20 ans de gestion du parti socialiste : Ousmane Tanor Dieng, comptes et mécomptes d’un intendant
L’OBS – Le Secrétaire général du Parti socialiste reste solide. En dépit de ses échecs et d’une forte contestation interne, Ousmane Tanor Dieng a encore une emprise sur le parti qu’il dirige sans partage, mais avec diplomatie.
Dakar, samedi 5 mars 2016. La salle Lamine Guèye de la Maison du parti socialiste qui abritait la réunion du Bureau politique (Bp) étouffe sous l’effet des grenades lacrymogènes des policiers. Ousmane Tanor Dieng (Otd) y est séquestré depuis des heures par des militants socialistes en colère, qui contestaient la décision de leur leader de voter «Oui» au référendum du 20 mars dernier. Il a fallu l’intervention des éléments de la police pour le sauver de cette furie socialiste. Il est exfiltré en catimini par la porte de derrière de la salle Léopold Sédar Senghor. «Ces nervis recrutés et payés par des responsables du parti… C’est totalement inacceptable», fulminait Otd au lendemain de l’incident. Pourtant en juin 2014, le secrétaire général du Parti socialiste est, sans surprise, plébiscité, avec 92, 43% des suffrages. Sa seule rivale, Aïssata Tall Sall, a vu sa candidature blâmée. Elle a eu le toupet de défier le chef incontesté. Au congrès de 2007, le candidat malheureux à la dernière Présidentielle a été le seul maître à bord pour sa propre succession à la tête de ce parti, qu’il dirige depuis le congrès «sans débat» de 1996. Naguère «vénéré», le successeur de Abdou Diouf à la tête du Parti socialiste (Ps) fait face à la plus forte contestation interne. Est-ce dû à sa «gestion clanique» du parti ?
A 69 ans, son visage innocent et sa voix fluette renvoient à un homme doux, débonnaire. Une apparence qui cache la véritable nature de Ousmane Tanor Dieng (Otd). «Il est un peu timide, mais il est toujours en autodéfense, parce qu’il est un peu limité politiquement. Il ne peut pas supporter la contradiction», confie un ancien cacique du Ps, qui a créé un parti après son départ à cause de la «gestion opaque et solitaire» de Otd. En revanche, Mamoudou Wane le présente comme «un homme de consensus, courtois, pondéré» À la tête du parti le «mieux structuré», Otd a réussi à avoir une emprise, on ne dirige pas un parti vieux de 20 ans comme le Parti socialiste sans avoir du cran et du caractère. L’homme aligne les échecs et les mauvais résultats. Directeur de campagne d’Abdou Diouf en 2000, le Ps perd le pouvoir. Pour camoufler sa défaite, Tanor décrète une victoire d’Abdou Diouf en 2000 au premier tour de la Présidentielle, avec plus de 60% des suffrages exprimés, devant Me Abdoulaye Wade. Mais Diouf ne l’a pas suivi. Parce que pour lui, «la messe était dite». Candidat à l’élection présidentielle en 2007 et 2012, il n’est jamais arrivé deuxième. De 41,9% en 2000, le score du Ps est passé à 13,6% en 2007, et à 11,30% en 2012. Le prochain congrès est attendu en 2018, mais il ne semble pas pressé de céder son siège, malgré les échecs.
On est en 2012, à la veille de la Présidentielle. Ce diplomate, qui se confie rarement dans les journaux locaux, s’ouvre à Jeune Afrique pour dire qu’il va passer le témoin aux jeunes. «Que je perde ou que je sois élu, je laisserai la place (à la tête du Ps)», assurait-il. Pour la candidature du Ps à l’élection présidentielle qui devait se tenir en 2017, Tanor était encore en pole position. Il n’a pas lâché prise. En août 2015, le député Cheikh Seck assurait dans Jeune Afrique que «si plusieurs candidatures sont enregistrées (lors d’une primaire), celui dont je suis sûr qu’il sortira vainqueur du scrutin, c’est Ousmane Tanor Dieng.» Comment ce diplomate est-il parvenu à avoir une mainmise sur un parti aussi organisé que le Ps ? Les jeunes loups aux dents longues ont-ils une chance de prendre les rênes de ce parti tant que Otd voudra «gérer l’héritage de Senghor» ?
Un homme de clan
On dit de Tanor qu’il a intégré sur le tard le parti de Senghor. Otd a réussi la prouesse, avec l’aide de son mentor, Abdou Diouf, de maîtriser la formation socialiste. Il a adopté une méthode peu démocrate : le clanisme. Déjà en 1993, Abdou Diouf annonçait la couleur en le nommant directeur de campagne pour l’élection présidentielle de la même année au détriment de l’expérimenté et rusé Djibo Leyti Kâ. Le prédécesseur de Me Abdoulaye Wade balisait ainsi le chemin à celui qui n’a intégré le Bureau politique qu’en 1988, soit quatre ans après Khalifa Ababacar Sall. En 1996, Abdou Diouf porte son choix sur lui, «sans débat». Quatre ans après sa nomination à la tête du Ps, le régime socialiste est vaincu par le Parti démocratique sénégalais (Pds). A la défaite du Ps en 2000, Otd devait à son tour, après Abdou Diouf en 1981, faire face aux monstres politiques socialistes. Il n’avait pas «toute l’expérience politique nécessaire» pour conduire un parti de cette dimension. «L’erreur qu’il a commise, c’est qu’il a pensé que les caciques qui étaient restés voulaient prendre sa place. Il s’est barricadé. Il a eu un instinct de conservation, pensant que nous allions nous battre pour le faire partir. Il nous a stigmatisés. Il voyait en nous des opposants qui voulaient son poste, du fait que Diouf était parti. Il a constitué une sorte de bouclier autour de lui. C’est le fond du conflit qui est né après le départ de Diouf. Il gère en solitaire, dans l’opacité», explique un ancien baron socialiste, sous le sceau de l’anonymat. Notre interlocuteur explique que «Tanor a toujours souffert de ce complexe de ne pas faire partie des caciques du parti. Il a toujours nourri ce complexe, qu’il a traîné avec lui, parce qu’il a été parachuté.» Après les perturbations de la réunion du Bp du 5 mars, Otd échafaude un plan pour museler Khalifa Sall et ses proches, considérés comme les commanditaires des troubles. Parlant de ladite réunion, le journal L’As rapportait que le doyen Abdoulaye Elimane Kane a dénoncé la «censure des idées» quand il s’est agi de choisir entre le OUI ou le NON au référendum. Au bout du fil, Abdoulaye Elimane Kane témoigne : «Ousmane Tanor Dieng a le souci de rassembler. Nous sommes un parti dont il faut assurer l’unité et la cohésion et Ousmane Tanor Dieng est très attentif à cela.» Pour sa part, le maire socialiste de Dalifort, Idrissa Diallo, dénonce l’inféodation de certains militants à Tanor, au détriment du parti. «Ousmane Tanor Dieng a un groupe qui lui est très fidèle. Pour lui, ce qui importe, c’est qu’on lui soit fidèle», persifle-t-il.
Niasse, Djibo, Agne, Robert Sagna, Souty Touré, Abdoulaye Makhtar Diop…, les victimes du «Tanorisme»
Diplômé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam) en 1976, Ousmane Tanor Dieng était un nain politique quand il prenait les rênes du Ps. Son ascension au sein du Ps a pris une allure vertigineuse, à la faveur de la victoire des socialistes à la Présidentielle et aux Législatives de 1993. Il est nommé ministre d’Etat, ministre des Services et Affaires présidentiels. Tout puissant ! A partir du Palais, il contrôle le parti. Grâce à sa proximité avec Diouf, il tisse sa toile, en aidant ses proches à intégrer le gouvernement ou certaines directions. Diouf le consacre en 1996 en le nommant premier secrétaire du Ps devant de nombreux barons du parti ayant cheminé avec Senghor. L’hémorragie était inévitable. Un choix qui gênait les caciques du parti, frustrés. Tour à tour, Djibo Leyti Kâ, Moustapha Niasse, Robert Sagna, Abdourahim Agne, Abdoulaye Makhtar Diop, Souty Touré…, claquent la porte. «Nous ne sommes pas partis pour des divergences d’idéologie, c’étaient des questions strictement personnelles : la gestion du parti par Ousmane Tanor Dieng. Il a été la cause du départ de tout ce beau monde», confie un ancien baron. L’ancien ministre d’Etat le nie, mais la nomination de Otd a accéléré son départ du Ps. «Arrive le congrès sans débat. Pourquoi sans débat ? Je suis parti bien avant. Le congrès sans débat est une consécration de la rupture définitive. J’ai demandé qu’on élise notre premier secrétaire au bulletin secret, mais les gens ont refusé», dénonce Djibo Kâ. Le parti vidé de ses barons, Otd l’organise à sa guise, à son image, à sa façon…, selon son «bon vouloir».
Tanor, l’indéboulonnable. Il n’a jamais fait l’unanimité au Ps, mais il reste le «roi» de ce parti, qui a passé 40 ans au pouvoir. Otd a réussi à mettre les différentes structures du parti dans sa poche. «Mar Diouf, Mamadou Faye, Serigne Mbaye Thiam, Ibrahima Diagne (2esecrétaire adjoint), Aminata Mbengue Ndiaye (1ere adjointe), Mame Bounama Sall…, sont des amis de Tanor Dieng. Pendant que tout le monde pensait que le parti allait disparaître, Tanor a réussi à le redresser», explique un responsable de coordination. Selon lui, «après la défaite de 2000, les réunions du Bp n’accueillaient pas 15 personnes. C’est ce qui a fait que Tanor a eu les coudées franches pour placer en quelque sorte ses hommes et femmes de confiance dans les différentes coordinations». Le Ps polarise aujourd’hui 138 coordinations, qui sont sous le contrôle de son secrétaire général. La composition des membres du Bureau politique est passée de 90 en 2007, à 191 aujourd’hui, dont la plupart sont cooptés par Otd, à la faveur du «quota de correction» qui lui est attribué. Au Comité central, il est aussi parvenu à se faire une majorité mécanique. Mais Mamoudou Wane reste convaincu qu’avec Tanor Dieng, «il y a espoir de revenir au pouvoir». Le maire Idrissa Diallo lui, voit l’horizon du Ps s’assombrir avec Otd à sa tête, parce qu’il «ne peut plus faire face à la nouvelle réalité».
Otd, sauveur d’un bateau au bord du naufrage ?
Le secrétaire général du Ps a su redresser sa formation politique au moment où la quasi-totalité des militants et responsables n’y croyaient plus. Après la perte du pouvoir en mars 2000, des pans entiers de militants et responsables de premier rang ont quitté le «navire vert» pour rejoindre Me Abdoulaye Wade. Le bateau a tangué au milieu d’une tempête bleue, au point de couler. Donné pour mort, le parti revit grâce à l’engagement sans faille de son secrétaire général. Aussi virulents que puissent être ses détracteurs, tous lui reconnaissent sa combativité après la chute du régime socialiste en 2000. Même si certains lui imputent cette défaite historique du 19 mars 2000, son mérite d’avoir réussi à faire survivre le parti face au rouleau compresseur de Me Wade retient les esprits. «Il faut lui reconnaître qu’il s’est bien battu après 2000 pour tenir la barre», relève une de ses victimes. Idrissa Diallo renchérit : «A la perte du pouvoir en 2000, il a été combatif pour maintenir le parti». Un responsable socialiste à la tête d’une coordination ne cache pas son admiration pour son patron. «Ousmane Tanor Dieng est le meilleur administrateur du parti. Le parti était quasiment décapité. N’eût été son engagement, le Ps aurait disparu après la défaite du 19 mars 2000.», témoigne-t-il. Pour cet acte de bravoure, on lui voue un culte. Si le Ps n’a pas été rayé de la carte politique du Sénégal, c’est grâce à Ousmane Tanor Dieng.
CHIMERE JUNIOR LOPY
DJIBO LEYTI KA, ANCIEN RESPONSABLE DU PARTI SOCIALISTE
«Ce qui se passe au Ps me fait mal»
«Ce qui se passe au Ps me fait mal. Je souhaite qu’ils se réconcilient sans aller au tribunal. C’est mon parti d’origine, et tout ce qui touche au Ps me touche dans ma chair. Je garde des liens profonds avec certains membres du Ps. C’est le plus ancien parti du pays et il a une histoire. Qu’il ne fasse pas comme le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel (socialiste) au Mexique, qui a régné pendant 70 ans et d’un seul coup, s’est effondré. Je ne souhaite pas ça au Ps.»
C.J.L