Questions urgentes : Les Sénégalais veulent savoir

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DONSEIL

Depuis plus d’une semaine, les révélations de l’inspecteur des Impôts et des Domaines Ousmane Sonko occupent l’actualité. Elles suscitent un emballement compréhensible, mais nocif à l’éclatement de la vérité. On est en train de danser plus vite que la musique. De mettre en perspective un sujet sans au préalable en délimiter les contours factuels. Au grand dam des Sénégalais, qui réclament d’abord toute la vérité.

Sonko a violé son obligation de réserve, il doit être sanctionné, suggère-t-on. Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire Benno bokk yakaar, propose une loi interdisant aux hauts fonctionnaires de faire de la politique. On entend aussi que le régime de Macky Sall n’est pas responsable de la situation pointée, que celle-ci remonte à la présidence d’Abdoulaye Wade, voire plus loin. Un expert fiscal estime que les montants prélevés aux représentants du peuple, déjà grassement payés, sont trop faibles…

Tous ces points sont d’une importance capitale. En effet, si l’on veut régler cette affaire, trouver des solutions durables aux problèmes qu’elle charrie, il faudra forcément s’y pencher. Mais, s’y cantonner d’ores et déjà constitue au mieux un empressement qui pollue le débat ou, au pire, une manœuvre de diversion destinée à étouffer une histoire qui fleure bon le scandale et remet une couche sur le discrédit qui frappe déjà les députés. Les principaux concernés.

L’urgence est ailleurs : Sonko dit-il vrai ou pas ? Jusque-là il essuie les foudres de ses détracteurs, mais personne ne lui a encore opposé un démenti formel. Les députés paient-ils effectivement l’impôt ? Combien, si c’est le cas ? Au nom de quoi, si ce n’est pas le cas ? Les retenues sont-elles opérées à la source, comme on voudrait le faire croire ? Quelle est la base légale de cette imposition, le cas échéant ? Où vont les montants prélevés et non reversés, selon Sonko ? Toute personne intéressée par l’éclatement de la vérité doit d’abord chercher les réponses à ces questions urgentes, simples, précises, avant de penser aux autres !

Conspiration du silence

Mais on est en ce moment loin du compte. Les autorités concernées s’écartent du sujet, ou bien elles choisissent de se murer dans un silence suspect. Beaucoup de députés, de la majorité comme de l’opposition, évitent la question. Les questeurs de l’Assemblée nationale, qui forment un maillon essentiel de la chaîne, sont injoignables. À la Direction générale des Impôts et Domaines (DGID), l’on invoque le fameux devoir de réserve, ce vaste parapluie que les uns et les autres déploient au gré de la météo de leurs intérêts particuliers. Pour le droit du citoyen à l’information, il faudra alors aller voir ailleurs.

La société civile, qui aurait pu prendre le taureau par les cornes, semble plus préoccupée à poursuivre le gibier des APE. Pour sa part, la presse est aux trousses du lièvre levé par l’inspecteur des Impôts et des Domaines, mais elle se heurte à un mur de béton. Bref, le flou est total.

Bien qu’Ousmane Sonko soit leader d’un parti d’opposition (Patriote du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, PASTEF), ses révélations devaient être vues par le régime en place comme une bénédiction et non une malédiction. Une occasion rêvée de marquer la rupture tant chantée, de jeter la lumière sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, et plus largement de l’ensemble de nos institutions. Hélas !

Ce qui peut rendre sublime une initiative d’un lanceur d’alerte et donner du sens au travail d’un journaliste, c’est que les trois pouvoirs traditionnels (l’exécutif, le législatif et le judiciaire) s’emparent des affaires que l’un révèle et que l’autre relaie pour remettre, s’il y a lieu, les pendules à l’heure. C’est comme ça que ça se passe dans les démocraties avancées ; ces pays où la transparence est une religion et où le citoyen est respecté. Crise des supprimes, WikiLeaks, SwissLeaks… et, plus récemment, « Panama papers ». Dans de nombreux cas, les dirigeants des États concernés par ces affaires ont, d’un pas décidé et courageux, franchi la porte de l’histoire en prenant des mesures radicales. Celles-ci se sont avérées parfois insuffisantes, et même démagogiques, mais l’important était de faire bouger les lignes au moment où il le fallait.

L’émoi, le temps d’une rose

Au Sénégal, la réalité est tout autre. Les autorités ont tendance à hésiter devant la porte de l’histoire. Quitte à la prendre à la figure. Combien d’affaires ont été révélées ces dernières années par des «lanceurs d’alerte» à la sauce locale et relayées par les médias sans que le gouvernement, l’Assemblée nationale ou la Justice ne bougent le plus petit doigt, ne serait-ce que pour que jaillisse la vérité dans toute sa sublime nudité ? Affaire de la drogue dans la police. Graves accusations du colonel Abdoulaye Aziz Ndao sur la gendarmerie. Affaires Mittal et Petro Tim. Spoliation du littoral…

Chaque fois, les révélations créent l’émoi le temps d’une rose. On désigne les coupables idéaux. Les donneurs de leçons montent à la tribune et débitent leur prêchi prêcha. Les maîtres-chanteurs font des rondes. Le pouvoir fait tout pour se dédouaner en oubliant que son rôle c’est d’affronter les problèmes et de leur trouver des solutions. L’opposition met de l’huile sur le feu. La société civile s’arroge le monopole du cœur. Et on passe à la suite.

Souvent d’aucuns se tournent vers la presse pour lui reprocher de manquer de cran, de ne pas faire le travail d’investigation qui sied. Des reproches compréhensibles et parfois justes, mais pas toujours fondés. La marge de manœuvre du journaliste s’avère étroite, voire nulle, si ceux qui détiennent la bonne information, pour des raisons crypto-personnelles ou simplement par pure peur de représailles, choisissent de se taire. S’il y a une sorte de conspiration du silence pour l’empêcher de faire son travail. Par tous les moyens, y compris de la corruption. Combien de confrères se sont cassé les dents en tentant de démêler des affaires lugubres ?

Le citoyen, dindon de la farce

Ces cachoteries au sommet du pouvoir, ces petits arrangements avec la transparence, ne sont pas nouveaux au Sénégal. Quels sont les vrais tenants et les aboutissants de la Crise de 62 ? Omar Blondin Diop, mort en prison, s’est-il réellement suicidé comme le veut la thèse officielle ou a-t-il été assassiné comme l’affirment ses parents et amis ? Quelles étaient les motivations de Moustapha Lô, condamné à mort et exécuté pour avoir braqué un pistolet sur Senghor ? Qui sont les vrais commanditaires de l’assassinat de Me Babacar Sèye ? Comment sont morts nos Jambars lors de l’opération Tempête du Désert ? Qui sont les vrais responsables de la tragédie du Joola ? L’affaire des Chantiers de Thiès a-t-elle livré tous ses secrets ? Qu’en est-il du scandale de détournement des fonds du football national entre 2001 et 2002 ? Quid des magouilles dans l’Armée tant décriées ?…

La République nous a habitués à se débiner devant ses responsabilités. Soit en se bouchant les oreilles devant des interpellations gênantes soit en donnant la moitié de la vérité ou tout simplement en mentant à ses enfants. De Léopold Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, le mensonge a souvent prévalu au sommet du pouvoir, drapé du voile de la raison d’État. Au mépris du droit de savoir du Sénégalais, finalement le dindon de la farce. Malgré lui.

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