La transhumance politique, cette migration opportuniste d’un parti à l’autre, gangrène depuis longtemps notre paysage politique. Elle n’est plus un simple phénomène isolé, mais bien une tendance ancrée dans les pratiques des élites sénégalaises. Depuis l’ère du président Abdou Diouf jusqu’à nos jours, certains politiciens ont traversé les différents régimes, sans conviction ni loyauté, se mettant au service de chaque pouvoir en place pour préserver leurs intérêts personnels. Cette pratique creuse un fossé toujours plus grand entre les citoyens et leurs dirigeants, alimentant un cynisme et un mécontentement grandissant. Dans une époque où les Sénégalais réclament davantage d’éthique et de transparence, la transhumance expose une crise morale profonde qui affaiblit notre démocratie.

Un discours éculé qui ne trompe personne

« Après mûre réflexion, après avoir consulté ma base, j’ai décidé de soutenir… » Combien de fois les Sénégalais ont-ils entendu cette rengaine lors d’un ralliement inattendu ? Ce discours type, répétitif et déconnecté de la réalité, a perdu tout crédit auprès de la population. Derrière ce soi-disant processus de réflexion, souvent invoqué pour justifier un changement d’allégeance, se cache une ambition personnelle de conserver ou de renforcer une position, sans souci des conséquences sur l’opinion publique ou sur les valeurs démocratiques.

Cette rhétorique formatée vise à légitimer des revirements opportunistes. Pourtant, le peuple, de plus en plus lucide, voit clair dans ces excuses. Ces justifications finissent par susciter le mépris plutôt que l’adhésion, renforçant le désenchantement face aux pratiques politiques.

Le prix de la transhumance : une indignité publique

Cette « mûre réflexion » invoquée à tort ne fait que renforcer le sentiment de désillusion. Les transhumants, en masquant leurs ambitions derrière des intentions fallacieuses, trahissent non seulement leurs électeurs, mais aussi les valeurs de loyauté et de respect des engagements qu’ils sont censés incarner. En réalité, ils renoncent à leurs idéaux et foulent aux pieds les espoirs de changement portés par les citoyens. Chaque transhumance érode la confiance de la population, tandis que les idéaux sont sacrifiés pour des promesses de pouvoir ou des privilèges.

La population sénégalaise, observant ce théâtre politique, voit bien que certains leaders naviguent d’un camp à l’autre au gré des opportunités. Cette versatilité est perçue comme une trahison de l’esprit démocratique, érodant le respect pour une classe politique qui semble de plus en plus déconnectée des valeurs qu’elle prétend défendre.

Des figures politiques intemporelles : le poids des générations passées

Certains politiciens ont non seulement transhumé entre partis, mais ils ont aussi traversé toutes les générations de régimes, depuis Abdou Diouf jusqu’à aujourd’hui. Ces figures, loin d’incarner la constance d’une conviction profonde, semblent incarner une habileté à naviguer dans tous les contextes politiques pour rester en première ligne. Ces « vétérans de la transhumance » représentent une génération de dirigeants pour qui la fidélité aux idéaux n’est qu’un slogan. Leur présence ininterrompue aux côtés de chaque régime successif renforce l’idée d’un système où les principes sont sacrifiés pour des intérêts personnels, sans scrupule ni limite.

Cette permanence au pouvoir, malgré les changements de contexte et d’idéologie, symbolise l’impasse de la politique sénégalaise, où les mêmes acteurs reviennent sans cesse, adaptant leur discours et leurs alliances à leurs ambitions du moment, au détriment de toute éthique politique.

La jeunesse désenchantée, une démocratie affaiblie

La conséquence immédiate de ces comportements est un sentiment de démobilisation, particulièrement chez les jeunes. Face à une classe politique perçue comme corrompue par des intérêts personnels, beaucoup de jeunes Sénégalais se détournent de la politique, perdant toute envie de s’engager. La politique, au lieu d’incarner un idéal de service public, apparaît comme un jeu de chaises musicales où les principes sont sacrifiés pour des gains à court terme.

Cette déception envers les institutions nourrit une méfiance accrue. La jeunesse, se sentant trahie, perd confiance en des institutions démocratiques qui s’effritent sous les coups de l’opportunisme des élites. Chaque décision politique est alors scrutée avec suspicion, et le scepticisme s’installe durablement dans les esprits.

Un appel urgent au renouvellement de l’élite politique

Face à cette indignité qui gangrène la scène politique, de nombreux citoyens appellent à un renouvellement profond des élites. Le Sénégal a besoin de leaders intègres, ancrés dans leurs convictions et capables de résister aux sirènes du pouvoir. Ce renouvellement n’est pas seulement une demande populaire ; il s’agit d’un impératif pour revitaliser notre démocratie.

Ce renouvellement doit s’accompagner d’une vision d’une démocratie où la parole donnée est respectée, où l’engagement est pris au sérieux, et où les valeurs fondatrices de la République sont incarnées de manière authentique. Pour y parvenir, il est temps que les citoyens exigent une éthique irréprochable et un véritable engagement envers le bien commun. Les leaders de demain devront répondre à cette exigence citoyenne ou risquer d’être marginalisés par une population de plus en plus éveillée et exigeante.

Vers une démocratie authentique et renouvelée

La transhumance politique, loin d’être une pratique anodine, révèle une crise de valeurs qui appelle une réponse forte. En réaffirmant l’engagement politique, en renforçant la transparence, et en redonnant au service public son sens noble, le Sénégal pourra surmonter cette crise morale et renouer avec une démocratie vivante et authentique. Pour aller au-delà de ces pratiques nuisibles, il est essentiel de reconstruire un pacte de confiance entre les citoyens et leurs représentants.

Ce n’est qu’en instaurant une véritable rupture avec les anciennes pratiques et en rendant l’engagement politique compatible avec l’intégrité et la responsabilité que le Sénégal pourra renouer avec une démocratie dynamique, capable de faire face aux défis contemporains.

Mamadou Lamine TOURÉ

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