professionnelles seront elles-mêmes contraintes d’évoluer. Aujourd’hui, un diplôme est avant tout une qualification sociale. La culture de l’innovation imposera que les diplômes eux-mêmes comportent une date de péremption, afin de lutter contre l’inertie des compétences cognitives et de répondre à une demande continue de compétences nouvelles. » − UNESCO (2005) : Vers les sociétés du savoir.

Les tendances et les demandes du marché du travail, les facteurs démographiques et technologiques, ainsi que d’autres changements économiques et sociaux nécessiteront et favoriseront le développement et l’acquisition de nouvelles compétences. Comme il est attendu qu’à l’avenir les personnes changeront d’emplois fréquemment et que les structures d’emplois seront différentes, les compétences qu’il faudra acquérir devront être davantage génériques, transversales et pluridisciplinaires. Cela permettra aux personnes de répondre de manière flexible et proactive aux changements et de profiter des opportunités d’apprentissage à vie : apprentissage tout au long de la vie. La résolution des problèmes, la réflexion, la créativité, l’esprit critique, la notion « d’apprendre à apprendre », la prise de risque, la collaboration et l’entreprenariat sont autant de compétences qui deviendront essentielles. Les changements attendus dans la manière dont nous fournissons actuellement des services éducatifs et de formation ne peuvent donner des opportunités aux élèves et étudiants pour acquérir ces compétences sauf si les systèmes d’évaluation dominants cessent de prôner l’apprentissage par cœur et la mémorisation. Compte tenu des défis et enjeux environnementaux à venir relatifs au conflit et à la guerre ainsi qu’aux développements pacifiques, il sera encore plus important que les personnes aient une meilleure compréhension et connaissance de l’environnement naturel et social dans lequel elles vivent. D’un côté, cela apportera une nouvelle attention sur la nature et la santé et de l’autre, sur les compétences citoyennes.
Suite à l’accent mis sur l’apprentissage tout au long de la vie et dans toutes les phases de la vie, de nouveaux modèles d’apprentissage doivent être élaborés et les stratégies d’apprentissage et approches pédagogiques doivent changer fondamentalement. Ce qu’il faut, c’est un système éducatif et de formation avec davantage de flexibilité pour permettre aux apprenants d’accéder et de sortir du système à différents moments, c’est-à-dire plus de parcours d’apprentissage flexibles. De plus, un grand nombre de prestataires de services éducatifs, comprenant les universités, les ONG, les agences gouvernementales et le secteur privé, doivent être impliqués en particulier, et ce, parce que les apprenants, aux divers styles d’apprentissage, exigeront différents types de compétences allant du formel au non formel, ainsi que des institutions d’apprentissage ouvertes et à distance. Les barrières entre l’apprentissage formel, non-formel et informel s’amoindriront drastiquement. En outre, avec l’évolution des TIC, le tutorat et les plans d’apprentissage personnalisés seront plus communs. Nous avons beaucoup entendu parler des « salles de classe sans mur », de la « classe inversée », d’apprendre « partout », « n’importe quand » et à son propre rythme : ces rumeurs deviendront réalités à l’avenir. On envisage qu’à l’ère du savoir, « l’éducation et la formation » ainsi que le « travail » ne seront plus deux univers séparés mais s’intègreront dans un seul processus d’apprentissage tout au long de la vie, ouvert à l’innovation et accessible à tous.

Tout compte fait, tels sont, entre autres, quelques-uns des défis qui interpellent toutes les forces vives de la nation et exigent un véritable élan de sursaut national, au-delà de toute considération, si nous ne souhaitons pas rater le train de l’émergence. Ces défis exigent non des réformes mais plutôt des ruptures qui devront nous amener à transformer radicalement les piliers de notre système éducatif, au profit de la jeunesse d’aujourd’hui, afin de disposer, à moyen et long termes, de ressources humaines à même de porter convenablement une émergence économique durable. Aussi, n’est-il pas superflu d’espérer que Monsieur le Président de la République en mesure l’esprit et la lettre pour amener les décideurs politiques à les intégrer dans leurs interventions, rapidement, et à proposer et mettre en œuvre des modifications radicales de paradigmes d’apprentissage dans le monde digital du 21ème siècle et de la société du savoir, à travers un système éducatif au sein duquel les enseignants sont épanouis dans un climat social totalement apaisé.

Papa Moustapha GUEYE
Inspecteur de l’Education et de la Formation,
Spécialiste en Planification et Management de l’Education,
Diplômé en GRH

Références bibliographiques :

Global e-Schools and Communities Initiative (GESCI), Leadership africain dans les TIC, L’éducation à l’ère du savoir, 2014
Le Soleil, Intégration des TIC dans l’éducation et la formation: Le Sénégal, un pays aux nombreux atouts à exploiter pour réaliser un saut qualitatif, 12 Décembre 2013
République du Sénégal, Ministère de l’Education nationale et al, Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence (PAQUET), Secteur Education Formation 2013-2025, Février 2013
République du Sénégal, Ministère de l’Economie et des Finances, Plan Sénégal Emergent, Plan d’Actions Prioritaires 2014-2018, Février 2014
UNESCO, Vers les sociétés du savoir, 2005
(www.futureofed.org), Le rapport «Prévisions 2020 : Création de l’avenir de l’apprentissage» « The 2020 Forecast: Creating the Future of Learning».

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